Le porteur de lumière
Lucien était un paisible retraité vivant dans un petit village de bourgogne au milieu d’une campagne tout aussi paisible que lui. Depuis le décès de sa femme, survenu quelques années auparavant, Il avait une passion dévorante à laquelle il consacrait la plus grande partie de ses journées. Il se levait chaque matin avec entrain pour suivre un rituel immuable. Il passait en revue sa collection insolite et éprouvait un plaisir indicible à choisir lequel de ses petits pensionnaires allait illuminer sa journée. Chacun d’eux, capturé à force de patience et d’habileté, était enfermé dans un récipient en verre. Peu importait la forme de l’écrin ; vase, pot, bocal, boîte, tube, alambic, cristallisoir, pourvu que son contenu fût visible. Il choisissait l’un d’eux, le prenait avec délicatesse et le déposait sur la petite table de son salon. Puis il se préparait une tasse de café, prenait place dans son fauteuil et contemplait l’objet.
Il pouvait rester ainsi pendant de longues heures.
Lucien collectionnait les fragments de lumières. La lumière blafarde et blême de l’aube, la lumière évanescente et féerique du crépuscule, la lumière froide de l’hiver, la lumière intense d’un regard, celle onduleuse d’un reflet sur l’eau, celle insolite d’un rayon au travers de la brume, la clarté indigente d’une cave, la lumière laiteuse et livide de la lune, l’éclat nacré d’une perle, la lueur surréelle d’un sourire, la lumière tamisée d’une parole rassurante, le reflet lumineux d’un front jupitérien, le halo vacillant d’une bougie, le clair-obscur d’un ciel nuageux, la flamme rouge et chaude d’une affectueuse accolade, l'éclat pur et profond du désert.
Lucien disposait ses morceaux de lumière afin de les adoucir, de les filtrer, de les tamiser, de les affaiblir lorsqu’ils étaient éblouissants ou au contraire il cherchait à les libérer, les répandre, les diffuser si la flamme qui les animait était trop vacillante.
Lucien manipulait ses objets de lumière avec soin.
Sa petite maison au toit de chaume rayonnait comme un phare au milieu de la plaine.
Il recevait peu de visite tant sa manie était peu comprise. Il faisait figure de sorcier et inspirait un certain rejet. Les habitants du village voisin faisaient un détour lorsqu’ils devaient passer à proximité.
Ainsi les années passèrent et Lucien entra dans le grand âge, mais sa passion ne faiblissait pas. Il avait parcouru des distances de plus en plus grandes pour récolter le moindre rayon de lumière et sa collection occupait désormais tous les espaces de son refuge.
Lucien se rassasiait de lumières, elles lui permettaient de voyager, de s’affranchir des frontières, des préjugés et des injustices. Juché sur ses rayons lumineux, il parcourait l’espace et le temps et découvrait chaque jour de nouveaux paysages.
Cependant les forces de Lucien déclinaient et il savait que le jour était proche ou il devrait entamer son dernier voyage. Il était maintenant prêt à poser sur la table du salon le premier flacon de sa collection, celui qui l’avait décidé à s’engager dans cette quête, le plus beau, le plus précieux. Ce flacon contenait la lumière bienveillante du regard de sa femme.
Lorsqu’il s’éteignit, on vit s’élever vers le ciel une multitude de points lumineux. Ils traversaient le toit de chaume et scintillaient comme des milliers de lucioles au milieu de la nuit.
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