Enquête: Disparition (4)

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Des contacts avec la petite milice protégeant la zone d’élevage elle en avait toujours gardé. Hélas peu acepteraient de l’aider s’ils savaient qu’elle voulait parler à Grim. Elle ne connaissait pas le gamin, contrairement à son père, et au dernier souvenir funeste qu’il lui avait laissé. Celui de son arme pointée sur le front de son frère et pressant la détente.

Le corridor milicien séparait la ville sombre du cœur des activités d’Eolna, tel un cordon sanitaire. Excepté que les immondices se trouvaient des deux côtés. Les figurés pour l’un, et les tangibles de l’autre. En effet, le revers de vivre littéralement dans un animal vivant c’est que l'on doit gérer l’expulsion de ses déchets. Et par expulsion on entendait récupérer le plus de minéraux possibles, que l’Amphiptère évacuait en plein ciel. De ces minéraux, on tirait du fer, du nickel pour les engrenages et toutes les machineries de la ville flottante. Déjà avant la prise du pouvoir par les Maçons, et les demandes de matériaux pour la reconstruction, l’usine de traitement des déchets ne suffisait plus à combler les besoins toujours plus démesurés d’Eolna. Depuis une dizaine d’années, le Creusoir venait la compléter. Installé en plein cœur de la zone militarisé, et comme son nom l’indiquait, il ne s’agissait pas moins que d’une grande fosse putride et étouffante, creusée en plein coeur de la chair de la bête. On y extrayait des matériaux plus purs, mais le travail ne s’en trouvait que plus harassant, la chaire de l’amphiptère luttant et se reconstituant pour endiguer la plaie. Alejandra aurait parié que si la Révolution n’avait pas détourné tous les esprits, on aurait déjà trouvé une solution afin de dresser cette partie de l’amphiptère, comme on l’avait fait pour toutes les autres.

Pas besoin d’une grande perspicacité pour s’apercevoir que les gardes étaient particulièrement à cran, inspectant les accréditations de tous les employés commençant leur cycle. Alejandra attendait patiemment son tour dans la file, serrant dans une main les faux papiers que Tyriel avait accepté de lui fournir à défaut de pouvoir payer le service rendu, et de l’autre un joli pot-de-vin. Boda aurait intérêt à se montrer généreuse, quand elle lui aurait ramené sa gosse par la peau des fesses. Cela dit, au vu de la tension au poste de contrôle, elle n’était plus certaine que cela suffise. Mais il était trop tard pour reculer. Faire marche arrière à présent pouvait paraître suspect. Elle resta donc là, affichant un air faussement agacé par l’attente.

Une fois à hauteur de la guérite, elle tendit son accréditation avec nonchalance, comme si elle avait répété ce geste des centaines de fois. Les yeux mi-clos du garde lui prenant les papiers lui indiquèrent qu’il devait enchaîner deux cycles de travail, soit plus de douze heures, selon les critères de la surface ! Situation irrégulière car les gardes devaient être sur le qui-vive.

- C’est quoi tout ce bazar, ça prend pas autant de temps d’habitude ?! s’énerva-t-elle faussement.

- Oh ça va hein. Y a eu une petite intrusion, du coup on doit vérifier tout le monde et…commença à expliquer le garde épuisé, avant que son comparse de la guérite lui fasse signe de se taire s’il tenait à son poste.

- Ouais ben faites mieux votre boulot au lieu de faire chier tout le monde, répliqua-t-elle avec aggressivité, récupérant ses faux papiers.

Le garde plus alerte la fixa avec suspicion, n’esquissant pas un geste pour soulever la barrière.

- C’est la première fois que je te vois. Tu travailles dans quel secteur déjà ? l’interrogea-t-il ?

- C’est normal je bosse pas pendant ce cycle normalement. On m’a demandé de venir plus tôt pour réparer une défaillance sur les systèmes de purge du secteur D. Faudrait que je me bouge avant que ça fermante et que…

- Ça va ça va, c’est bon tu peux passer ! Mais traine pas!

Heureuse que sa technique est fonctionnée, elle obéit sans discuter et pénétra dans le corridor. Ce dernier n’était large que d’une cinquantaine de mètres, et délimité par des grillages et une succession de poste de contrôle. De l’autre côté plusieurs gardes peinaient eux aussi à tenir debout. Cette histoire d’intrusion n’était visiblement pas prise à la légère.

Alors qu’on la laissait franchir la dernière guérite, une lourde main s’abattit sur son épaule. Alejandra se retourna et fit face à un colosse chauve aux muscles plus saillant que l’acier sortant des forges. Il ne portait pas d’uniforme et n’avait rien d’un garde.

- Et toi, la bosse veut te parler.

La jeune enquêtrice lança un regard vers les gardes en poste qui firent mine de rien voir. Ne faisant clairement pas le poids, et n’ayant aucun moyen de s’échapper, elle obtempéra et suivit le colosse.

Elle trimait à maintenir l’allure tandis qu’il se dirigeait vers un bâtiment profondément accroché, presque moulé à un organe de l’amphiptère. Il s’agissait d’un des deux ovaires de l’animal, là où était produit et sélectionné les oeufs. À eux deux, les ovaires grâce aux éleveurs produisaient près de mille amphiptouses viables, et une dizaine d'amphiptères par an. Ceux qui ne serviraient pas à Eolna, seraient vendu à d’autres villes flottantes, ou à des compagnies de transports, garantissant la majorité des revenus économiques de la cité. Quant aux produits défectueux, ils étaient toujours bons à remplir les panses des plus miséreux, leur chair étant particulièrement pauvre en nutriments et gélatineuse.

Ce souvenir désagréable en bouche, Alejandra se laissa conduire jusqu’à une extension plus récente surmontée d’un mirador, et redoutablement garder. Cela n’empêcha pas les gardes sur le qui-vive de vivement s’écarter sur le passage du colosse et de sa… prisonnière?

Une fois les portes du site d’élevage 2 refermées derrière eux, il la conduisit à travers une succession de couloirs et d’escaliers, dépouillés et austères, et étrangement surfréquentés dans cette atmosphère palpitante.

Le colosse lui indiqua une chaise sur laquelle attendre dans une salle, avant de repartir sans un mot. Le panneau à côté du montant de la porte, indiquait qu’il s’agissait du bureau de la Superviseuse des élevages. Bien qu'elle soit relativement épaisse, Alejandra percevait des éclats de voix de l’autre côté de la porte.

Cette dernière s'ouvrit à la volée, lui laissant à peine le temps de se dégager alors qu’un homme qu’elle ne connaissait que trop bien, en sortit en trombe. L’assassin de son frère se tenait devant elle, l’expression emplit de rage. Ses rides et le grisonnement de sa moustache s’étaient accentués, mais son regard demeurait vif et perçant. La surprise se lut sur ses traits, bientôt remplacée par l’écœurement.

Alejandra ne dissimula pas sa satisfaction de le voir s’éloigner, forcer de claudiquer à cause de son attelle. Son bras métallique vient percuter l’un des murs, y laissant une profonde marque, qui ne serait sans doute jamais réparée.

Un long soupir provint alors du bureau de la Superviseuse, et une voix rendue roque par le tabac, invita Alejandra à entrer en fermant la porte derrière elle.

L’enquêtrice se retrouva face à une femme qui d’ordinaire ne devait pas manquer de distinction, mais pour l’heure semblait tout aussi harassée, que tous ceux qu’Alejandra avait croisés en franchissant le corridor. Ses lèvres, sa chevelure lâchée et son chemisier s’échappant de sa jupe noire cintrée, étaient tous les trois imbibés d’une teinture rouge carmin intense. Alejandra devait admettre que cette femme ne manquait pas de charme dans son attitude nonchalante. Ses chaussures à talons rouges avaient été jeté dans un coin de la pièce. Ses pieds nus reposant sur son bureau écrasé par la paperasse. Elle tendit une cigarette que son invitée refusa poliment, avant de l’allumer pour elle-même.

- Journée de merde, lâcha-t-elle. Vous pouvez m’appeler Errin. Je sais qui vous êtes, ce que je me demande, c’est pourquoi vous venez fouiner ici pour parler à ce petit gringalet de Grim.

L’enquêtrice n’était pas surprise que Jez est vendu cette information, c’était son second gagne pain. C’était un risque qu’elle avait accepté de prendre quand elle avait poussé la porte du Bouiboui.

- Écoutez, j’essaye de me montrer courtoise, mais je ne suis franchement pas d’humeur, alors mettez-vous à table, avant que je vous fasse coffrer vous aussi, s’impatienta la Superviseuse.

- J’enquête sur la disparition de la fille d’une amie, je sais qu'elle fréquentait le lieutenant Grim. Je voudrais l’interroger à son sujet, déclara l’enquêtrice.

- Et cette fille elle ne serait pas rousse par hasard ?

Alejandra ne cacha pas sa surprise. Jez avait soit la langue bien pendue, soit elle connaissait l’existence de Hel d’une autre manière. Pour toute réponse Errin ouvrit un tiroir et en sortit une vieille boite en fer légèrement cabossée. Cette dernière contenait largement de quoi payer le loyer d’Alejandra, pour les trois prochains mois.

- J’imagine qu’il ne s’agit pas d’un geste altruiste, se méfia-t-elle.

- Non en effet. Je connais votre réputation, du moins celle que vous aviez avant. C’est une avance pour poursuivre votre enquête en toute discrétion.

- Pour ça il faudrait que vous me disiez ce que vous savez sur cette fille et Grim.

- Très bien. Il y a onze heures, il y a eu un accident sur le site d’élevage 1. Un sabotage, plusieurs blessés. Une jeune fille rousse à été aperçue par plusieurs témoins, et d’autres certifient que c'est le lieutenant Grim qui la fait pénétrer dans le complexe. Je l’ai fait arrêter sur-le-champ et démit momentanément son père de ses fonctions. Il n’a pas apprécié comme vous avez dû le voir. Ce genre d’info est encore top secret. J’ai fait doubler les cycles de tout le personnel présent au moment des faits, mais je serai bien obligée de les laisser rentrer chez eux dans deux heures, si je ne veux pas que leur foutu nouveau syndicat me tombe dessus.

- Si je comprends bien vous voulez que je soutire le maximum d’infos de Grim avant ça, n’est ce pas?

- Vous êtes perspicace. Je vous donne six cycles vous retrouver cette gamine et les motifs du sabotage. La nouvelle Ordonnatrice va nous faire l’honneur de descendre inspecter les productions de la Carapace. Je ne me vois pas lui dire que la sécurité des élevages est mise en péril, par le fils du Commandant qui fricote avec des petites saboteuses.

Alejandra ne releva pas le dédain qu’employait Errin envers sa supérieure nouvellement nommée. Elle enquêterait sur cette nouvelle figure dans la hiérarchie de la ville sombre plus tard. Errin prévint un certain Rochi par un interphone de venir raccompagner Alejandra. Elle lui remit également un passe tamponné, lui assurant qu’il lui permettrait d’accéder à la prison. Alors qu’elle se trouvait sur le seuil où l’attendait le colosse prénommé Rochi, une question lui vient.

- Vous avez mentionné des blessés et des témoins, est-ce qu’un certain Clovis se trouvait parmi eux?

- Oui il a été gravement blessé, et est toujours inconscient. Il est à l’hôpital, ce passe devrait vous y donner accès si jamais vous voulez le voir.

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