La seconde partie du voyage fut hostile et silencieuse. Firiel était tendue à l’extrême, guettant les moindres gestes du captif, s’attendant à ce qu’il attaque ou lui fausse compagnie mais Dorian n’en fît rien. Il ne tenta même pas d’engager la conversation, il n’avait usé de sa magie que pour prévenir son familier et lui ordonner de ne pas intervenir. D’un pas résigné, il marchait vers son destin, peut-être sa mort future. Cette crainte se mua en certitude lorsqu’ils franchirent les frontières elfiques. Une armée était rassemblée là, il y avait de tout, des elfes marins, des humains, une garnison d’elfes noirs bien rangés, et quelques elfes sylvestres. Il en vint à douter de sa vision quand il surprit du coin de l’œil quelque chose qui ressemblait à un centaure. L’air empestait l’éther et le mage capta quelques regards hostiles. La guerrière et son prisonnier se dirigèrent vers un immense palais qui reflétait la lumière du soleil. On l’aurait dit taillé dans du cristal de roche tant il étincelait. Firiel fit s’avancer Dorian sur les marches de l’édifice et le guida une fois à l’intérieur. Ils débouchèrent sur une gigantesque salle. Une elfe était assise sur un impressionnant trône. Sa robe englobait une bonne partie de l’espace, la rendant minuscule. Elle s’illumina d’un sourire radieux quand elle vit arriver Firiel et son invité. Elle se leva et vint à leur rencontre. Son visage était magnifique comme taillé dans du marbre, ses longs cheveux blonds tombaient en cascade sur ses épaules frêles. Tout en elle inspirait l’élégance et une certaine fragilité. Quand elle parla, sa voix emplit la salle comme un coup donné sur un verre de cristal :

• Dorian, je vous attendais, déclara-t-elle doucement.

Le mage salua la reine d’un geste de la tête. Galadrielle s’avança vers sa sœur et lui posa une main sur le bras :

• Laisse-nous, s’il te plaît, demanda-t-elle.
• Hors de question, répondit froidement Firiel.
• Je tiens également à être présent, tonna une voix au fond de la salle.

Elminster s’avança alors d’une démarche souveraine. On sentait son aura magique se déployer dans toute la pièce afin de contrer une éventuelle attaque de Dorian. Le jeune homme resta impassible, jaugeant silencieusement la situation. La Reine trouva ces interventions amusantes, elle s’autorisa un petit rire cristallin, puis enchaina :

• Mes amis, que craignez-vous ? Une armée attend mes ordres au-dehors et mon dauphin est déjà désigné. Je ne pense pas que Dorian ait la bêtise de vouloir attenter à mes jours dans les prochaines minutes. N’est-ce pas ?

Elle s’était tournée vers le mage et lui avait machinalement posé la main sur son épaule. Dorian leva un regard étrange vers la reine. Un regard mêlé d’étonnement et de respect. La souveraine usait de son pouvoir de guérison pour soigner son dos perclus de douleurs. Il fut si surpris qu’il ne put que bredouiller un non avant que la reine ne l’entraine dans son sillage :

• Voilà qui est dit, déclara-t-elle, j’ai besoin de lui parler…

Elle lança un regard insistant à Firiel :

• … seul à seul.

Son regard coula vers Elminster qui s’apprêtait à répliquer et répéta d’une voix plus autoritaire :

• Seul à seul.

Son ton ne souffrait aucune objection, aussi parvint-elle à entrainer le jeune homme dans une pièce annexe. Quand ils furent enfin seuls, la reine lâcha le bras de son hôte et le regarda silencieusement. Puis elle déclara doucement :

• La rédemption est de ce monde ; aussi, as-tu ma bénédiction.

Dorian eut un mouvement de recul :

• Pourquoi ? demanda-t-il sans comprendre.

Galadrielle éclata d’un rire amusé.

• Dans cet univers, les opposés s’attirent. Je suis réfractaire à la guerre et pourtant une armée attend mes ordres. Je ne peux pas laisser ce monde sombrer ainsi. Nous devons nous battre pour que la paix revienne.
• Qui combattez-vous ? demanda Dorian qui ne comprenait pas trop où la Reine voulait en venir.
• Un mage du nom de Drake, expliqua alors l’elfe. Il guettait patiemment qu’une partie de la région plonge dans les ténèbres pour se dévoiler.
• Drake, s’étonna le mage, celui qui a pris le pouvoir à Sorgat ?

Galadrielle acquiesça et sans aucun jugement dans la voix continua :

• Oui, celui à qui vous avez offert le Royaume de Sorgat. Il est ma Némésis, il ne se complait que dans la guerre et la souffrance. Il a à ses côtés une armée de démons.
• C’est pour ça que vous avez fédéré les elfes, comprit le jeune mage.

Elle acquiesça puis posa une main sur l’épaule du jeune homme :

• J’ai besoin d’un mage.

Dorian prit délicatement la main de la reine comme si ce fut une poupée de porcelaine. Il embrassa chastement cette main tendue et refusa poliment :

• Vous avez déjà Elminster.

Il se détourna prêt à quitter cette conversation quand Galadrielle parvint à le retenir d’une phrase :

• C’est d’un Mage Noir dont j’ai besoin. Drake m’a lancé un sort qui me tue à petit feu.

Dorian se retourna, interloqué. Son premier réflexe fut le déni. Afin de s’en assurer, il ouvrit ses sens et découvrit au fond du cœur de la souveraine une forme sombre qui fut clairement hostile à tout contact psychique. Ayant capté son attention, la reine embraya :

• Je suis consciente de l’impossibilité de contrer ce cancer. Je me suis dit qu’une magie noire assez puissante pourrait peut-être le ralentir.
• Je ne possède pas ce savoir, refusa-t-il d’admettre. Je n’ai pas la moitié de la force dont on m’affuble.
• Dorian, répliqua la souveraine, tu as un potentiel infini, tu pourrais d’un souffle décimer toute une armée. Pourquoi ne crois-tu pas en toi ?

Le mage soupira et se détourna :

• La majorité des gens qui composent votre armée souhaiterait me voir mort. Non, Madame, je ne peux pas vous aider.
• Tu ne le veux pas, le reprit Galadrielle et c’est ça toute la différence.

La souveraine se détourna et quitta la petite salle où ils avaient trouvé refuge. Dorian rumina un instant ce qu’il venait d’entendre. Il allait se retirer quand la silhouette d’Elminster se dessina à la porte. Il toisa le jeune mage puis glissa une remarque acerbe :

• Garde en tête qu’à part la Reine, tu n’as pas le moindre soutien ici.
• Ceci explique donc pourquoi je m’en vais, rétorqua Dorian.

Il n’avait qu’une envie : quitter ce lieu. Il avait été troublé par la gentillesse de la Reine. En temps ordinaire, il serait parti comme un voleur sans demander son reste mais il voulait revoir Firiel au moins une dernière fois. Il la retrouva à l’extérieur du palais. Elle se préparait visiblement à la guerre. Calion venait également de rallier les Terres Elfiques. Dorian observa, discrètement, le Général et son second. Cela crevait les yeux : l’elfe noir s’était épris de son supérieur et prenait grand soin à le lui cacher. Dorian allait jouer les troubles fêtes mais il en fut dissuadé quand Elminster rejoignit le groupe de soldats. Le mage rouge dirigeait une mission et lorsque le nom de Valérian retentit, le sang de Dorian se glaça. Les elfes projetaient d’attaquer la forteresse paternelle. Le jeune homme serra les poings et disparut rageusement dans son monde. Sa décision fut rapidement prise, malgré son attachement à la belle guerrière elfique, il ne pouvait se résoudre à trahir son père. Il interviendrait donc dans cet affrontement… et Firiel serait son ennemie.