Chapitre 4
Écrit en écoutant notamment : Deorro - Five More Hours [House]
Eliott – IV (suite)
À moitié euphorique, il décida de faire quelques pas dans les alentours du lycée. Pourtant, moins de dix minutes plus tard, il regagna sagement les bancs en pierre qui longeaient les grilles du bâtiment. Les oraux de Mathis devraient durer au moins une heure, mais l’angoisse de rater sa sortie et de devoir faire le deuil de cette rencontre était plus forte. On ne savait jamais ; peut-être qu’il abandonnerait au dernier moment…
Pour passer le temps, il observa avec attention les quelques élèves malheureux qui n’avaient pas encore pu définitivement quitter leur lycée. Ceux qui s’avançaient vers le portail avaient souvent le visage fermé ; ceux qui quittaient l’établissement étaient divisés entre résignés et optimistes.
La chaleur était montée, alors Eliott troqua son banc pour un autre plus ombragé. Il consulta sa montre : seulement onze heure trente ! Il imaginait son nouvel ami – ou du moins devrait-il commencer par « nouvelle connaissance » – faisant de son mieux devant des examinateurs eux-mêmes épuisés. Il observait les allers-retours agiles des passereaux entre deux tilleuls plantés au bord de la rue, tout en songeant à ce beau prénom… Mathis.
***
Enfin, il reparut. Il n’avait pas conscience de l’attente qu’il avait suscitée chez Eliott ! En revanche, son air était largement indéchiffrable : difficile de déterminer s’il était plutôt soulagé, ou bien soucieux de sa performance. Alors qu’ils reprenaient leur route, Eliott se força d'abord à laisser Mathis s’exprimer en premier, mais plus les secondes passaient, plus il était inquiet du bilan.
Il craqua évidemment beaucoup trop vite :
— Alors, t'es satisfait ?
— Vraiment… aucune idée, répondit Mathis en soufflant.
— Mais t'as su répondre aux questions en général ?
— Je sais pas… ils étaient pas très bavards.
— Et tes résultats seront disponibles bientôt ?
— Je sais pas du tout… Bon, on va manger quelque chose ? J’ai vraiment une dalle terrible, pas toi ?
— Euh… oui, très bonne idée ! Tu sais où aller ?
Mathis – VI
Tout juste sortis de la boulangerie, ils entamèrent rapidement leur sandwich et se mirent en quête d’un coin sympathique. Lorsqu’ils s’assirent enfin, Mathis avait déjà terminé son repas alors qu’Eliott n’en était même pas à la moitié.
— Il faut que je récupère quelques affaires chez moi. Tu viens avec ? demanda Mathis après quelques minutes silencieuses.
— Bien sûr que je peux ! Mais tu comptes repartir directement ? Tu ne prends même pas le temps de te changer ou te reposer ?
— Non, j’ai trop envie de bouger. Vraiment, cette fin de nuit m’a pas réussi.
Au moins, le trajet était bien plus court que celui de la matinée. Eliott le suivait toujours avec un enthousiasme qui l’étonnait, mais la compagnie d’un garçon de son âge lui seyait finalement assez bien. Eliott était l’archétype de l’élève sérieux, du genre à faire droit ou médecine.
Mathis habitait un quartier ni particulièrement riche ou pauvre, ni véritablement bien ou mal entretenu. Il s’arrêta devant l’une des habitations, qui ne se démarquait pas de ses voisines.
— J’en ai pour quelques minutes seulement !
Eliott – V
Il observa Mathis accomplir les tâches les plus banales qui fussent, à savoir monter les quelques marches du perron et introduire la clef dans la serrure, avec une attention des plus fines. Plusieurs indices, tels que la lumière de la télévision, qui se reflétait dans les vitres, indiquaient que la maison était bien occupée. Pourquoi Mathis avait-il refusé aussi catégoriquement d’appeler un de ses proches tout à l’heure ? Une voiture était même garée devant l’entrée du garage.
Mathis ressortit, toujours accompagné de son sac à dos noir. Il dégaina des clefs de voiture et déposa deux sacs plus volumineux dans le coffre. Le portail coulissa, puis Mathis s’installa au volant du véhicule et démarra.
Arrivé à hauteur d’Eliott, il se pencha et débloqua la portière côté passager.
— Tu viens ?
Eliott n’eut même pas le réflexe de se demander où son nouvel ami comptait l’emmener. Il grimpa à bord et claqua la porte alors que Mathis avait déjà repassé la première.
— C’est ta bagnole ? le questionna-t-il.
— Non, pas vraiment, enfin c’est celle de mon père.
— C’est sympa de sa part de te la laisser ! Moi j’ai juste passé le code, mais je dois encore bosser pour le permis.
— Pareil.
— Hein ? Comment ça « pareil » ?
— Bah oui, j'ai pas encore dix-huit ans…
— Donc en fait là tu n’as pas de permis ?
— Non, mais t’inquiète pas, je gère bien !
— Et ça ne pose aucun problème à ton père ?
— Je sais pas, faut lui demander.
— Euh… je ne te suis plus là, désolé.
— Si t’arrêtais de poser des questions tout le temps, aussi…
Eliott se sentit heurté par cette dernière réponse et reprit soudainement conscience de la situation farfelue dans laquelle il s’engageait. Quelle idée stupide d’avoir suivi un inconnu sans raison… enfin uniquement pour son charme, il dut se l’avouer. En plus, perché comme il était, il pourrait tout à fait l’emmener à l’autre bout de la France sur un coup de tête. Il fallait réagir, plutôt rapidement de préférence.
— Euh… en fait je devrais plutôt rentrer. Tu pourrais me déposer chez moi ? … Ou même ici, tout de suite, je me débrouillerai pour rentrer. J’avoue que… je ne te pensais pas comme ça !
— Ah bon, tu me pensais comment, le bourge ?
— Merci de m’insulter !
— Oh ça va ! Arrête donc d’être si coincé…
— N’importe quoi… en fait t’es juste une racaille sans intérêt. Rien à en tirer.
Mathis pila sans se soucier de la circulation aux alentours. Les deux se regardèrent froidement dans les yeux, jusqu’à ce que le klaxon d’un conducteur pressé retentît derrière eux.
— Bon allez, redémarre… céda Eliott. J’ai la flemme de rentrer en transport jusqu’à chez moi, poursuivit-il pour donner une fausse justification à sa décision.
Ils s’excusèrent mutuellement avec une retenue visant à protéger leur aplomb de jeunes adultes. Le pic de tension retombé, ils quittèrent la ville, prenant la nationale vers l’ouest. Eliott se détendit un peu plus en constatant qu’en dépit de certaines accélérations brutales qui amusaient seulement Mathis, celui-ci maîtrisait bien sa conduite. Tant qu’ils ne croisaient pas de flics, pas de soucis a priori… et puis de toute manière, il n’aurait strictement aucune responsabilité en cas de contrôle.
Mathis s’arrêta à une station-service alors que l’aiguille commençait à lécher la dernière marque de la jauge d’essence. Eliott, resté à l’intérieur, constata qu’il s’agaçait devant l’écran de la pompe. Il frotta sa carte à plusieurs reprises, mais dut constater que cette dernière était probablement refusée à juste titre. Mathis fit un tour sur lui-même puis posa les mains sur ses hanches, le regard désespéré, comme si un plan échafaudé de longue date venait de tomber à l’eau.
Évidemment, Eliott s’empressa de sortir sa propre carte bancaire pour lui venir en aide. Il lui la tendit avec un grand sourire, mais Mathis secoua la tête en signe de dénégation.
Eliott comprit très vite que son pilote aurait honte de profiter de l’argent de quelqu’un d’autre.
— Non mais vraiment, prends-là, ce n'est pas grand-chose…
— Ah c’est vrai, j’oubliais, pour les gens comme toi, on est pas à cinquante euros près.
— Non, je ne voulais pas dire ça ! On est « en voyage » ensemble, c’est normal que je paye ma part ! Et puis, qu’est-ce que tu veux faire d’autre ? En plus, c’est l’endroit idéal pour se faire repérer par les flics, si tu veux mon avis.
Mathis céda en maugréant quelques mots peu convaincus. Sa fierté acceptait mal les arguments rationnels d’Eliott.
Mathis – VII
La route qui s’ouvrait devant lui et les paysages qui se dévoilaient au fur et à mesure du voyage le grisaient. Il avait défini comme premier objectif l’ancien village de sa mère, situé sur la côte Atlantique. Par une amusante synchronisation, Eliott l’interrogea à cet instant précis quant à la durée qu’il prévoyait pour cette escapade improvisée.
— Hmm, on verra bien, tant qu’on s’amuse.
— De toute façon, je serais resté seul chez moi ce week-end, alors c’est pas plus mal ! répondit Eliott. Le seul problème est que je n’ai pas d’affaires de rechange…
— Pas de problème, j’ai pris le nécessaire. T’es un peu taillé comme moi ; les habits que j’ai récupérés devraient t’aller à merveille.
De temps à autres, Eliott lui faisait remarquer qu’il avait le pied un peu lourd sur l’accélérateur, et Mathis ralentissait un moment en le traitant amicalement de rabat-joie. Ils firent un arrêt au sud de Nantes au lac de Grand-Lieu, une célèbre réserve naturelle de la région se composant d’un mélange de rivières, d’îles et de tourbières. De nombreuses nuées d’oiseaux sauvages volaient d’îlot en îlot, dans une brise marine qui atténuait le soleil d’été.
— T'aimes bien la nature, en fait ? lui demanda Eliott, alors qu’ils longeaient la rive sud d’un des lacs secondaires.
— Ouais beaucoup ! Je trouve les grandes villes si tristes… Regarde-moi cet espace, c’est magnifique !
— Eh ben ça nous fait un point commun, alors !
Mathis rit intérieurement en remarquant que la situation ressemblait un peu trop à un rendez-vous galant, ou une promenade en amoureux, au choix. Enfin ça allait ; ils n’étaient pas non plus collés l’un à l’autre !
Ils s’autorisèrent une longue sieste dans l’herbe rase, aussi bien pour lui et sa précédente nuit agitée, que pour Eliott, qui s’était levé à l’aube.
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