Réminiscence du passé (5)
Elle n'avait que de vagues souvenirs de sa libération. C'était quelques mois après la disparition de Poldan. Elle avait été baladée de prison de fortune, aux sous-sols de la Vigie, le temps que le nouveau régime décide de son sort. Javier, son père avait nourri l'ambition de voir ses enfants anoblis. Ironiquement, c'est son statut de roturière qui avait sauvé la vie de sa fille. Ça, et le fait qu'elle ait rejetée la foi des Apôtres. La clémence des Maçons avait ses limites. Elle était devenue une citoyenne de seconde zone, confinée sous la Caparace, sans la moindre ressource. Personne n'aurait accepté d'aider une partisane de l'ancien régime. Sauf peut-être Jez, mais Alejandra ne supporterait pas de retourner au Bouiboui.
Elle erra plusieurs cycles durant, de squat et squat, se faisait passer à tabac, manquant d'être éventrée. Tyriel la trouva affamée, terrassée par la fièvre Nergal, qui sévissait dans les bas-fonds insalubres et mal aérés de la ville sombre. Elle n'avait pas eu la force de résister. Transportée jusqu'à son "piètre logis", comme il l'appelait, il prit soin d'elle sans rien attendre en retour. Un dévouement qui échappait à la compréhension de l'ancienne enquêtrice. La première fois qu'ils s'étaient rencontrés dans sa salle d'interrogatoire, elle l'avait frappé. Il était devenu par la suite un indic très coopératif, avec pour seul défaut la fâcheuse tendance à attirer les ennuis. Elle l'avait aidé à se tirer de plusieurs guépieds, était-ce une manière de lui rendre l'appareil ? Au final, cela importait peu.
Alejandra ne l'aurait jamais admis, mais elle ne se serait jamais relevée sans lui. Une remise de la maladie, il lui trouva des petits boulots, certes peu gratifiants mais qui avaient l'avantage de l'occuper. Elle crécha six mois durant chez lui, sur un vieux futon ou parfois dans son lit. Il n'y avait aucun malentendu entre eux. Elle avait besoin de chaleur et d'oublier sa peine, lui aimait le sexe gratuit. Cet arrangement convainc un temps, mais Alejandra finit par vouloir reprendre en main sa vie.
La jeune femme ne finirait pas ses jours dans cet enfer organique. Sa place l'attendait là-haut, et le voyage serait long pour y parvenir. Il commençait par retrouver son indépendance. Grâce aux quelques économies qu'elle avait réalisées, elle loua son propre "piètre logis" à deux pas de celui de Tyriel. Leur relation demeura amicale, avec quelques écarts. Pourtant elle ne s'était jamais sentie proche de lui. Il demeurait un malfrat. Sympathique mais un malfrat aux ambitions limitées, cantonné à survivre dans la ville sombre, tandis qu'elle aspirait à la quitter par tous les moyens. Si vous cessez de les agiter ensemble, l'eau et l'huile ne se mélangent pas.
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