Son corps épuisé, suppliait de le laisser se reposer, mais l'esprit affuté de l'Enquêtrice s'y refusait. Le dossier des employés de la manufacture, étalé sur sa paillasse, n'allait pas lui faciliter la tâche. À croire le Pomte Dioscure espérait qu'elle trime des heures à décortiquer des méandres de tableaux administratifs. Pas de chance pour lui, elle excellait dans ce genre d'exercice. En une heure, elle parvint à identifier deux noms d'employés correspondant aux critères, avant de s'écrouler de fatigue.

Elle se réveilla au contact froid du canon d'une arme contre sa joue.

- Pas de gestes stupides. A moins que vous souhaitiez rejoindre votre frère, murmura la voix de Perraul.

Il ne portait aucun uniforme ni insigne de fonction, il était donc toujours suspendu depuis l'arrestation de son fils. Quant à sa motivation pour entrer par effraction chez ell, et la menacer, elle allait la découvrir, avant de se faire une joie de se venger du meurtrier de Poldan.

- Que me vaut le déplaisir ex-commandant ? maugréa-t-elle, l'arme frottant contre ses dents à travers sa peau.

- Commandant toujours. J'aurais bientôt repris mes fonctions, grâce à ce que vous avez là, assura-t-il en désignant de son bras métallique, les documents éparpillés.

- Dans ce cas pourquoi j'suis encore en vie. Ce n'est comme si vous n'aviez jamais exécuté quelqu'un à genoux, le nargua-t-elle.

Une ombre apparut quelques secondes sur le visage de l'homme, qui écartait l'arme du visage de l'Enquêtrice. Cette dernière paria qu'il mesurait les bénéfices qu'il obtiendrait à laisser en vie. Elle allait lui en fournir dans ce cas.

- Ou bien vous savez que vous perderiez un temps précieux à me tuer. De plus, j'ai une piste et pas vous. Et mon cadavre ne vous dira rien. De mon point de vue, c'est vous qui devriez être en train de plaider votre cause, ajouta-t-elle en sortant un couteau dissimulé sous la paillasse, en le pointant sur l'artère fémorale du militaire.

- Très bien, grogna-t-il à court d'option. Si vous êtes capable de contenir votre haine, je vous propose de nous entraider. J'ai des contacts, une arme et quelques informations que vous n'avez pas.

Étrangement, Alejandra ne rechignait pas à cette alliance contre nature. Tant qu'elle lui fournirait l'occasion de le tuer de ses propres mains. Derrière son calme apparent, Perrault devait se douter de ses intentions. Il devait être désespéré pour avoir recours à son aide. Mais la vengeance attendrait, pour le moment c'était les informations qu'il prétendait détenir qui l'intriguaient. La femme écarta donc son couteau avant de se relever, écartant les mains en signe de paix.

- J'accepte votre collaboration commandant, mais j'ai besoin de quelles infos vous parlez.

- En réalité, c'est plutôt quelqu'un qui peut nous donner les réponses que nous voulons. Si vous venez avec moi, je nous conduirai à lui.

Alejandra tiqua, mais fit bonne figure et ravala une réplique hargneuse. Tandis qu'elle rassemblait le dossier éparpillé, Perraul ajouta.

- Ah oui, j'apprécirais que la Superviseuse ignore tout de notre petit arrangement. Elle m'a fait enfermer dans ma propre maison. Je ne compte pas donner plus de satisfaction à cette enflure.

La femme ne fit pas de commentaire, mais se fit la réflexion que c'était sans doute l'évasion du Commandant, que Rochi était venu annoncer à Errin quelques heures plus tôt. Si elle jouait bien son coût, la Superviseuse aurait une raison de plus de la remercier de ses services. Pour l'heure, Perraul était plus utile vivant, mais Alejandra se le jura, son tour viendrait.

L'aurore perçait les yeux multi-centenaires d'Eolna, mais en son coeur nul soleil perçait.

Alejandra laissa Perraul les guider à travers les dédales de la ville sombre. Le Commandant, bien que démis de ses fonctions, ne manquait pas d'alliés parmi ses subordonnés fidèles, qui avaient pris le risque de l'aider à s'échapper et à l'armer. L'Enquêtrice l'expliquait plutôt par la promesse d'un avancement. Les soldats, comme tous les autres, ne croyaient guère à la loyauté ou autres conneries du genre. En revanche, que son ennemi juré en sache autant sur son enquête l'alarmait. Il savait qu'elle examinait le dossier des employés de la manufacture, et prétendait connaître quelqu'un pouvant fournir des réponses. Comment avait-il pu obtenir ces informations ? Errin ne les laisserait jamais circuler dans les élevages, alors avait-il contacté un des nombreux pourvoyeurs de la Pomte Elpis, qui concentrait la plupart des circuits d'informations de la Carapace ? Alejandra rongea son frein. Elle lui arracherait plus facilement des réponses quand elle aurait, elle aussi, une arme dans les mains.

Perraul les guida jusqu'à une paroi de chaire à au nord-ouest de la ville sombre. Sous leurs pieds, le lourd battement de coeur et les poumons expirants de l'Amphiptère se confondaient, faisant vibrer le sol. Alejandra détestait ces moments qui lui rappelaient qu'elle vivait dans un être si gigantesque, qu'il n'avait aucune conscience de son existence, ou tout du moins c'est ce qu'elle supposait.

La paroi, comme partout dans la ville sombre, était truffée de bouches d'évacuation menant à des conduits organiques et artificiels, servant à l'entretien. La plupart devenaient hors d'usage au bout de quelques années. La nature des cellules régénératives de l'organisme finissait par les obtruer. Il était donc plus économique d'en percer de nouveaux. Cependant, il n'était pas rare que ces anciens conduits désafectés soient utilisés pour des activités illicites, si cela avait un sens dans cette ville.

L'instinct de l'Enquêtrice ne l'avait pas trompé. Le meurtrier de son frère, grâce à la force de son bras mécanique, déscella une grille rouillée et l'invita à le suivre. Si c'était un piège, elle y fonçait tête baissée. Elle n'avait pas vraiment le choix, le conduit spongieux ne lui permettant que de ramper, avant de légèrement s'incliner, les faisant glisser dans des fluides odorants, qu'Alejandra craignait d'identifier.

- J'espère que ce que vous avez trouvé en vaut la peine, pesta-t-elle en essorant sa veste imbibée de substances inqualifiables.

- À vous de me le dire. C'est votre indic non ?

Au centre d'un petit réservoir désaffecté, se tenait attaché et menotté à une chaise, un homme qu'elle faillit ne pas reconnaitre : Tyriel.