9. Choisir son camp - Partie 2
Dorian était retourné dans son monde de glaces, il observait ce qu’il se passait chez les elfes depuis un sort. Syphilis vint se placer à côté de lui en regardant la couche de givre refléter l’image du camp.
- Ils feront demi-tour, déclara le jeune mage avec une étrange confiance.
- Et s’ils ne le font pas ?
Un court silence s’en suivit avant que Dorian ne répète :
- Ils le feront. Quand ils se rendront compte que je n’ai pas bluffé, ils n’auront pas d’autre choix.
- Ou ils se feront tuer.
Dorian ferma les yeux pour chasser l’image de la mort de Firiel qui s’était imposée à son esprit.
- Ça n’arrivera pas, trancha-t-il.
- Et si Elminster parvient à défaire Valérian, si la Reine vient à en mourir, tu crois vraiment que tu pourras encore la regarder en face sans qu’elle tente de te tuer ?
Dorian secoua la tête en signe de négation :
- Ça n’arrivera pas.
Et Syphilis comprit alors que son maître tentait plus de se convaincre qu’autre chose.***Dorian suivait méticuleusement la progression de la troupe elfique. Ils s’approchaient, inexorablement, de la forteresse. Quand ils ne furent qu’à quelques lieues, le mage se dit qu’il ne pouvait pas rester inactif. Il se matérialisa au beau milieu du convoi, prenant soin de se dupliquer afin de tromper l’ennemi. Ce furent donc une quinzaine d’images qui apparurent en face de l’armée. Elminster ne se fit pas prier pour attaquer en premier, il envoya un violent orbe qui pulvérisa le doppelganger qui se trouvait devant lui. Deux autres prirent sa place. L’un des mages se mit à parler :
- Pour le Salut de vos âmes, n’avancez plus.
Il n’y avait plus aucune amitié dans sa voix, juste une menace bien présente. Le temps se figea un instant jusqu’à ce que soudain, la silhouette de Valérian se matérialise à quelques pas du groupe.
- Vous croyez que je ne vous avais pas vus, déclara-t-il d’une voix rauque ?
Tout se passa ensuite en une fraction de seconde, Elminster envoya une onde magique à Valérian qui la reçut de plein fouet, certains elfes attaquèrent le Dorian qui lui faisait face et Firiel eut un mouvement de recul.
- Elminster, hurla-t-elle pour le prévenir, il n’a pas menti, chaque coup affaibli ma sœur.
Valérian tourna le regard vers l’elfe quand elle prononça le mot sœur. Un sourire sadique naquit alors sur son visage. La terre trembla soudain et un puissant dragon sortit des profondeurs. La bête se rua sur Elminster sans sommation tandis que Valérian se matérialisait devant Firiel. Il la dévisagea un instant avant de murmurer :
- La sœur de la Reine, quel délicieux cadeau.
Et avant même que Dorian ne pût réagir, son père assomma la belle et disparut avec elle. Le jeune mage hurla de frustration tellement fort qu’il perdit sa concentration et ses images disparurent. Les elfes en profitèrent alors pour l’attaquer mais Dorian les envoya valser en écartant les bras. Les laissant avec leur combat contre le dragon, il s’évapora soudain.
***
Dorian se matérialisa devant le palais de la Reine Galadrielle, il y pénétra avec une inquiétante détermination. Les gardes tentèrent d’empêcher le mage d’entrer mais ils furent rapidement balayés. Dorian projeta son éther afin d’ouvrir les deux immenses battants menant à la salle du trône. Une cohorte de soldats l’attendait. Le combat ne dura pas qu’un instant puisque Dorian les fit voler à l’autre bout de la pièce et scella la porte derrière lui. Il se trouvait à présent seul avec la Reine. Cette dernière n’avait pas bougé, comme si elle ne craignait pas le mage. Il s’avança vers elle d’un pas serein tandis que les gardes tentaient d’investir à nouveau la salle du trône. Il ne s’arrêta que lorsqu’il fut face à la souveraine. L’elfe le regardait d’un air paisible, cependant, on lisait une profonde lassitude dans son visage, on y voyait clairement le Mal œuvrer, la tuant peu à peu. Dorian baissa les yeux comme s’il cherchait ses mots mais la Reine fut plus rapide :
- Je sais, déclara-t-elle.
Un sourire naquit sur le visage du mage. Il n’avait pas besoin de lui parler pour que l’elfe comprenne qu’il regrettait d’avoir fait ce choix. Qu’il pensait bien faire qu’il s’était trompé ! Dorian posa alors la main sur le buste de la Reine et canalisa toute sa puissance. Il délia son enchantement avec une infinie facilité mais voulut aller plus loin. Il retrouva la gangue de magie noire qui la gangrénait. Il ne fut pas aisé de pénétrer ce sort mais Dorian à force de concentration y parvint. Il comprit rapidement que l’enveloppe abritait un horrible ver, se nourrissant de la bonté de l’elfe pour rejeter une bile occulte qui s’insinuait pernicieusement dans son cœur. Il réussit à l’extraire d’un geste brusque. Quand la créature quitta son cocon protecteur, elle commença à se tortiller comme un serpent mais le mage ne lui laissa pas le temps de reprendre une autre forme. Il la carbonisa sur place sans autre forme de procès.
- Voilà, déclara-t-il, il faut vous reposer à présent.
Galadrielle lui lança un regard reconnaissant. On voyait clairement que le combat l’avait diminuée mais à présent libérée de ce fardeau, elle pourrait vivre. Dorian observait silencieusement la Reine quand soudain, les portes de la salle du trône cédèrent et une horde de gardes l’investirent.
- Arrêtez, lança la Reine en se levant.
Elle tituba et manqua de s’effondrer si Dorian n’était pas intervenue pour la retenir.
- Dorian est considéré comme un allié, reprit-elle en recherchant son souffle, et quiconque lui fera du mal devra en répondre devant moi.
Cette phrase eut pour effet de calmer les gardes qui rengainèrent leurs armes. Dorian, sentant la Reine faiblir encore l’aida à retourner sur son trône.
- Reposez-vous, lui ordonna-t-il dans un souffle.
La Reine lui sourit et déclara à mi-voix, juste pour que seul le mage l’entende :
- C’est votre fougue qu’elle aime le plus.
Dorian se permit d’embrasser la main de la Reine. Il lui promit de ramener Firiel saine et sauve puis il disparut.
***
L’enfer, de toutes les geôles que Firiel avait visitées, celle-ci était sans nul doute la pire. Elle s’était réveillée entravée au mur d’une salle entièrement vide et à présent, Valérian s’amusait silencieusement à la briser. Il n’avait rien dit, rien demandé, il se délectait à la torturer quelques minutes avant de relâcher la pression. Firiel tenait mais le supplice que lui infligeait le mage était de plus en plus pénible, de plus en plus pernicieux. Elle savait qu’à quelques lieues de là, ses hommes combattaient un terrible dragon. Elminster n’était pas encore apparu pour la sauver, peut-être ne viendrait-il pas à temps. Son esprit s’embrouilla et refusa de réfléchir quand elle reçut une violente décharge électrique dans tout le corps. Elle hurla de douleur, essayant de se libérer de ce joug atroce mais aucune de ses contorsions ne pouvait apaiser voire ralentir le sort que Valérian lui faisait subir. Elle ferma les yeux pour retrouver un peu de sérénité et ne pas plonger dans la folie lorsqu’une puissante déflagration stoppa toute affliction. Dorian venait de se matérialiser entre son père et sa prisonnière. De là où elle se trouvait, Firiel ne pouvait voir le jeune homme que de dos. Dorian venait de renvoyer le sort sur son père.
- Ne la touche plus, dit-il d’une voix froide.
Valérian se releva d’un bond, un regard mauvais vers son fils :
- Voilà mon indigne rejeton, déclara-t-il. Celui qui a osé me trahir, celui qui a osé pactiser avec un assassin.
Il lança un sort que Dorian dévia sans aucun problème.
- J’aurais dû te laisser crever le jour de ta naissance, tu n’as apporté que disgrâce et mort dans ta famille.
Dorian voyait bien où son père voulait en venir, il espérait toucher la culpabilité du jeune homme afin de pouvoir briser sa garde et le terrasser. Il afficha un trouble de composition, baissant les yeux tout en préparant un bouclier susceptible de contrer l’attaque qui découlera de ces paroles :
- Non, je n’y suis pour rien. Vous m’aviez dit de ne pas bouger, Père, je…
Il parvint même à feindre une larme. Le visage de Valérian se fendit d’un horrible rictus et il projeta le plus violent torrent de flammes qu’il n’eut jamais créé. Le bouclier de Dorian l’encaissa mais la magie de son père était puissante. Valérian n’avait que du feu à générer, le fils devait gérer un rempart assez grand et assez robuste pour défendre également Firiel. Dorian se tourna doucement vers elle pour libérer la belle de ses chaines. L’elfe le dévisageait d’un air étrange, on voyait un duel entre la sœur qui s’en faisait pour la Reine et la femme qui sentait son cœur partir dans un tourbillon infernal. Elle comprit cependant que le sort de protection ne tiendrait pas indéfiniment aussi, consentit-elle à s’approcher du mage.
- Merci d’être venu, murmura-t-elle quand ils furent enfin plus proches.
Le visage de Dorian s’assombrit, il ne tiendrait plus longtemps sa protection. Le sort de son père n’avait absolument pas diminué, au contraire, sa fureur et sa haine accroissait les flammes. Soudain, Firiel remarqua quelque chose se briser dans le regard du mage, il était résigné.
- On verra si la rédemption sera pour une prochaine vie. J’aurais aimé mieux te connaître.
L’elfe sentit la terreur l’envahir, Dorian s’apprêtait à capituler, la torture recommencerait, jusqu’à, sans doute, les tuer. Toutes les barrières qu’elle avait dans la tête lâchèrent brusquement. À quoi bon retenir ses sentiments puisqu’elle allait mourir ? Elle eut alors un geste fou, celui qu’elle brûlait de faire depuis leur première rencontre. Elle combla les derniers centimètres qui la séparaient de Dorian et l’embrassa fougueusement. Elle sentit une douce chaleur l’envahir. On aurait dit que la protection du mage avait disparu et que l’enfer les emportait mais, étrangement, elle ne ressentit aucune douleur, juste un moment de pur bonheur. Quand elle ouvrit les yeux. Dorian la dévisageait, leur bastion éthéré avait tenu le coup et le regard, qu’il avait, brûlait d’une farouche détermination. Il se redressa et modifia son bouclier afin de repousser le sort de Valérian. Ce dernier fut projeté en l’air dans un torrent de flammes mais ne retomba pas au sol. En un battement de cils, tout fut achevé. Firiel resta seule au milieu de sa geôle. Le père, le fils, le feu, tout avait brusquement disparu.
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