Chapitre 5 : Haut-Rivage - Partie 5

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— Je vous demande ce que trois mages viennent faire à Haut-Rivage ?

La portée de ces quelques mots les frappa comme la foudre de Sciron. Avec la coordination la plus parfaite, les trois amis se levèrent. Godefroy renversa son verre pour abattre férocement le poing sur la table. Une terrible aura leur scia alors les jambes, soufflant les flammes des candélabres.

— Assis, ordonna froidement le seigneur d’Ostheroc.

Les jeunes mages se laissèrent retomber à leur place, spoliés de toute force. Le souffle court, les pupilles dilatées dans la pénombre, ils discernaient à peine le visage de Godefroy à travers les fumées. Le cœur d’Arch martelait sa cage thoracique. Il allait manquer d’air. Jamais il n’avait fait face à une telle aura. Il n’y avait plus un souffle, aucune flamme en vue, mais il jura qu’un vent ardent le brûlait vif. Chaque afflux de sang contre ses tempes ne le rendait que plus lucide sur leur situation. Ils étaient à la merci de leur hôte, de simples enfants effrayés.

— Ne pensez pas une seule seconde que vous auriez évité le cachot aujourd’hui si je n’avais pas senti votre nature, leur dit ce dernier sans les quitter du regard. J’ai une question à vous poser. Une question à laquelle je vous déconseille de mentir. Qui vous a donné ce nom ?

— A… Amalven, articula péniblement Arch.

Godefroy plissa les yeux un instant, comme s’il cherchait à sonder la véracité de cette information. Ces quelques secondes semblèrent durer une éternité. Il exhala finalement et d’un geste de l’index, ralluma les bougies sur la table tandis que la pression retombait subitement. Les trois amis inspirèrent à pleins poumons, reprenant lentement leurs esprits.

— Navré de cet échange déplacé. Vous comprendrez que bien des positions nourrissent la convoitise. La mienne n’y fait pas exception. Peu au-delà de ces murs porteraient mon deuil bien longtemps. Les mages sont rares, je me devais de vous venir en aide, tout comme je devais confirmer la raison de votre présence.

— Pas… Pas d’offense, hoqueta Criss avant de vider son verre d’une seule traite pour se remettre de ses émotions.

— C’est vous, n’est-ce pas ? interrogea alors Kahya.

Les yeux rougis et l’air grave souligné d’une coiffure en pagaille, la jeune fille ne détachait plus le regard de leur hôte. Une vague de soulagement réempourpra ses joues blêmes. Ils l’avaient trouvé. Elle en était intimement convaincue.

— Vous êtes Godhrian…

— Hein, quoi ?

Criss s’étrangla de surprise, recrachant à moitié sa gorgée par le nez. L’une de ses mains se porta à sa bouche tandis qu’il se frappait la poitrine, secoué d’une violente quinte de toux.

— Je dois bien avouer que je ne m’étais pas trompé sur ton compte, répondit le seigneur en ignorant le garçon à présent rouge comme une pivoine. Tu es intelligente.

Il redressa son verre, hors du précieux liquide qui gouttait encore sur le sol. Il avait fait venir ce vin des meilleurs caves de Pram. Chaque perle pourpre qui s’écoulait entre les rainures du bois était un véritable drame.

— Bien peu connaissent ce nom, reprit-il en soupirant. Ce qui me pousse à croire qu’Amalven vous a bel et bien envoyés me trouver. Quant à savoir pour quelle raison, j’ai peine à croire que les rumeurs qui circulent ne soient qu’une coïncidence. Que s’est-il passé à Adurant ?

Les trois amis s’accordèrent un triste regard. La blessure était encore vive.

— Le village a été attaqué, susurra Arch d’un ton empli d’amertume.

— Des survivants ?

Le garçon ne remarqua aucun changement dans la voix de Godhrian, ni même le moindre trouble marquer sa peau parfaite, si bien qu’il se demanda si son cœur était fait de pierre, ou si l’exercice du pouvoir avait achevé de lui forger un masque de fer. Il resta muet tandis que les images de cette nuit-là revenaient le hanter. Il se revit pénétrer dans la chapelle, découvrir ce qu’il s’efforçait si ardûment d’oublier. Un désagréable picotement lui engourdit l’avant-bras.

— Nous ne savons pas, répondit finalement Criss d’une voix éraillée.

— Qu’est-il arrivé à Amalven ?

— Nous ne savons pas, répéta-t-il encore d’une voix ténue.

Godhrian plaça une main sur son menton d’un air enfin plus grave. Il tapota nerveusement la table avec l’ongle de son index, rivant un œil sur la porte comme s’il cherchait à s’assurer de l’absence d’oreilles indiscrètes.

— Pourquoi Amalven vous a-t-il envoyés ici ? demanda-t-il. Qu’attend-il de moi ?

Arch sentit ses camarades le dévisager. Amalven avait simplement évoqué le fait que Godhrian pourrait les protéger, rien de plus. Un mage dans sa position en était capable, mais cela signifiait aussi qu’il devait être informé de ce qu’ils avaient découvert. Pouvaient-ils vraiment lui faire confiance et tout lui révéler ?

Ils n’eurent pas à prendre cette décision. Trois coups sourds résonnèrent sur la porte. Le manoir avait été si silencieux jusqu’ici que cela les fit sursauter.

— Les dieux te bénissent, mon bon Tanit ! s’exclama alors Godhrian tandis qu’un serviteur se présentait à eux. Te voilà à point nommé. Entre ! Vois un peu ce qui est advenu de ce pauvre cru. Fais-moi donc porter une nouvelle coupe, je vais en avoir grand besoin.

— Seigneur, j’ai bien peur que vous ne teniez ici la dernière. Les fûts sont vides.

— Il ne reste rien ? Pas une goutte ?

— Il y a le cadeau offert par nos hôtes.

— Corbleu ! Je n’amènerai pas cette pisse à ma table ! Tant pis, passons. Que voulais-tu ?

— Deux hommes se sont présentés au manoir. Ils désirent s’entretenir.

— À cette heure ? s’étonna-t-il. Que désire notre cher Alton qui ne puisse attendre l’aurore ?

— Ce ne sont pas les Dormont, répondit Tanit d’un ton entendu.

Une fois encore, la façade qu’arborait Godhrian céda. S’il ne s’agissait pas d’eux, alors ils n’auraient pu passer les herses de la citadelle. Méfiant, il jeta un regard en coin vers ses trois invités avant de se lever.

— Qui sont-ils ?

— Je l’ignore, Seigneur. Ils ont dit que c’était urgent et se montrent insistants. L’un prétend vous connaître et…

Tanit fut soudain interrompu par un vacarme assourdissant provenant du couloir, comme si une étagère entière de chaudrons s’était effondrée. Deux silhouettes ne tardèrent pas à s’engouffrer dans l’encadrement de la porte, repoussant le serviteur sur le côté. Les bruits de casseroles, plus légers, reprirent à l’unisson de ceux d’un pas lourd. Sir Thomas accourut en haletant, épée en main. Son plastron présentait des cabosses de toutes parts. L’une de ses épaulières pendait lamentablement, retenue par une simple sangle de cuir. Il s’excusa du regard, mais Godhrian ne pouvait se moquer davantage de son état. La surprise l’avait figé lui et les trois jeunes mages comme des statues.

— Ellehir…

Une larme roula sur la joue de Kahya. La jeune fille renversa sa chaise, se prit les pieds dans sa robe et manqua de chuter pour se précipiter dans les bras de l’un des arrivants. Ce dernier fit un pas de retrait tant l’étreinte le surprit. Il rajusta brièvement les lunettes rondes qui reposaient sur son nez puis passa la main dans les longs cheveux d’ébènes, exposant un bandage au-dessus du poignet.

— Professeur !


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