Enquête: Disparition (10)

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Alejandra peinait à retrouver son calme, s'accablant de la bêtise qu'elle venait de commettre. Après une telle démonstration, l'Ordonnatrice ne la laissera jamais remonter à la surface. Même si Errin comptait respecter sa promesse, elle ne mettrait pas sa place en jeu pour sauver ses fesses. Elle avait merdé.

Sans le chercher, elle se retrouva sous un petit préau de tôle à l'arrière du Bouiboui. Dans une autre vie c'était un minable refuge, quand elle n'arrivait plus à supporter la clientèle du cabaret. Elle y fumait un bien meilleur tabac qu'aujourd'hui, son frère la rejoignant pour la taquiner. Poldan avait toujours eu une affection pour ce lieu, pour cette ville sans ciel, qu'elle n'avait jamais vraiment comprise ni partagée. Si les rôles avaient été inversés ce jour-là. Si Perraul avait logé une balle dans sa tête, et que son frère avait vécu, il aurait trouvé le moyen d'être heureux ici, dans le ventre d'une bête avide d'espoir.

- Tenez. Jez dit que c'est le meilleur de la maison, retentit une voix joviale dans son dos.

Alejandra ne l'avait pas entendu se faufiler, et ne l'aurait pas reconnu sans son carré de cheveux roses. Caché sous un court manteau, seuls les collants pailletés et les bottes iridescentes de mauvaise qualité, révélaient le costume de scène d'Ecstasy. L'Enquêtrice prit la bouteille, qui effectivement était loin d'une affreuse piquette.

- Merci. Vous présenterez mes excuses à Jez pour ce pitoyable spectacle. Si jamais, je ne demande aucun salaire, railla-t-elle sans joie.

- J'ai trouvé ça très divertissant. Surtout la partie où cette redingote s'est fait escorter dehors. La tête qu'elle a tirée, lui apprit l'artiste.

Alejandra sourit à cette vision. Son petit numéro aurait sans doute des répercussions, mais pour le moment, la clameur atténuée de la fête, avait repris son cours. Un silence respectueux s'installa entre les deux femmes. L'Enquêtrice trouvait sa compagnie bien plus agréable ainsi, cependant elle n'avait vraiment fini de l'interroger lors de leur première rencontre.

- L'autre fois, vous m'avez dit que ça ne serait pas amusant, si vous me racontiez tout ce que vous savez. Pourquoi ?

- Peut-être que je sais des choses, peut-être que non. Même moi je ne le sais pas. Ça dépend de ce que vous voulez savoir, sourit Ecstasy mystérieuse.

Si la discussion avec Zandre ne l'avait tant épuisée, elle aurait fulminé devant une réponse si nébuleuse.

- J'imagine que la gamine n'est pas revenue au Bouiboui ? Ni aucun de ses complices ? soupira-t-elle.

- Non. Vous avez une autre piste ?

Plusieurs en réalité, la liste des employés de la manufacture, et les restes d'explosif. Alejandra trépondre, mais se souvient dans quelles oreilles tomberaient ces informations, et quelle langue les répéterait.

- Peut-être. Cette histoire est un nid à emmerdes, éluda-t-elle.

- Vous comptez abandonner ?!

- Je pensais que cette enquête me servirait à quelque chose, à me tirer de ce bourbier. Mais elle ne fait que m'enfoncer davantage.

Ecstasy vient se placer face à elle. Toute jovialité ayant quitté son visage, elle semblait plus âgée et presque... dangereuse.

- Vous avez fait une promesse. À une mère. Ce sont ceux qui se fourvoient et se parjurent qui se condamnent eux-mêmes, prononça-t-elle d'une voix solennelle, avant de retourner à l'intérieur du cabaret.

Alejandra demeura là, ressassant les paroles de l'énigmatique femme si semblable aux préceptes de son mentor Rioma. Elle devait cependant admettre qu'elle avait raison. Elle avait fait une promesse à Boda, et se devait d'au moins se retrouver dans une impasse pour abdiquer.

Elle était épuisée. Même la perspective de retrouver son logement crasseux et solitaire l'enchantait. Cependant, Rochi l'avait devancée, et Errin attendait son rapport. Elle reprit donc le chemin des élevages. Cette fois-ci nul besoin de s'introduire discrètement, les gardes la reconnurent et la laissèrent entrer. Le personnel fut beaucoup plus réduit que lors de sa visite précédente. La Superviseuse avait relaché ses employés, qui ne pouvaient donc contempler ses traits tirés, ni supporter son irritabilité. Elle tressaillit quand Alejandra toqua à la porte entrouverte de son bureau.

- Enfin vous revoilà. J'espère que vous aviez une bonne raison de me faire attendre !

- Vous me payez pour enquêter, pas pour vous dédier chaque heure de mon temps, ni pour supporter votre mauvaise humeur ! rétorqua l'Enquêtrice qui n'avait aucune intention de lui dévoiler sa conversation avec Zandre.

Errin inspira profondément pour reprendre contenance. La Superviseuse se réinstalla droite dans son fauteuil, ses bras serrant les accoudoirs comme pour l'empêcher de chuter.

- Depuis quand n'avez-vous pas mangé ni dormi ? s'enquit Alejandra.

- Depuis que des terroristes s'en sont pris à mes élevages, et que je dois avoir leurs têtes si je veux un jour quitter ce dépotoir. L'Ordonnatrice a envoyé une subalterne, et elle préfère rencontrer les Pomtes plutôt que moi ! J'en ai assez d'être humiliée, soupira-t-elle.

Alejandra songea que dans cet état, elle renverrait une image encore moins flatteuse que sa propre prestation au Bouiboui. Hors, s'il lui restait la moindre chance de retrouver une vie à la surface, il fallait que son employeuse se ressaisisse, et vite.

- L'Ordonnatrice vous parlera elle-même. Sortez les fesses de ce bureau. Prenez une douche, dormez, et tachez d'avaler quelque chose. Ou sinon elle préfèrera vous jeter au fond du Creusoir, plutôt que de vous supporter, affirma-t-elle avec autorité sans ciller.

Peut-être si elle avec disposé de toutes ses facultés, Errin l'aurait envoyée paître, mais elle n'en avait pas l'énergie. Un faible sourire apparut sur ses lèvres, et avec une grâce toute relative elle se leva, saisit sa paire d'escarpins posée sur une chaise, et un dossier.

- Tenez, c'est arrivé il y a quelques minutes. Les noms des employés de la manufacture. Je vous fais confiance pour trouver l'identité du voleur avant mon entrevue avec l'Ordonnatrice.

Alejandra acquiesça et prit le dossier heuseument fin. Alors qu'elle s'écartait pour laisser sortir la Superviseuse, le grondement de pas lourds gravissant des marches quatre à quatre retentit. Rochi apparut au bout du couloir, le visage grave.

Dans un soupir d'exapération contre le sort, Errin remit ses chaussures et donna ses dernières consignes.

- Rentrez chez vous et bûchez là-dessus. Ah oui! Je n'ai pas réussi à dénicher votre indic, celui qui devait examiner la bombe, peut-être aurez-vous plus de chance.

La Superviseuse retourna dans son bureau suivie de son colossal garde du corps. Une fois la porte refermée, Alejandra fut prête à parier que l'ambitieuse Superviseuse, n'aurait pas le temps de suivre ses conseils.

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