9. Choisir son camp - Partie 1
Syphilis retrouva son maître dans son univers gelé. Il semblait d’une humeur massacrante, passant ses nerfs sur de pauvres effigies de glace qu’il érigeait avec sa magie.
- Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda la petite boule de poil.
- Rien, tout va bien, répondit le jeune homme avec nonchalance.
- Menteur ! Tu peux abuser qui tu veux mais certainement pas moi. Qu’est-ce qui te tracasse ?
- Rien.
Dorian explosa une nouvelle figure de glace avant de se laisser tomber au sol dans un soupir.
- En fait, avoua-t-il, je n’arrive pas à prendre du recul. La Reine me propose de m’allier avec des gens qui me haïssent. Elminster ne croit pas en moi, il veut tester ma loyauté et Firiel…
Il ne termina pas sa phrase, son poing se serra et il ferma les yeux.
- La route est parsemée d’embuches, le rassura Syphilis, mais tu peux y arriver.
Dorian ouvrit les yeux en soupirant et expliqua :
- Elminster est parti défier Valérian, une armée d’elfes l’accompagne. Elle est à leur tête. Soit je me range de leur côté et je ne vais pas les regarder tuer mon père, soit je m’y oppose et il s’en prendra à Firiel.
- Et que te dis ton cœur ?
- Que j’ai choisi la mauvaise cible !
- Dorian, ce n’est qu’une passade, ton but est toujours le même, tu veux la séduire et puis tu t’en lasseras.
Le mage secoua la tête d’un air résigné :
- Pas cette fois.
Syphilis comprit alors la lourdeur du dilemme.
- Est-ce qu’elle t’aime en retour ? Attisa le familier.
- Pas depuis qu’elle sait qui je suis. Bon sang, j’ai beau me repasser la scène des milliers de fois dans la tête, je ne trouve pas de solution. Si j’active le piège que j’ai placé, elle m’en voudra à mort et Valérian lui fera du mal. Je ne pourrais pas le supporter. Mais d’un autre côté si la Reine me manipule et que je n’ai finalement aucun allié, j’aurais trahi mon sang pour rien.
- Ça t’aiderait de savoir ce qu’il y a au fond de son cœur, demanda malicieusement la petite hermine.
- Elle ne m’aime pas, trancha froidement le jeune mage.
- Laisse-moi aller voir, au moins tu seras sûr.
Et avant même que Dorian ne puisse répliquer, la petite hermine disparut.
***
Les elfes avaient installé un camp de fortune à quelques milles de la forteresse de Valérian. Ils méritaient un bon repos avant le grand combat. Firiel s’était retranchée dans une tente à l’écart. Elle avait besoin d’être seule, besoin de réfléchir.
- Mais, ressaisis-toi, idiote ! s’admonesta-t-elle en frappant violemment son reflet dans une grande coupe d’eau servant aux ablutions.
Syphilis se matérialisa dans la tente à ce moment exact. Elle n’eut aucun mal à comprendre pourquoi l’elfe était troublée. L’hermine trottina jusqu’à la couche de la jeune femme et y grimpa pour attirer son attention. Firiel la surprit du coin de l’œil et se retourna pour la regarder :
- Salut toi ! déclara-t-elle, tu as faim ?
Le familier se dit qu’une communication silencieuse serait sans doute plus discrète et surtout moins étrange pour l’elfe.
- Je suis venue te parler. Je suis le familier de Dorian et…
Le visage de l’elfe se referma comme une huitre. Firiel se détourna et déclara d’une voix froide :
- Va-t’en. Je ne cèderai pas à ses charmes comme l’a fait Roxanne. Je ne le laisserai pas m’arracher le cœur avant de me tuer.
On ressentait clairement un combat intérieur dans le cœur de la jeune femme.
- Dorian n’aurait jamais levé la main sur Roxanne. Je l’ai vu traquer et tuer ceux responsables de sa mort.
- Tu mens, rétorqua l’elfe, il l’a occis avant de l’amener en trophée à son père.
- Après sa dernière visite à Sorgat, il s’est rendu compte qu’il ne pouvait plus cautionner les actes de Valérian et il est parti.
- Ça ne justifie rien de ce qu’il a pu faire avant ça.
- Et ça n’offre aucune certitude sur ce qu’il fera après. Dorian est prêt à vous soutenir, seulement, il doute.
- De quoi ? soupira l’elfe.
- De votre cœur.
Le temps suspendit son cours tandis que l’elfe assimilait la phrase en regardant le familier dans les yeux. Syphilis comprit alors qu’un lien étrange unissait l’elfe et son maître. Elle allait répliquer quand soudain, une voix l’interrompit :
- Je m’en doutais.
Elminster entra en trombe dans la tente et saisit l’animal par la peau du cou. L’hermine gigota en couinant jusqu’à ce que Firiel intervienne. Elle arracha le familier des mains du vieil homme. Cette dernière profita de cette diversion pour disparaître. Le mage rouge semblait fulminer :
- Vous savez ce que c’était, déclara-t-il avec véhémence en pointant l’endroit où se tenait la créature.
- Oui, répondit Firiel avec fougue.
- J’espère juste que vous n’avez pas dévoilé des secrets à cet espion qui pourraient mettre en péril notre plan.
Et le mage s’en alla en colère.
***
Depuis son royaume de glaces, Dorian avait suivi la scène. Elminster était arrivé au mauvais moment et il n’avait pu obtenir la réponse à la question qu’il se posait. Syphilis se matérialisa sur son épaule. Le mage la caressa par habitude.
- Alors, demanda-t-elle ? Ça t’éclaire ?
- Cela m’a apporté une certitude, déclara le jeune homme. Jamais je ne pourrais rejoindre leurs rangs, mais ça m’a apporté aussi un doute.
Il n’en dit pas plus mais son familier comprit bien qu’il ne parvenait pas à cerner ce qu’il y avait dans le cœur de Firiel.
- Ça m’a également apporté une solution, reprit-il. Il faut les arrêter.
Le mage ferma alors les yeux et se concentra sur le camp. Il n’eut pas grand mal à envoyer sur ce dernier une terrible tempête de neige.
***
Dans une tente du commandement, Elminster frappa un violent coup sur la table sur laquelle les elfes avaient déroulé un plan de la région.
- Il pense nous arrêter, fulmina-t-il, il se trompe. J’avais dit qu’il ne fallait pas faire confiance à Dorian ! Nous progresserons plus lentement mais nous parviendrons à la forteresse au plus tard ce soir.
Dorian choisit ce moment pour se matérialiser au beau milieu de la tente, les elfes sursautèrent et le mage déclara avec amusement :
- Et en plus de vous ralentir, vous devenez aussi visible que le nez au milieu de la figure.
Elminster vira au rouge, il envoya un orbe magique en direction de leur assaillant. Dorian qui avait parfaitement vu le coup venir arrêta le projectile et usa de son éther pour transformer le sort d’attaque en une rose de cristal. Il tendit ce cadeau vers Firiel qui le prit machinalement puis continua :
- Et au fait, j’ai profité de ma conversation avec la Reine pour lui offrir un présent de mon cru. Elle et Valérian sont à présent liés, s’il meurt… elle aussi.
Il acheva sa menace par un salut théâtral et disparut alors qu’Elminster l’attaquait à nouveau en le traitant de traitre. Le son d’un verre qui se brise apporta un silence de mort dans l’assemblée elfique. Firiel venait de lâcher le cadeau de Dorian et la fleur de cristal alla s’écraser au sol en une myriade d’éclats.
- On ne peut pas continuer, déclara la jeune femme d’une voix blanche. On ne peut pas risquer de perdre ma sœur.
- Et on ne peut pas risquer de voir Valérian rejoindre Drake, sermonna Elminster. Je ne laisserai pas ce gamin arrogant nous dicter une conduite. Reprenez-vous, Firiel, il joue avec vos sentiments. Nous allons combattre Valérian quoiqu’il en coute mais à présent, si l’opportunité de faire tomber Dorian avec lui s’offre à moi, je ne la laisserai plus passer.
Il sortit de la tente de commandement d’un pas assuré en déclarant :
- Nous partirons dans une heure.
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