Chapitre 4 – L’université
Anna enfourcha sa moto et quitta le bar Edge, situé dans le quartier de la Folie-Méricourt. C’était un des lieux les plus atypiques de Paris depuis que la ville était devenue une mégalopole hyperconnectée et hyper polluée. Elle se dirigea vers l’université de la Sorbonne, où elle devait revoir son mémoire avec son professeur d’histoire. Elle n’avait que dix minutes pour parcourir les six kilomètres qui la séparaient de son rendez-vous.
Elle démarra en trombe et se lança dans la circulation. Anna enclencha le mode discrétion de sa moto, la rendant floue à tous les systèmes de surveillance. Elle slaloma entre les véhicules, qui roulaient à des vitesses folles sur les autoroutes surélevées. Elle frôla les piétons, qui marchaient sur les trottoirs bondés ou traversaient les passages cloutés sans regarder. Elle ignora les caméras et les capteurs biométriques qui scrutaient chaque visage, chaque geste, chaque pulsation. Elle ressentit un frisson d’excitation à l’idée de défier la technologie omniprésente et oppressante. Elle ressentit un sentiment de liberté à l’idée de tracer sa route sans se soucier des conséquences.
Elle arriva au boulevard Beaumarchais, qu’elle remonta jusqu’à la place de la Bastille. Elle vit le monument historique, transformé en un gigantesque écran publicitaire qui diffusait des messages subliminaux. Elle tourna à droite et emprunta le boulevard Henri IV. Elle longea l’île Saint-Louis, où se trouvaient les résidences luxueuses des élites et des célébrités. Elle traversa le pont de Sully, qui enjambait la Seine. Elle aperçut le fleuve, assombri par la pollution et envahi par des algues lumineuses. Elle éprouva un sentiment de dégoût à l’idée de voir la ville défigurée par la corruption et les plans purement financiers des corporations. Elle éprouva un sentiment d’impuissance à l’idée de ne rien pouvoir changer à cette situation. Pour le moment.
Elle continua sur le boulevard Saint-Germain, qu’elle suivit jusqu’à la place Maubert. Elle vit les boutiques et les cafés, qui affichaient des prix exorbitants ou proposaient des services illégaux. Elle tourna à gauche et entra dans le Quartier latin. Elle passa devant le Panthéon, qui abritait les tombeaux des grands hommes et femmes de la nation. Elle arriva enfin à l’université de la Sorbonne, qui était le dernier bastion du savoir hors de contrôle des corporations à Paris. Enfin elle l’espérait.
Anna descendit de sa moto et la verrouilla avec son implant neural. Elle se dirigea vers l’entrée de l’université, qui était gardée par des drones de sécurité. Elle passa son bracelet biométrique devant le lecteur, qui vérifia son identité et son statut d’étudiante. Elle entendit une voix synthétique lui souhaiter la bienvenue. Elle pénétra dans le hall, qui était bondé d’étudiants, de professeurs et de chercheurs malgré l’heure tardive. Elle découvrit sur les écrans holographiques les dernières informations sur les cours, les conférences et les événements. Elle vit des bornes interactives qui proposent des services divers, comme des livres numériques, des simulations virtuelles ou des consultations médicales. Elle remarqua les implants cybernétiques qui brillaient sur les visages et les corps des étudiants. Elle vit des robots qui se chargeaient du nettoyage, de la maintenance et de la surveillance.
Elle se fraya un chemin jusqu’à l’ascenseur, qui la conduisit au troisième étage. Elle sortit et se dirigea vers le bureau de son professeur d’histoire de l’informatique, le docteur Lefèvre. C’était un homme d’une soixantaine d’années, qui avait conservé une apparence humaine malgré ses nombreuses augmentations cybernétiques. Il portait des lunettes connectées, qui lui permettaient d’accéder à une multitude de données historiques. Il portait aussi un bras mécanique, qu’il avait perdu lors d’une manifestation contre le pouvoir des corporations. Il était connu pour être un érudit passionné et un militant engagé.
Anna frappa à la porte du bureau, qui s’ouvrit automatiquement. Elle entra et vit le docteur Lefèvre assis devant son ordinateur, qui projetait une image en trois dimensions de la machine d’Anticythère. Il leva les yeux et lui sourit.
Anna fut fascinée par le spectacle. Elle vit la machine tourner lentement sur elle-même, révélant ses rouages complexes et ses inscriptions mystérieuses. Elle ressemblait à une boîte en métal ornée de cadrans et de pointeurs. Elle était composée de plus de trente engrenages en bronze qui s’emboîtaient les uns dans les autres. Elle portait des marques en grec ancien qui indiquaient les noms des planètes, des constellations, des mois et des jours. Elle était capable de calculer les positions des astres et les dates des éclipses avec une précision étonnante. Elle était considérée comme le premier ordinateur analogique de l’histoire.
- Bonjour Anna, dit-il. Dix minutes en retard, tu t’améliores. Viens t’asseoir, nous allons parler de ton mémoire. Il porta sa main sur la monture de ses lunettes pour faire disparaitre d’hologramme.
Anna s’assit en face du docteur Lefèvre.
- Désolé. S’excusa Anna.
- Alors, parlons de ton mémoire. Tu as choisi un sujet très intéressant : l’évolution des implants cybernétiques et leur impact sur la société. Tu sais que c’est ma spécialité. Quelle est ta problématique ?
- Eh bien, dit Anna en branchant son implant neural sur l’écran géant interactif qui trônait sur tout un plan de mur. Je me suis demandé comment les implants cybernétiques ont transformé la perception de soi et des autres, et comment ils ont créé de nouvelles formes d’identité et d’appartenance.
- Très bien, dit le docteur Lefèvre. Et comment as-tu procédé pour répondre à cette question ?
- J’ai fait une étude historique et sociologique des implants cybernétiques, en me basant sur des sources variées : des documents officiels, des articles scientifiques, des témoignages personnels, des œuvres d’art…
- Et quels sont tes principaux résultats ?
- J’ai identifié trois grandes périodes dans l’histoire des implants cybernétiques : la période pionnière, la période démocratique et la période contestataire.
Anna lança une présentation holographique qui illustrait ses propos.
- La période pionnière va des années 2020 aux années 2040. C’est à cette époque que les premiers implants cybernétiques apparaissent, principalement dans le domaine médical. Ils servent à remplacer ou à améliorer des organes ou des membres défaillants ou endommagés. Ils sont réservés à une élite fortunée ou à des cas exceptionnels. Ils sont perçus comme des prothèses ou des outils, et non comme des parties intégrantes du corps ou de la personnalité. Ils sont souvent cachés ou dissimulés sous la peau ou les vêtements.
Anna montra des images de personnes portant des implants discrets ou invisibles.
- La période démocratique va des années 2040 aux années 2060. C’est à cette époque que les implants cybernétiques se généralisent et se diversifient. Ils servent non seulement à réparer ou à augmenter les capacités physiques ou mentales, mais aussi à exprimer son identité ou sa créativité. Ils sont accessibles à tous les niveaux de revenus et de classes sociales. Ils sont perçus comme des extensions ou des ornements du corps ou de la personnalité. Ils sont souvent affichés ou mis en valeur par la peau ou les vêtements.
Anna montra des images de personnes portant des implants visibles ou extravagants.
- La période contestataire va des années 2060 à nos jours. C’est à cette époque que les implants cybernétiques deviennent un enjeu politique et social. Ils servent non seulement à se différencier ou à se divertir, mais aussi à se défendre ou à se rebeller. Ils sont soumis à des régulations et à des contrôles de plus en plus stricts par les corporations. Ils sont perçus comme des armes ou des symboles du corps ou de la personnalité. Ils sont souvent modifiés ou piratés. C’est à ce moment précis que la relation entre cybernétique et perte d’humanité est étudiée.
Anna montra des images de personnes portant des implants dangereux ou subversifs.
- Voilà, dit Anna en terminant sa présentation. J’ai essayé de montrer comment les implants cybernétiques ont influencé la façon dont les gens se voient et se montrent aux autres, et comment ils ont créé de nouvelles formes d’expression et de résistance.
- Bravo, dit le docteur Lefèvre en applaudissant. C’est un excellent travail. J’aurais besoin de rajouter des commentaires, peux tu me donner accès aux fichiers.
Bien sûr, Docteur Lefèvre, voici l’accès, dit-elle.
Anna s’aperçoit que tout son dossier, ses textes, ses vidéos, ses présentations s’effacent. Que se passe-t-il professeur s’affola-t-elle.
- Comme je viens de vous le dire, vous avez effectué un travail remarquable. Le professeur se leva, éteins l’écran de présentation, et s’assois sur la table au plus près d’Anna.
- J’aurais accepté cela pour la plupart de mes étudiants. Mais pas vous. J’attends mieux de vous, j’attends surtout un autre sujet plus approfondi.
- Et que voulez-vous que je fasse, docteur Lefèvre ? Quel est le sujet que vous voulez que je traite ? Elle avait tant espéré que son professeur apprécierait son travail.
- Le sujet que je veux que vous traitiez, c’est le mystère. Le professeur pointa du doigt la projection 3D de la machine d’Anticythère. Regardez cela. Cela fait plus de 2000 ans que cette machine a été créée et on n’a toujours pas découvert la vérité sur son origine, son fonctionnement et son but. Mais cela, c’est mon domaine de recherche. Je veux que vous trouviez votre propre mystère, que vous cherchiez à le résoudre, et pas que vous me fassiez un exposé d’un élève docile qui répète sagement ce qu’il a appris. Vous valez beaucoup mieux. Le professeur se rapprocha d’Anna et la fixa avec intensité. Anna était surprise par la réaction de son professeur. Elle sentit son regard peser sur elle et se demanda ce qu’il attendait vraiment d’elle.
- Comment voulez-vous que je fasse cela, il me reste que trois mois avant la soutenance ? dit-elle d’une voix hésitante. Elle n’était pas sûre de vouloir suivre les conseils du professeur,
Mon rôle, c’est de vous stimuler, de vous pousser à aller plus loin. Le temps qu’il vous reste, c’est votre problème. Le professeur sourit d’un air sarcastique. Il savait qu’Anna n’avait pas le choix. Si elle voulait réussir son examen, elle devait faire ce qu’il disait.
- Je vous revois dans un mois même jours, même heure, le professeur descendit du bureau et montra la sortie d’un geste. Avant de retourner à son bureau.
- Merci professeur, murmura Anna encore abasourdie par la demande de recommencer son travail.
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