Enquête: Disparition (5)
Errin ne s’était pas fichu d’elle avec le passe. Les gardes de la zone de détention l’inspectèrent minutieusement, mais ne trouvant rien à y redire, ils la laissèrent entrer sans poser de questions. Il était rare que la prison soit surpeuplée. Les Maçons avaient maintenu le châtiment réservé aux pires criminels. À savoir être jeté dans le Creusoir, pour en extraire le plus de chair possible, dans l’espoir de respirer à nouveau l’air délicieusement vicié de la ville sombre. Rares sont ceux qui s’en sortaient vivants. La plupart du temps on ne se fatiguait même pas à remonter leurs cadavres. Ils étaient laissés sur place, pour être dissous et ingéré par l’organisme de l’amphiptère.
Grim devait avoir tout à fait ce genre d’image à l’esprit, quand Alejandra entra dans la salle d’interrogatoire miteuse, aux murs de métaux rouillés par le sang. Le lieutenant avait été défait de tous ses atours d’officiers. On ne lui avait laissé que sa chemise et son pantalon. Sur le qui-vive, il eut un mouvement de recul quand l’enquêtrice passa la porte, accentuant l’irritation causée par les menottes, le retenant à la table. Lui le fils de commandant ne s’était sans l’ombre d’un doute, jamais retrouvé de ce côté de la loi. Cela devait expliquer l’expression de défi dans ses beaux yeux en amande d’un brun intense. À l’exception de sa chevelure de jai, il n’avait pas l’air de tenir de son père.
- Qui êtes-vous ? l’apostropha le suspect, comme s’il disposait d’une quelconque autorité sur elle.
- Quelqu’un qui n'apprécie pas ton attitude, mais qui peut peut-être te sauver les miches.
- Mon père…
- Ton père a été mit sur la touche, et vut le caractère de la Superviseuse, je doute qu’il puisse faire quoi que ce soit pour toi, avant qu’on t’ait balancé dans le Creusoir. À moins bien sur que tu te mets vite à table.
La menace était un langage plus puissant que la dignité qu’il tentait de maintenir. Il s’affaissa, se frottant le visage, révélant son épuisement.
- Qu’est-ce que vous voulez savoir? soupira-t-il.
- La fille rousse, c’est elle qui m’intéresse surtout. Dis-moi tout ce que tu sais sur elle.
- D’accord. Elle s’appelle Nephtys. En tout cas c’est ce qu’elle m’a dit. Je l’ai rencontré il y a quelques jours, alors que j’étais en permission au Bouiboui. Elle m’a plu, je me suis pas méfié, elle m’a emmené à l’Escurgeon. Elle y louait une chambre au dernier étage. C’est là que.. hésita-t-il.
- J’ai pas besoin des détails de vos parties de jambes en l’air, l’avertit Alejandra.
- Justement on n'a rien fait. En fait c’était un traquenard. Il y avait trois autres personnes avec elle, tous cagoulés. Ils m’ont proposé un marché, confessa-t-il honteux.
L’enquêtrice songea au petit groupe mentionné par Ecstasy, accompagnant Hel.
- Ces gens, tu pourrais les identifier par leur voix ?
- Non il n’y a que Nephtys qui a parlé. Elle m’a prétendu avoir besoin de dix échantillons de la zone d’élevage. Je lui ai dit que c’était trop d’un coup, que je me ferais prendre si j’en déplaçais autant d’un coup. On a conclu que je devais simplement la laisser entrer dans le complexe et sortir. Six mois de solde je pouvais pas dire non. Il y a une faille à l’arrière du bâtiment où se trouvent les cuves. Je l’ai fait rentrer, tout se passait bien mais au bout de dix minutes, il y a eu une explosion. J’ai compris que Nephtys s’était foutu de moi. J’ai voulu aider les blessés mais quelqu’un est arrivé par-derrière, et m’a assommé. Je me suis réveillé là, en prison.
Alors comme ça le fils de grand commandant Perraul, parangon de l’ordre, entretenait le trafic d’oeufs d’Amphi. Voilà qui ne plairait pas aux oreilles paternelles. Alejandra ne put réprimer un sourire de satisfaction à cette éventualité.
- Une idée de qui t’a dénoncé ?
- Aucune, surement quelqu’un qui compte reprendre le trafic, une fois que tout sera tassé.
Le jeune lieutenant en disgrâce ne pouvait l’informer sur le dérouler précis de l’accident. Une chose devenait en revanche de plus en plus limpide. Hel alias Nephtys n’était pas qu’une simple petite fugueuse.
Tandis qu’elle se levait pour mettre fin à leur entretien, il lui saisit le bras.
- Attendez ! Vous n’allez pas dire la vérité à mon père, si ?
- Quelle vérité ? Celle que son fils est un pourri cupide. Il finira bien par l’apprendre. La version officielle dira que tu es juste un pauvre imbécile, qui avait envie de vider ses couilles.
Elle retira vivement son bras, le lissant s’apitoyer sur ces deux vérités peu glorieuses.
Les blessés de l’explosion avaient été transportés dans l’aile la plus excentrée de l’infirmerie. Sans doute pour qu’on ne vienne pas fouiner. Précisément le motif de la venue d’Alejandra. L’infirmière en chef se montra récalcitrante, mais finit par céder, non pas avant d’avoir demandé confirmation au bureau de la Superviseuse, et d’avoir reçu comme réponse une sévère réprimande par interphone. L’enquêtrice n’apprécierait pas travailler quotidiennement sous la direction de cette vipère échauffée.
L’infirmière garda la tête haute et la guida jusqu’à une chambre individuelle, contenant un lit dissimulé par des rideaux défraichis.
- Je vous laisse dix minutes, pas une de plus, l’avertit l’infirmière sermonnée.
Alejandra ne prit même pas la peine de lui répondre. Elle s’avança et écarta vivement les rideaux. Si elle n’avait pas su qu'il se trouvait allongé là, elle ne l’aurait pas reconnu. La moitié de son visage était recouvert de bandage. Sur l’autre partie sa barbe brune presque rousse, avait disparu, rongée par une brûlure chimique. Conscient d’être épié Clovis ouvrit les yeux. Sa prunelle gris acier d’ordinaire si pétillante, était assombrie par le sang.
- Mai… Maîtresse ? hésita-t-il, étonné de la revoir là.
- Tu peux m’appeler Alejandra, tu n’es pas en état pour que je te fasse quoique se soit.
Il grimaça ou rit à ce sous-entendu. À voir la douleur qui le transperçait, il devait avoir plusieurs côtes en très mauvais état.
- On m’a missionné pour enquêter sur l’accident. Tu peux me dire ce qui s’est passé?
Parler devait être une épreuve, mais elle avait impérieusement besoin de son témoignage. Elle le laissa s’exprimer sans le brusquer.
- Ce n’était pas…un accident, haleta-t-il. J’ai entendu… du bruit. Ha! L’intruse… arh, elle tenait une.. bouteille au-dessus de la cuve. J’ai pas pu l’arrêter…. Exploser.
Voler les œufs n’était apparemment qu’un prétexte. Comment la fille de Boda s’était-elle retrouvée à mener des sabotages ? Car si le témoignage de Clovis était fiable, cela n’avait rien d’un accident, et recoupé avec les dires de Grim, Hel ne travaillait pas seule.
- J’ai besoin des détails. Est-ce que tu te souviens s’il y avait quelqu’un avec elle?
- Non, y avait qu’elle…. Je crois… Mais la bouteille je sais d’où elle vient. C’est de l'huile minérale. Arg… Pour découper… dans l’usine… arg Putain!
Tout son corps se crispa de douleur. Alejandra hésita à appeler les infirmiers, mais il parvint à se calmer, et après un long moment il reprit:
- Celle des Pontes Dioscure. J’ai travaillé chez eux… y a que là qu’on l’utilise.
- Ça me suffit reposes-toi, tu l’as mérité, lui souffla-t-elle.
Il retint sans force sa main dans un geste presque tendre.
- Je suis désolé, de pas être revenu… je devais…
- C’est bon, l’interrompit la jeune femme.- Ce n’est que partie remise. Quand tu seras en état, viens me voir, je te remettrai sur pied, susurra-t-elle suavement à son oreille, avant de le quitter en effleurant ses lèvres d’un baiser.
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