« Vous éprouvez des difficultés à dormir ? »

Bien joué Sherlock, t'es un vrai génie, j'espère que t'en es conscient ?

« Oui, un peu, qu'il répond au toubib.

• Depuis combien de temps ?
• Environ trois mois, quelque chose chose comme ça » qu'il dit en se grattant la tête, comme pour réfléchir à la question.

« Quelque chose de particulier ? »

Ouais, je veille pour reluquer ma Voisine en train de se faire sauter. Ça prend pas mal de temps.

« Non, pas vraiment. Rien de particulier.

• Du stress ? Un événement troublant qui s'est produit récemment ? Vous suivez un traitement ?
• Non, rien de tout ça, non, répond Stéphane. C'est peut-être les jeux vidéos, j'ai tendance a jouer plus tard en ce moment. »

Le toubib en train de taper à l'ordinateur, le nez vissé sur son clavier, surveillant que ses deux index frappent bien les bonnes touches. C'est pas croyable ce qu'il est lent, alors qu'il doit bosser tous les jours devant son PC. Il s'arrête tout net quand Stéphane lui balance l'explication jeux vidéo, et il le regarde par-dessus ses petites lunettes rondes. Impossible que ça signifie autre chose que : « mon garçon, c'est l'explication la plus débile que j'ai jamais entendue de ma vie », ou bien : « Des jeux vidéos ? À ton âge ? »

Stéphane opte pour la deuxième solution, et le doc lui donne raison :

« C'est possible. Nous avons une horloge interne, et on pourrait dire que la lumière solaire est l'aiguille du cadran. En l'absence de lumière du soleil, la fatigue vient naturellement le soir. C'est pour ça que les gens ont souvent l'impression d'être plus fatigués en hiver. Le problème avec les écrans, que ce soit la télévision, l'ordinateur, les téléphones ou bien les tablettes, c'est qu'ils émettent de la lumière bleue. Et cette lumière là, nos yeux la prennent pour de la lumière solaire. Donc la fatigue que vous devriez naturellement ressentir vient plus difficilement. Et vous savez bien que les jeux vidéo excitent compte de tenu de l'attention qu'ils demandent au cerveau.

• Oui, je vois...
• ça ne vous ferez pas de mal d’arrêter les jeux, et même d'éviter toute exposition aux écrans de manière générale, au moins une heure avant de vous coucher. Mais je ne pense pas que ce soit la cause de vos insomnies. Plutôt une conséquence. Vous avez du mal à trouver le sommeil, donc vous vous occupez. Ce qui ne vous aide pas à trouver le sommeil.
• Un cercle vicieux, conclut Stéphane.
• C'est ça, acquiesça le docteur. Pour le moment, je vais vous prescrire un somnifère, à prendre juste avant d'aller dormir. Vous prenez la voiture pour aller au travail ?
• De temps en temps, quand il pleut. Généralement j'y vais à pied. »

Même si Stéphane y va bien plus souvent en voiture qu'à pied. Même quand il ne pleut pas.

« Bien, évitez au maximum de conduire pendant le traitement. Les Benzodiazépines agissent encore le lendemain, et ils peuvent causer des somnolences et une baisse de l'attention et des réflexes. Je vous conseille de vous acheter un parapluie. »

Le toubib sourit, Stéphane non. Alors le toubib range ses lèvres sous sa moustache.

« Et voilà. Je vous imprime l'ordonnance. On se revoit dans deux mois pour voir comment ça évolue ?

• D'accord, fait Stéphane.
• Bien. Ça fera deux-cents-cinquante-sept-millions d'euros s'il vous plaît. »

C'est pas tout a fait ce chiffre-là qui sort de la bouche du toubib, mais c'est ce que Stéphane entend. Le dépassement d'honoraire ce sera pour sa pomme. Mais il paie sans rechigner et sans rien dire. Parce que c'est un médecin, et que c'est un beau métier.

Il va même jusqu'à lui donner du « merci » en sortant de son bureau. Même qu'il lui serrre la main. C'est qu'une fois dehors, alors qu'il se gratte les yeux pour la millième fois, qu'il se demande si le médecin moustachu se lave les mains à chaque fois qu'il serre la paluche d'un patient.