Chapitre 6
La veille, il ne s’est rien passé dans l’appartement d’en face. Ni l’avant-veille. Ni la veille de l’avant-veille (peu importe comment on appelle ça). Deux semaines qu’il s’est fait prescrire des médocs à sommeil, et rien ne s’est arrangé. C’est qu’il ne les a pris qu’une seule fois, aussi. Dès qu’il est sorti du cabinet, il a foncé à la pharmacie la plus proche, est rentré chez lui, et s’est envoyé un cocktail d’eau minérale pure et de somnifère à 21h30 pétante. Et pour la première fois depuis plusieurs mois, il avait réussi à pioncer. Le lendemain, frais comme un gardon, Stéphane s’était senti revivre.
Et pourtant, pourtant…
Stéphane s'était demandé ce qu’il avait loupé pendant sa nuit faite de rêves. Rien, probablement. Mais s’il s’était passé quelque chose ? Et s’il s’était vraiment passé quelque chose ? L’idée lui avait tordu le bas-ventre. Alors quand était venu le moment raisonnable d’aller au lit, Stéphane avait préféré se passer de somnifère, pour veiller à la fenêtre qui donne chez la Voisine.
Tout comme il veille à présent, les médocs du dodo remisés dans un quelconque tiroir. Bien assis, sur la petite chaise qu’il a installée juste devant la vitre, avec une petite table de chevet juste à côté, où trônent une petite boite de mouchoir et une grosse paire de jumelles. 67,99€ au lieu de 177,01€ sur Amazon (les jumelles), et livrées en un jour ouvré ! Bien sûr, Stéphane avait pensé à supprimer l’option de renouvellement automatique à l’issue de la période d’essai d’Amazone prime. Il s’était déjà fait couillonner avec la carte adhérent de la Fnac, et il ne comptait pas se faire prendre pour un con une deuxième fois.
Il attend deux heures et fume trois clopes (sans prendre la peine d’ouvrir la fenêtre), avant de découvrir le salon de la voisine dans une explosion de lumière. C’est une femme qui l’accompagne, cette fois-ci. Stéphane ne lui connaissait pas d’amie, mais il n’a jamais pensé qu’elle n’en avait pas. Un quart d’heure plus tard, il lui parait clair que la soirée s’annonçe comme le modèle adulte d’une pyjama-party : cocktails maisons, films et junk-food, avec T-shirt et culotte en guise de pyjama.
Stéphane décide qu’il est temps de raccrocher les jumelles et de s’en aller dodo. C’est clair qu’il ne se passerait rien de bien intéressant ce soir, et une bonne nuit de sommeil ne lui ferait pas de mal. Un lendemain sans fatigue et sans remords se profile à l’horizon, et c'est avec enthousiasme qu’il repose les jumelles sur la petite table de chevet, à la verticale.
Mais c’était sans compter sur la voisine, qui s’approche de sa copine pour l’embrasser sur les lèvres. Stéphane attrape de nouveau les jumelles, faisant tomber la petite boite de mouchoirs au passage, et colle les lentilles bien près de la fenêtre. La voisine a l’air de s’excuser, et la copine a l’air troublée. Et puis de fil en aiguille, elles se retrouvent à se brouter le minou à tour de rôle. Et puis viennent les sex-toys. Décidément, la pas si jeune femme qui vit de l’autre côté de la rue, dans l’immeuble d’en face, ne cesse jamais de l’étonner. Ni de l’exciter.
Du moins, jusqu'à ce qu'il reçoive une convocation des flics, deux semaines plus tard.
Annotations
Versions