Note de l'auteure: Certains personnages dans ce chapitre utilisent le pronom "iels", pour désigner un ensemble de personnes, sans distinction de genre.

Les coulisses du Bouiboui étaient en effervescence. Alejandra bouscula sans se vouloir une danseuse pressée, collant sa perruque en même temps qu'elle courait pour monter sur scène. Jez avait pas mal recruté depuis sa dernière visite. Elle ne distinguait personne dans cette masse de collants, de robes, et de tissus colorés. Par chance pour elle, un régisseur la repéra telle une tache noire au milieu de l’arc-en-ciel. L’enquêtrice lui expliqua le motif de sa venue, et sans même vérifier il lui indiqua un paravent au fond de la pièce. Elle discerna l’ombre d’une silhouette en train de se changer. Elle s’approcha tout en respectant une pudeur distante.

- Ecstasy, je suis désolée de vous déranger, mais Jez m’a dit que vous pouviez répondre à mes questions.

- Oui une petite minute s’il vous plaît.

Derrière le paravent Alejandra observa la silhouette se contorsionner, dans des positions fort peu plaisantes.

Après quelques minutes d’effort le visage souriant d’Ecstasy surgit.

- Pardon pour l’attente, ce costume est un enfer à porter, s’excusa-t-elle.

Elle avait troqué son costume pour un bustier en métal et tissu aux nuances de verts chatoyants. Ce costume beaucoup plus révélateur que le précédent, laissait admirer sa peau claire de ses jambes et bras nue. Alejandra préférait les hommes, mais elle comprit que Jez ne devait pas s’intéresser à cette artiste uniquement pour son talent.

- Vous aviez une question? lui demanda l’artiste.

- Euh oui, je voulais savoir si vous connaissiez une jeune fille du nom de Hel.

L’expression d’Ecstasy devint intéressée.

- Oui bien sûr je la connais. Elle vient de temps en temps avec des amis, mais jamais les mêmes.

Alors qu’Alejandra l'invitait à développer sur ces fameux amis, l’artiste lui plaça une lourde paire d’ailes de papillon verte et dorée, dans les mains avant de se retourner.

- Vous pouvez m’aider à les mettre, je n’y arrive pas toute seule.

L’enquêtrice s’exécuta frustrée du délai. Une fois la paire d’ailes accrochée à son bustier, Ecstasy rectifia son maquillage et sa coiffure, oubliant quelque peu son interlocutrice. Cette dernière se racla la gorge pour manifester sa présence.

- Oh pardon! Vous aviez d’autres questions? comprit-elle avec un regard d’ange perturbant.

- Ses amis, vous connaissez leurs noms? Vous pouvez me les décrire?

- Oh il y avait un peu de tout, des hommes, des femmes plus âgés qu’elle. Je ne leur ai jamais parlé, car iels n’avaient pas vraiment l’air d’être là pour le spectacle. Mais aucun ne venait de la surface, à part la petite Hel.

- Très bien, soupira Alejandra agacée par ses piètres informations. Vous ne savez rien d’autre qui pourrait m’aider à la retrouver. Ses “ amis” comment se comportaient-ils avec elle?

Ecstasy fit semblant de réfléchir, tout à fait consciente d’en savoir bien plus qu’elle n’en laissait paraître. Pourquoi ce petit jeu, Alejandra n’en avait aucune idée, à moins que sa seule motivation soit l’amusement.

– Iels n’avaient pas l’air très loquaces. Je pense qu’iels la surveillaient pendant qu'elle draguait un jeune lieutenant.

Alejandra se pencha lentement en avant, imposant une proximité inconfortable à son témoin, qui ne fit qu’accroitre le sourire angélique d’Ecstasy. Pas de doute elle s’amusait avec elle pour son propre profit. L’enquêtrice balançait entre l’envie de la gifler, et de l’assommer avec une bouteille de parfum. Tout ce qui aurait pu lui retirer ce sourire si agréable et pourtant si… pervers.

- Et vous n’auriez pas le nom de ce lieutenant par hasard, grinça l’enquêtrice entre ses dents.

- Bien sûr que si. Il se nomme Grim, c’est le fils du commandant Perraul. Il a 21 ans, il est entré en poste dès sa sortie de l’académie ily a quatre mois. Il est apprécié de ses camarades. Il aime les filles et la bière rousse, et surtout il laisse de bon pourboire, lui débala la jeune femme.

Alejandra en resta coi de surprise, ce qui amusa bien Ecstasy.

- Observer le public ça fait partie du métier, claironna-t-elle.

Excédée Alejandra était sur le point de la planter là, mais elle avait besoin de quitter cette conversation avec le dernier mot.

- Votre petit jeu plaît peut-être aux ramassis de pauvres allumés qui trainent ici, mais pas à moi. Qu’est-ce ça vous apporte tous ses mystères?

Ecstasy se relava absolument pas atteinte par l’insulte.

- Je l’ai dit tout à l’heure sur scène : “C’est au Bouiboui qu’ont ouïe les meilleurs colibris”. Les colibris aiment chanter des histoires. Celle que vous écrivez ne serait pas trépidante, si je vous disais tout maintenant. Elle ne serait pas bonne, et je vis pour les bonnes histoires, se justifia-t-elle d’un ton sérieux déconcertant.

Embrouillée par cette explication nébuleuse, Alejandra la laissa là, prenant presque ses jambes à son cou, et échapper à l’atmosphère viciée de l’établissement. Elle prit plusieurs minutes pour retrouver son calme. Elle ne savait pas comment cette fille s'y était pris pour l’ébranler à ce point. Elle avait pourtant fait face à des individus bien plus dérangés, que cette pimbêche aux cheveux roses ! Au moins cette rencontre bien qu’inconfortable s’était révélée fructueuse. Elle avait un nom: Grim, fils du commandant Perraul, qu'elle ne connaissait que trop bien. Ne restait plus qu’à trouver un moyen de pénétrer dans la zone militarisée, mais avant elle avait terriblement besoin de dormir.