Dorian s’était retiré dans son monde quand il eut quitté son père. Il ne comprenait pas pourquoi il avait l’air si fâché. Il avait pourtant fait tout son possible pour que son père soit fier de lui. Il se sentait frustré. Durant des mois, il s'était évertué à créer un biome, une belle prairie fleurie serpentée par une rivière. Il pleurait doucement, allongé sur l’herbe, quand Elminster apparut. Son père se tenait à ses côtés. Le cœur de Dorian battit soudain la chamade, s’il le grondait pour une poupée qui lévite, qu’allait-il dire pour un univers entier ! Il se leva et courageusement, regarda son père :

• Je suis désolé, je voulais juste que tu sois fier de moi.

Il acheva sa phrase les larmes aux yeux. Elminster se pencha vers son confrère et lui murmura :

• C’est de la belle magie. Il pourrait développer un tel potentiel à la Tour Blanche.
• Non, Elminster. Il n’en est pas question, répondit Valérian sur le même ton.

Il reporta ensuite son attention sur son fils, il mit un genou au sol et lui posa la main sur l’épaule.

• Dorian, la magie n’est pas un jeu, il faut…
• Il faut l’utiliser prudemment en gardant en tête qu’il est interdit d’user de l’éther sur des êtres vivants. A moins d’être encadré par un mage plus expérimenté et en aucun cas, il n’est autorisé de lancer le moindre sort sur un humain, elfe, nain, récita studieusement Dorian.

Valérian ne sut alors pas quoi dire, son fils venait de citer de mémoire une ligne du tome I du fameux livre de magie.

***

Valérian avait le cœur lourd et trainait les pieds à mesure qu’il approchait de la Tour Blanche. Aujourd’hui, Thérésa et Dorian l’accompagnaient pour leur test. Il avait exposé à ses enfants ses craintes et ce qu’il attendait d’eux. Son fils devait absolument rater chaque exercice et Thérésa ne devait pas mentionner qu’il trichait. Il lui avait fallu de longues heures avant que son rejeton ne saisisse que son père souhaitait qu’il ne réussisse pas cette épreuve. Cependant, l’angoisse l’étreignait, et si l’examinateur découvrait que Dorian était parvenu à se créer un autre plan ? Et s’il comprenait qu’il bluffait ? Il avait juré à Sarah qu’aucun de ses deux enfants ne resterait à la Tour Blanche. S’il ne pouvait tenir sa promesse ? Il arriva à la Tour Blanche le cœur battant, espérant que tout se passe bien. Sa progéniture s’émerveilla de la beauté du lieu, Dorian laissa même échapper un éclat de rire en voyant des élèves s’exercer à la lévitation. Thérésa lâcha soudain la main de son père pour aller se jeter dans les bras d’Elminster. Dorian la suivit rapidement. Le vieux mage salua son ami :

• Comment vas-tu ce matin ?

Valérian ne répondit pas. Nul besoin qu’ils se parlent pour se comprendre. Il se tourna ensuite vers les enfants :

• Alors, qui veut être testé en premier ?

Un concert de moi, moi, moi s’éleva et le visage de Valérian se relâcha enfin. Si l’examinateur était Elminster, alors aucun souci n’était à prévoir, il ravala rapidement son sourire quand une voix s’éleva derrière lui :

• Non, Elminster, c’est moi qui interroge aujourd’hui.

Zorgal passa devant Valérian en le saluant d’un geste de la tête et se porta à hauteur du vieux mage :

• Il a été décidé que vu ton amitié avec Valérian, ton jugement pourrait être faussé.

Valérian se tendit imperceptiblement, il n’aimait pas beaucoup cet homme et sa rigueur. Tout était froid et carré chez lui, de son visage, à sa coupe, même sa propension de cheveux blancs semblait être étudiée, de même que les éclats verts dans ses yeux bruns. Il se tourna nonchalamment vers les enfants et leur ordonna de le suivre, laissant Valérian avec son vieil ami.

• Tout se passera bien, souffla Elminster, mais Valérian en doutait fort.

***

Zorgal ouvrit la marche vers son bureau, suivi par les deux enfants. Il les fit entrer et s’asseoir sur de grandes chaises en face de lui. Puis silencieusement, il les étudia. Il regarda Dorian avec insistance puis le désigna :

• Toi, tu commences.

Dorian se leva docilement, il savait que son père tenait beaucoup à ce qu’il ne réussisse pas ce test mais il est vrai aussi qu’il pourrait ici parfaire ce qu’il avait déjà appris. Il ravala ses doutes. Il devait être préparé pour ce qu’allait lui faire subir cet homme.

• Ton nom, demanda-t-il d’une voix de stentor.
• Dorian, Monsieur.
• Est-ce que tu maîtrises la magie ?
• Pas vraiment, mentit l’enfant.

Zorgal posa une main sur la poitrine de l’enfant puis la retira comme s’il s’était brûlé. Un sourire se dessina alors sur ses lèvres. Un rictus si étrange, si mauvais que Dorian douta. Et si le plan de son père venait d’être réduit à néant. Zorgal se dirigea vers son bureau et y fit apparaître un verre d’eau.

• Fais léviter ce verre pour l’amener jusqu’à toi, ordonna-t-il.

Dorian fit mine de se concentrer, il passa la langue entre ses dents et fit se lever le verre, il oscilla, trembla puis s’écrasa soudain au sol, se décomposant en un millier d’éclats. Dorian était essoufflé :

• C’est difficile, se plaignit-il.

Zorgal grimaça.

• Fais-moi disparaître tout ça, continua-t-il.

Dorian hocha la tête en signe de négation :

• Ça, je ne sais pas Monsieur.
• Ce n’est pourtant pas compliqué, hurla le mage en lançant son pouvoir pour envoyer les éclats dans la poubelle.

Il soupira pour regagner son calme et continua en demandant à Dorian de modifier la couleur de la pomme qu’il venait de faire apparaître dans sa main.

• Je la veux rouge, ordonna-t-il.

Dorian ferma les yeux et simula une intense concentration. La pomme vira d’abord au rouge vif puis au bleu avant de dégager une odeur pestilentielle et de pourrir sur place. Zorgal la laissa tomber et projeta sa magie pour la faire disparaître. Il s’approcha à quelques centimètres du visage de l’enfant :

• Je sais que tu triches, déclara-t-il.

Dorian hésita puis continua sa comédie, prenant un air penaud et impressionné, il déclara :

• Non, Monsieur, je ne sais pas le faire, c’est trop difficile.

Zorgal soutint son regard puis désigna Thérésa d’un geste de la mâchoire.

• À toi, à présent.

Dorian se recula, soulagé que ça soit fini et sa sœur s’avança, tremblante. Zorgal fit apparaître un verre d’eau :

• Change-le en vin.

Le regard de Thérésa se remplit soudain de larmes.

• Change-le en vin, répéta Zorgal sur le ton de la colère.

La fillette secoua la tête en retenant à grande peine ses larmes. Zorgal l’attrapa par le col et la secoua comme un prunier :

• Change-le en vin, hurla-t-il.

La fillette se mit alors à pleurer à chaudes larmes, bredouillant qu’elle en était incapable. Dorian vint alors à sa rescousse, il s’avança d’un pas de déclara :

• Elle a dit qu’elle savait pas.

Zorgal fusilla l’enfant du regard :

• Mais toi, tu sais, tonna-t-il, arrête de me mentir !

Dorian soutint le regard du mage, il n’aimait pas cet homme, il n’aimait pas ce test, il voulait que tout se termine vite. Thérésa poussa soudain un petit cri. On aurait dit que Zorgal lui infligeait une horrible douleur. Il aiguillonna alors Dorian :

• Interviens, fais-le, je sais que tu peux le faire.

L’enfant aurait voulu agir mais il avait juré à son père de rater cet examen et pour lui, une promesse était une promesse. Il secoua la tête en signe de négation. Sa petite sœur gigota comme pour essayer de se dégager de ce qui l’emprisonnait si douloureusement. Elle geignit un long moment puis soudain se tut. Dorian était resté stoïque, toisant le mage silencieusement. Zorgal reporta alors son attention vers la fillette. Cette dernière était prostrée au sol, les yeux écarquillés, elle ne disait rien, elle ne bougeait plus. L’examinateur ne sembla pas paniquer, il se tourna vers l’enfant :

• Tout ça, c’est de ta faute. Regarde ce que tu as fait.

Il quitta soudain la pièce sans rien ajouter. Dorian se précipita vers sa petite sœur.

• Thérésa, Thérésa, tu m’entends, c’est fini.

Il prit la fillette dans ses bras, elle ne bougeait pas, ne réagissait pas à ses paroles. Dorian commença à s’affoler. Valérian se précipita soudain dans le bureau, il enlaça ses deux enfants, il y avait une peur panique dans son regard. Il avisa Thérésa puis se tourna vers Dorian.

• Que s’est-il passé, questionna-t-il ?

On aurait dit qu’un gros serpent enserrait la gorge de Dorian, aucun mot ne put sortir et il fondit en larmes. Son père le serra bienveillamment contre lui :

• Rentrons à la maison, déclara-t-il.

Il prit ses deux enfants dans ses bras et quitta la Tour sans un mot. Le doute le rongeait, Zorgal lui avait dit que son fils avait jeté par erreur un sort sur sa petite sœur. Dorian n’avait pas parlé, il semblait sous le choc mais Valérian se méfiait de la véracité des paroles du mage.