Chapitre 3

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Écrit en écoutant notamment : Alek Száhala - Lumi [Freeform]

Eliott - III

Lorsqu’il sortit, le soleil avait gagné en vigueur et effaçait l’humidité de la nuit. Eliott démarra directement sur un bon rythme, comme à son habitude. Il longea les dernières habitations du village, puis suivit des chemins de terre qui passaient devant quelques fermes. À cette heure-ci, il n’y avait guère que certains agriculteurs pour être déjà au travail et s’activer dans les champs.

Il franchit ensuite l’orée de la forêt et s’enfonça dans celle-ci ; il faisait ici temporairement un peu plus sombre et frais. Ses yeux mirent ainsi quelques secondes à s’habituer aux rayons du jour lorsque les pins, bouleaux et chênes devinrent à nouveau moins denses. Après une heure et demie et huit kilomètres parcourus, il entamait maintenant le segment de la randonnée qui lui plaisait le plus, marqué par un rectangle jaune.

Sur le sentier qui longeait le fleuve, il aperçut au loin une ombre noire assez particulière devant le poste d’observation ornithologique. Il fronça les sourcils et comprit que comme souvent, l’esprit avait tendance à conférer une apparence humaine à de simples branchages. Pourtant, quelques instants plus tard, l’étrange forme remua un instant. Eliott fut surpris, mais en même temps, il pouvait arriver que des sans-abris investissent les lieux. Le pauvre n’avait même pas eu de couverture pour se couvrir pendant la nuit, tout juste un pull qui ne semblait pas particulièrement chaud. Par réflexe, il s’écarta au maximum en passant, mais la curiosité l’incita tout de même à jeter un regard à sa droite.

L’apparence du vagabond le déconcerta : celui-ci possédait des traits juvéniles, dissimulés derrière des cernes importants et de nombreuses griffures au visage. Eliott marqua le pas, indécis. En temps normal, il aurait rapidement passé son chemin, mais cette silhouette svelte et ces courtes boucles noires retenaient fortement son attention. Soudain, l’objet de ses réflexions présentes ouvrit les yeux et il eut un mouvement de recul involontaire pour lequel il s’excusa immédiatement. L’autre se leva avec difficulté et dut se racler la gorge à plusieurs reprises pour se faire comprendre :

— Euh… salut, tu sais quelle heure il est ?

Eliott fouilla son sac à la recherche de son téléphone et annonça :

— Il va être neuf heures !

Il remarqua que les habits du jeune homme lui collaient à la peau et vérifia son intuition en touchant une de ses manches :

— Tu es trempé ! Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? Tu as dû geler !

L’inconnu s’inspecta et sembla découvrir son état en même temps qu’Eliott.

— Ah oui, t’as raison. T’aurais de l’eau par hasard ? J’ai l’impression d’avoir marché une semaine dans le désert.

Il attrapa promptement la gourde qu’Eliott lui tendit et en but plusieurs grandes gorgées.

— D’ailleurs, moi c’est Eliott.

— Moi Mathis.

— Donc tu ne m’as toujours pas dit ce que tu fais là ?

— Ah… euh oui… J’ai eu quelques problèmes avec les flics hier soir… rien de grave.

Eliott ne fut pas tout à fait convaincu mais la mine sombre de Mathis lui imposa une certaine discrétion. Ce dernier poursuivit d’un ton subitement sarcastique :

— Neuf heures t’as dit ? Je suis censé passer le rattrapage du bac dans deux heures, tiens…

— Hein ? Mais il faut vraiment te dépêcher ! Tu es dans quel lycée ?

— À Descartes.

— Ah oui, je vois… Si on s’active, il y a moyen d’attraper un bus à la gare de Gennes ! Tu peux même peut-être arriver un quart d’heure en avance s’il n’y a pas de soucis de transport ! Tu veux que je t’accompagne ? Tiens, prends aussi quelques biscuits, ça te donnera des forces.

— Mouais… t’es sûr ? Je me sens vraiment pas bien. Et puis j'ai pas du tout révisé.

Le fait qu’on puisse se sentir aussi peu concerné par une échéance si importante stupéfia Eliott.

— Tu rigoles, j’espère ? Non mais… tu ne peux pas abandonner comme ça, voyons ! Allez, réveille-toi !

Mathis - V

Mais quel était donc cet idiot qui voulait le forcer à cavaler jusqu’au lycée sans raison valable ? Autant avait-il été plutôt sympathique au début, son air de gosse de riche, trop curieux de surcroît, commençait déjà à l’irriter.

— Mais en fait, tes parents ne peuvent pas venir te chercher ?

— Non ! répondit Mathis sèchement.

Son vis-à-vis soupira et remis son sac à dos sur les épaules.

— Bon, bonne journée alors… C’est quand même dommage.

Mathis observa Eliott s’éloigner. Ce dernier marchait d’un pas lent et hésitant, comme s’il espérait qu’il finît par « retrouver la raison » en s’excusant d’avoir été aussi désobligeant…

Les images des gendarmes qui le poursuivaient, sa chute dans le fleuve et sa dérive infinie, dont il ne parvenait pas à se remémorer l’issue – assez heureuse a priori – lui redonnèrent la nausée. Il fallait absolument se changer les idées. Autant suivre l’autre et voir ce que cela apporterait… Il trottina jusqu’à Eliott, qui se retourna avec un grand sourire.

— Bon allez, je te suis…

— Voilà une bonne décision ! s’écria Eliott en pointant la direction à suivre. T’as les papiers nécessaires au moins ?

— Euh merde…

Mathis ouvrit son sac à dos et déplia avec la délicatesse d’un orfèvre une page chiffonnée et encore trempée. Malgré l’encre qui bavait, on distinguait encore suffisamment bien les informations de la convocation. Son portefeuille avait lui moins souffert de la virée aquatique.

Eliott - IV

Ils parlèrent peu sur le chemin. Eliott souhaitait surtout éviter de faire à nouveau changer d’avis Mathis, tandis que ce dernier se traînait en regardant invariablement le sol. Ce garçon lui paraissait bien mystérieux : il avait visiblement des problèmes avec sa famille, et semblait réellement avoir fait un plongeon dans le fleuve pendant la nuit. À côté de cela, il possédait ce subtil charme rebelle qui l’intriguait et l’avait incité à s’occuper de lui… Sa démarche négligente, son sweat noir floqué du mot « Hardcore » et ses baskets particulièrement usées parachevaient l’ensemble. Il se retint de rire en songeant aux examinateurs qui le verraient débarquer dans la salle d’examen avec cet accoutrement.

Ils parvinrent finalement au lycée Descartes avec cinq courtes minutes de marge. La trajet avait plus ou moins séché Mathis, bien qu’on eût toujours l’impression qu’il avait passé une semaine entière dans les bois. Il ne restait plus que ses chaussures, qui couinaient encore à chaque pas.

— Bon allez, bonne chance ! Fais ce que tu peux et je suis certain que ça passera. D'ailleurs, je peux t’attendre ici si t’as envie, tenta Eliott, qui n’avait aucune envie quitter Mathis immédiatement.

— Ok, si tu veux, à tout à l’heure.

Eliott attendit que Mathis franchît les grilles du lycée et disparût derrière un angle du bâtiment pour arborer le grand sourire qu’il retenait depuis plusieurs minutes. Il était heureux d’avoir réussi à convaincre ce beau garçon de tenter sa deuxième chance.

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