Chapitre 1
Écrit en écoutant notamment : Katy Perry - Teenage Dream (Kaskade remix) [Electro house]
Mathis – I
Mercredi 6 juillet 2010, 12h
— Non mais tu te rends compte ? Comment veux-tu réussir quoi que ce soit dans la vie ? Tu devrais avoir honte !
Le père de Mathis était hors de lui ; son visage rouge et crispé vociférait depuis plusieurs minutes une colère trop longtemps contenue, dont l’expression semblait désormais intarissable.
C’en fut trop pour la fierté de Mathis, qui claqua la porte du séjour, présenta un doigt d’honneur flou à travers les carreaux translucides de celle-ci, et s’enferma à clef dans sa chambre. Il s’allongea sur le lit, casque audio vissé sur les oreilles, et monta le volume. Plus c’est fort, plus c’est apaisant. Plus c’est dur, plus c’est relaxant.
C’est vrai, il aurait pu réussir, mais il avait tout de même obtenu neuf de moyenne. Les maths et la philosophie l’avaient particulièrement plombé... Forcément, il avait dû s’inscrire au rattrapage de ce maudit bac ; enfin on l’y avait traîné, car il n’en voyait pas bien l’intérêt. Aucun de ses amis plus âgés du collectif « Anharmonik Sound6tm » n’avait son bac, et pourtant, ils s’en sortaient, vaquant de petit boulot en petit boulot la semaine, s’investissant corps et âme le week-end dans l’organisation de leurs soirées techno. Ils vivaient pour les gens qui y dansaient, n’attendaient pas grand-chose en retour. Mathis les épaulait depuis une bonne année : il y voyait tellement plus d’intérêt que dans ses putain de cours ! Il n’était tout bonnement pas né pour rester assis comme un idiot à gratter du papier.
Donc maths et philosophie en rattrapage… Il n’avait rien appris de l’année, comment pourrait-il devenir ne serait-ce que passable dans ces deux matières d’ici vendredi ? La tâche semblait tout simplement hors de portée. Au contraire, jeudi se déroulerait un des premiers gros évènements estivaux d’Anharmonik. Ses amis auraient besoin de lui, c’était sûr, et de toute manière, il regretterait bien trop de manquer cette occasion.
Eliott - I
Mercredi 6 juillet 2010, 18h
Il passa plusieurs titres avant de trouver celui qui lui convenait. Enfin, Eliott cliqua sur « Katy Perry » et quitta la salle de bain d’un petit déhanché. La sonnerie de la porte d’entrée venait de retentir, et avant qu’il fût descendu, sa mère avait déjà ouvert, s’affairant à mettre au frais les victuailles apportées par la tante d’Eliott. Ses deux jeunes cousins se mirent à courir de pièce en pièce comme on lâche des taureaux dans l’arène, tout en braillant d’excitation. Ils s’arrêtèrent enfin devant lui :
— C’est vrai que t’as eu le bac ?
— Et oui, sinon vous ne seriez pas venus aujourd’hui, bande de monstres !
— C’était difficile ? C’est vrai que le sujet ne fait qu’une seule ligne et qu’il faut écrire plusieurs pages ?
Ils semblaient admirer encore plus que d’habitude leur « grand frère », qui avait passé cette étape mythique. On sentait également une appréhension, probablement celle qu’il les quitte pour un monde nouveau, plus adulte.
— C’est vrai pour la philosophie, oui, mais rassurez-vous, dans la plupart des matières, il suffit de répondre à des questions ! Et ne vous inquiétez pas, vous aurez le temps d’apprendre d’ici-là !
Chacun se servit dans la rangée de flûtes de champagne – ou de jus de pomme pour les plus jeunes – puis le père d’Eliott leva haut son verre en annonçant :
— À la santé d’Eliott ! Et à la réussite de ses futures études !
Sa mère, son oncle et sa tante applaudirent : Eliott se sentit gêné de tant d’attention. Heureusement, il avait préparé quelques phrases en réponse aux félicitations, et profita ensuite de ses petits cousins l’implorant d’aller jouer au foot dehors avec eux pour s’éclipser.
Avant qu’il sorte, sa mère le retint quelques instants :
— Nous te laissons la maison ce week-end. Si tu veux inviter quelques amis, pas de souci !
— Ah… merci, je ne comptais pas faire grand-chose de spécial… Je vais surtout me ressourcer, terminer ma série, faire quelques balades, un peu de vélo.
— Oui, fais comme tu le sens, mais n’hésite pas à t’amuser !
Mathis – II
Jeudi 7 juillet 2010
Mathis étala ostensiblement des manuels de cours sur la grande table du salon. Son père, comme souvent depuis plusieurs mois, était avachi devant l’écran, télécommande dans une main, sandwich dans l’autre.
— Ah tiens, t’as enfin décidé de bouger ton cul ? ricana ce dernier.
— C’est ça ouais… je crois que je n’ai aucun conseil à recevoir de la part de quelqu’un qui s’est encore fait virer de son boulot pour avoir harcelé les commerciales de l’entreprise.
— Ta gueule, petit con ! C’est encore moi qui te paye tout. Si tu veux finir à la rue, pas de souci ! D’ailleurs, ça reste ici, que ce soit clair.
— Moi, au moins, j’ai des amis sur qui compter…
Mathis décida de s’arrêter avant que la situation ne parte en vrille et son père se reconcentra sur son documentaire automobile. Il ouvrit le bouquin de maths au hasard : « Étude de fonctions ». Ses yeux parcoururent rapidement l’ensemble des points de cours, digne d’un message crypté. Il copia les encadrés « Théorème » sur un papier à part, puis sortit ensuite quelques feuilles volantes rassemblant ses maigres notes de l’année en philosophie. Était-ce réellement une bonne idée d’avoir choisi cette matière pour le rattrapage ? La liberté... À ce moment précis, la liberté l’incita surtout à mettre un terme à cette torture qu’il savait parfaitement inutile. Ce serait peine perdue de se présenter au lycée demain… à onze heures ? Ou bien onze heures et demie ? Il ne savait plus très bien, mais retrouva par miracle sa convocation froissée au fond de son sac.
Pablo, son meilleur ami du collectif, passerait le chercher au rond-point du bout du quartier dans une demi-heure. Il profita donc de la sieste de son père pour fourrer quelques affaires importantes dans son sac à dos, avança à pas de loup vers la porte d’entrée, puis s’éloigna à grandes enjambées une fois celle-ci franchie et précautionneusement refermée. Il erra vingt minutes dans les rues de sa petite ville avant de voir apparaître la vieille Clio grise de Pablo. De nombreuses griffures témoignaient de la longue vie du véhicule, alors qu’à l’intérieur, plusieurs emballages de bière étaient posés en vrac sur les sièges à la mousse tâchée. Le bonhomme était, malgré ses trente ans, aussi usé que sa voiture. Il était vêtu d’un pantalon de camouflage et d’un gilet délavé, tandis qu’un bonnet noir descendait bas sur son front.
— Alors l’intello, t’as eu ton bac ?
Mathis rigola doucement. Il avait été affublé de ce surnom car, en dépit de ses notes vacillantes, il avait poursuivi en série générale jusqu’en Terminale.
— Non, je crois que c’est mort…
— Pff, c’est pas ce truc de capitaliste qui aurait changé ta vie, gros ! Bon, on passe d’abord chez Franck. On va choper un peu de matos et il nous dira où la soirée est prévue.
Leur ami-collègue habitait dans un camping-car en bordure de forêt. Lorsqu’ils sortirent de la voiture, le chien de Franck, un bâtard à poils longs borgne et claudiquant, se mit à aboyer violemment sans discontinuer.
— Ta gueule, le clebs ! cria Franck depuis l’arrière du camping-car.
Ce dernier les invita à monter à bord et leur proposa d’écouter autour d’une bière le nouveau morceau qu’il avait produit. Le son, fortement rythmé par les basses et les percussions, était accompagné d’une mélodie simple, qui fit acquiescer Mathis.
— C’est bien sympa ton truc, tu vas le jouer ce soir ?
— Yes.
Pablo et Mathis chargèrent ensuite une petite fraction du matériel de sonorisation dans leur véhicule. Juste avant de repartir, Pablo échangea aussi quelques billets avec Franck, contre deux cartons imprimés de motifs colorés prédécoupés.
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