Chapitre 5
Écrit en écoutant notamment : Thomas Bergersen - Immortal [Épique]
Eliott – VI
Ayant pris tout leur temps, ils arrivèrent en milieu de soirée sur la côte et garèrent la voiture sur un parking en terre constellé de nids-de-poule.
— Faudrait qu’on prenne une douche un de ces jours, non ? s’inquiéta Eliott.
— Pour ça, je pense déjà avoir la solution !
— Tu penses à la mer ?
— Non, certainement pas ! Le mélange de sel et de transpiration est vraiment pas agréable !
— C’est sûr.
— Par contre, regarde, apparemment il y a un camping à cinq cents mètres. Je suis certain qu’on peut s’incruster et trouver des douches.
— Ah pas bête, j’avoue ! Personne ne nous ennuira.
Ils enjambèrent un grillage bien que ce ne fût absolument pas nécessaire. L’aisance dont Mathis fit preuve l’épata ; on aurait dit un félin, doté d’une souplesse, d’une agilité et d’une force remarquable.
— T'as fait ça toute ta vie ?
— D’une certaine manière oui ! J’ai fait beaucoup de parkour ces dernières années avec des amis. Je sais pas si tu connais, mais c’est un sport qui consiste à franchir des obstacles, réaliser des sauts, et tout…
— Si, je crois avoir déjà vu un reportage là-dessus !
— Je pourrais t’apprendre quelques mouvements basiques, si ça t’intéresse.
— Je ne sais pas si je serai particulièrement doué, mais pourquoi pas ! Tu ne t’es jamais fait mal ?
— Euh non pas tellement… une fois une entorse de la cheville, mais j’avoue que j’avais fait le con… Allez, demain je te montre.
Le camping n’était pas si animé : la plupart des vacanciers dînaient devant leur caravane. Ils croisèrent néanmoins un groupe de jeunes de leur âge qui les saluèrent et leur proposèrent de les suivre, mais Mathis déclina gentiment l’invitation. Au moins, leur présence passait totalement inaperçue.
Ils suivirent simplement les quelques panneaux « Sanitaires » et trouvèrent des douches dans un état de propreté… passable. Par contre, elles étaient toutes réunies dans une seule vaste pièce qui ne laissait que peu de place à l’intimité.
Le temps qu’Eliott se demande s’il devait proposer de passer à tour de rôle, Mathis avait déjà attrapé des vêtements de rechange, aussi bien pour lui que pour Eliott.
— Tiens, tu me diras si ça te plaît ! Enfin, on a pas tellement le choix de toute façon.
— D’accord, merci !
Les habits prêtés par Mathis faillirent lui tomber des mains lorsqu’il le vit déambuler entièrement dévêtu, à la recherche d’une douche avec un débit correct. Il possédait des jambes athlétiques, une taille fine très excitante et un dos délicatement dessiné. De sa démarche édénique émanait une grâce qui accéléra son cœur et le laissa un instant interdit.
Eliott se retourna à la recherche de son propre jet d’eau, ébloui par cette vision paradisiaque. Il n’osait plus vraiment se retourner, de peur que Mathis n’interceptât son regard. Évidemment, ce dernier ne voyait aucun inconvénient à se montrer nu, comme l’eussent fait les coéquipiers d’une équipe sportive… Alors qu’il s’attardait, Mathis, qui s’était lui revêtu aussi vite que pour l’opération inverse, lui lança :
— Je t’attends dehors !
Eliott termina hâtivement de se savonner puis de se rincer. Venait maintenant l’étape la plus amusante : enfiler la tenue de Mathis. Même si ce n’étaient que de « simples » morceaux de tissus, il éprouva l’impression de se parer d’un voile de mystère, à l’image de son ami… Celui-ci avait d’ailleurs vu juste pour la taille.
Mathis – VIII
En retraversant le camping en sens inverse, Mathis se servit avec discrétion dans une caisse de bière entreposée derrière un emplacement. Ils repassèrent devant la voiture pour déposer leurs habits de la journée et prirent la direction de la plage. À cette heure-ci, les derniers baigneurs vespéraux quittaient les lieux et quelques exclamations s’élevaient de temps en temps de petits groupes dispersés sur l’immense bande de sable. Ils longèrent la plage et s’assirent au sommet d’une dune hérissée de larges gerbes de graminées sauvages.
Il trouvait au final Eliott intéressant, mais jusque-là, toujours pris dans le feu de l’action, le moment pour une discussion plus approfondie ne s’était jamais présenté. Mathis observait la mer noire qui se confondait avec le ciel étoilé, appréciant son évasion du moment. Il recherchait incessamment une liberté absolue, dont il entr’apercevait parfois les formes lors des nuits passées à danser au rythme de la musique. Bien qu’ayant au moins l’amour des décors sauvages en commun avec lui, Eliott semblait si calme et droit ; et pourtant, il appréciait cette escapade en sa compagnie. Sûrement était-ce cette rencontre inattendue, cette complicité impromptue et mystérieuse qui avait succédé aux premiers accrocs, qui expliquaient son sentiment actuel. Il finirait peut-être par s’en lasser ; cette aventure ne durerait pas éternellement, mais l’instant le ravissait.
Il hésitait à avouer à Eliott qu’il avait renoncé à la dernière minute alors qu’il patientait devant la salle d’examen. Vu ses principes, cela risquerait de gâcher la soirée. Il avait observé avec dégoût l’examinatrice relâcher un élève de ses griffes et appeler le candidat qui le précédait sur la liste. Conforté dans sa pensée, il avait alors rassemblé ses affaires et quitté le couloir austère sous les regards interrogateurs. Il s’était tout d’un coup senti plus léger, délivré de l’affreuse sensation de suffocation qui le tenaillait.
Eliott lui était complètement sorti de l’esprit jusqu’à ce qu’il eût à nouveau arpenté la cour. Il avait hésité un instant à le laisser un plan, mais la bienveillance dont il avait fait preuve le matin même l’en avait empêché. Pourquoi ne pas l’emmener, après tout ?
Sa décision prise, il lui avait ensuite suffi de vagabonder quelques instants pour ne pas éveiller ses soupçons.
***
Perdu dans ses réflexions, il mit un temps à relever les regards d’Eliott. Il aida ce dernier, qui se battait pour ouvrir sa bouteille, puis but une gorgée de la sienne.
— Tu m’avais dit pendant le voyage que tu m’expliquerais la raison de cette destination, dit Eliott.
Mathis se redressa et rassembla un instant ses mots.
— C’est vrai. J’ai prévu qu’on aille demain dans le village où a grandi ma mère. On y passait régulièrement quand j’étais plus jeune. Mais depuis…
— Oh, il est arrivé quelque chose de grave ? demanda Eliott après une nouvelle pause de son ami.
— Oui. Je vais être direct : elle a disparu il y a dix-huit mois ; littéralement évaporée. Tu te rends compte ? Du jour au lendemain, sans aucun signe préalable, plus la moindre nouvelle, plus la moindre trace. Plusieurs mois après, les policiers étaient aussi déroutés qu’aux premiers jours.
— Merde… je suis vraiment désolé. Et… je ne sais pas du tout quoi te dire, je n’ai jamais vécu ce genre de choses.
— C'est pas grave. Malheureusement, ça arrive… Mon père s’est longtemps voilé la face, peut-être encore maintenant. Il espère peut-être qu’elle a simplement souhaité recommencer sa vie loin d’ici. Ils ont bien essayé de lui faire comprendre que la vérité était sûrement moins reluisante, mais ça passait pas.
Eliott l’observait avec une concentration particulière. Ce n’était pas un regard condoléant – comme il les déteste – , mais attentionné et respectueux. Il put poursuivre :
— Avec le recul, on s’est correctement débrouillés avec mon père au début. Mais forcément, ses ruminations ont fini par prendre le dessus sur tout le reste. Il a changé plusieurs fois de travail pour des motifs flous, dormait de moins en moins. La nuit, il lui arrivait de tourner pendant des heures en rond devant la maison. Son suivi psychologique n’a évidemment rien amélioré ; il l’a abandonné au bout de deux séances.
— Eh ben… Et de ton côté, tu l’as mieux géré ?
— Je sais pas… Mais je me demande si ce n’est pas son comportement qui m’a le plus affecté. Maintenant, moins on se parle, mieux on se porte. J’ai eu la chance de trouver une « nouvelle famille » avec le collectif techno dont je fais partie. Franchement, ce sont des gens admirables. Ils seront toujours dignes de confiance, et je trouve qu’on se bat pour une belle cause : la musique libre ! Tiens, t’écoutes quoi comme styles toi, en fait ?
— Euh… au risque de te décevoir, j’aime surtout la pop assez… normale. La musique classique et épique me plaît pas mal aussi.
— Ah, du genre Hans Zimmer ou Thomas Bergersen ?
— Oui, c’est ça ! Comment est-ce que tu connais ?
— Ah, faut croire que les teufeurs ne sont pas tous enfermés dans leur style ! Et puis ma mère aimait tout particulièrement… Tu m’as dit que t’avais eu ton bac, tu vas faire quoi l’année prochaine ? J’ai ma petite idée.
— Prépa éco à Paris !
— Merde… raté.
— Tu pensais à quoi ?
— Droit par exemple…
— Tu n’as pas complètement tort, j’ai un peu hésité entre les deux.
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