Chapitre 6
Écrit en écoutant notamment : 999999999 — X0004000X [Acid Techno]
Eliott – VII
Cela faisait beaucoup d’informations d’un coup ! Et puis par contraste, il se rendait compte qu’il avait eu la chance de jouir d'une jeunesse stable et heureuse. Il admirait la résilience, au moins apparente, de Mathis, cette passion un peu particulière qui paraissait le porter.
Il évoqua à son tour son parcours, son goût pour l’histoire, l’économie, la randonnée, le cinéma… et même, après réflexion, pour la littérature érotique : tout le monde n’avait pas droit à ce détail. Trop timide, il omit cependant de préciser les préférences affectives des protagonistes des histoires en question. Mathis sourit mais posa des questions étonnamment sérieuses sur le sujet.
Eliott sortit son téléphone et rédigea un message à ses parents indiquant qu’il « resterait dormir » chez l’amie du lycée qu’il avait revue cet après-midi. Ils seraient moins inquiets que chez un mec...
Minuit approchait et le rythme de la conversation ralentissait. La brise du début de soirée était complètement retombée. Eliott bailla et s’allongea sur une touffe de végétation relativement confortable. Il sentit que Mathis fit de même à ses côtés, puis sombra rapidement vers le sommeil malgré son exaltation.
***
La fraîcheur le réveilla au milieu de la nuit. Il jeta un regard désabusé à Mathis, qui pionçait comme une souche en simple t-shirt. Il fallait dire qu’il avait réussi à dormir trempé le long de la Loire… En attendant, il remonta sa fermeture éclair, mit la capuche du sweat prêté par Mathis et protégea ses mains dans les poches de son pantalon de randonnée. Le léger surplus de chaleur lui permit de se rendormir aisément.
Au petit matin, il sentit une chaleur plus conséquente se diffuser dans son dos. Il souleva très délicatement la tête et constata que son ami avait collé son torse contre lui. Son cœur se mit à battre la chamade, même s’il se doutait que comme lui, Mathis avait fini par souffrir du froid. Malgré les crampes qui l’envahissaient, il espérait maintenir cette proximité le plus longtemps possible. Mathis lui plaisait, et le sentir l’envelopper dans ses bras le comblait au-delà de toute espérance ; le contact charnel avec ce jeune homme tellement énigmatique et désirable constituait un privilège inégalable, qu’il savoura pleinement.
Il maudit les premiers rayons qui atteignirent le visage de son ami. Celui-ci ne parut aucunement gêné de cette position rapprochée et le salua après avoir roulé sur le côté et s’être assis. Tout simplement pragmatique, pensa Eliott.
Ils reprirent la voiture jusqu’au village dont Mathis lui avait parlé. Ce dernier dépensa son dernier billet rouge pour leur offrir un petit-déjeuner dans un café du centre du bourg.
Comme prévu, Mathis l’emmena jusqu’à l’ancien domicile de sa mère. Il ne s’arrêta qu’un court instant, les yeux clos et les bras croisés devant son torse, mais Eliott le sentit instantanément plus détendu, comme si sa mission avait été accomplie.
— Je sais exactement où je vais te montrer quelques bases du parkour. Dans le quartier même où je l’ai appris !
— D’accord, allons-y !
Eliott – VIII
— Le franchissement le plus simple s’appelle « le saut du voleur ». Tu vas prendre un peu d’élan, puis tu vas passer la rambarde en face en t’appuyant d’abord sur une seule main. Il faut ensuite passer les jambes, avant de te stabiliser avec la deuxième main. Je te montre.
Mathis exécuta le mouvement en donnant une impression de facilité. Eliott prit à son tour quelques mètres d’élan, et tenta de reproduire le passage. Le geste fut évidemment approximatif et la réception assez bruyante, mais Mathis l’encouragea :
— Franchement, c’est pas trop mal pour une première tentative ! Réessaye voir en laissant le bras plus en tension et en continuant ta course après le franchissement.
Eliott souhaitait faire bonne impression à son professeur. Il osa arriver avec un peu plus de vitesse, sentit que le saut fut plus fluide, mais perdit ensuite l’équilibre et roula pour amortir sa chute.
— Belle réception ! rigola Mathis. Non mais en réalité, c’est important de savoir se rattraper pour éviter de se blesser.
— J’imagine ! Et sinon, à quoi sert cette discipline, si ce n’est semer les flics en course-poursuite ? le taquina Eliott.
— Et ben… c’est vrai que ça pourrait très bien servir ! Mais ce que j’aime, c’est surtout la sensation de vitesse, de maîtrise de l’espace et des mouvements de son corps. Et puis c’est plutôt physique et très complet, idéal pour se tailler un corps de rêve ! Tiens, on va passer à ma technique préférée : le saut de chat. On va utiliser le muret là-bas, ce sera plus simple au début. Cette fois-ci, tu devras poser tes deux mains en avant, puis donner une impulsion avec tes jambes, afin de bondir… comme un chat. Le point clef est de bien soulever les fesses au moment de l’impulsion.
Eliott ne réalisa la difficulté du saut qu’en arrivant devant l’obstacle. Il lui sembla très peu naturel d’engager son corps vers l’avant et estima comme particulièrement élevé le risque de s’étaler au sol (*).
— Désolé, je ne le sens vraiment pas… conclut-il après un deuxième essai.
— Je comprends, c'est pas évident d’accepter cette sensation de déséquilibre ! Tu m’aurais impressionné si t’étais passé du premier coup. Mais je pense qu’il y a quand même du potentiel.
— Merci ! Faudra que je continue à m’entraîner cet été alors !
Il comptait évidemment sur Mathis ; cela constituerait une excellente occasion pour se revoir pendant les deux mois à venir.
Mathis – IX
— T’es chaud qu’on descende un peu plus vers le sud, du côté de la Rochelle, ou Royan ?
— Oui, pourquoi pas ! acquiesça Eliott.
Ils débattaient avec entrain de leur prochaine étape lorsqu’au croisement d’une rue, Mathis stoppa son ami du bras. Trois policiers municipaux s’affairaient autour de leur voiture.
— Merde alors, encore eux ! s’agaça Mathis.
— C’est peut-être ton père qui a fait un signalement…
— Et qu’ils retrouvent la caisse en moins de vingt-quatre heures ? Ils sont trop lents et stupides pour ça, je peux pas le croire.
— Euh attends… j’ai l’impression qu’on ne s’est pas garés au meilleur endroit possible.
En effet, ils entendirent un des agents, le plus bedonnant des trois, rouspéter au téléphone :
— J’ai un véhicule gênant en infraction rue de Provence… Oui, venez m’enlever ça rapidement… Et dire que l’été ne fait que commencer !
Ils firent quelques pas en arrière et s’assirent sur le trottoir. Mathis secoua la tête de dépit en enchaînant les jurons.
— C’est mon père qui va être content de retrouver sa voiture à la fourrière… Et qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?
— Je ne sais pas, tu penses qu’il va réagir comment ?
— Ah… t’en fais pas, il a l’habitude de mes conneries. C’est pas une de plus ou de moins qui changera la donne.
— D’accord... On peut toujours poursuivre en train, en bus, en stop… J’apprécie bien ce voyage.
Mathis s’accorda quelques instants de réflexion. Son ami semblait suspendu au moindre mouvement de ses lèvres.
— Il est peut-être temps de s’arrêter…
— Tu m’as pourtant assuré que tu voulais toujours aller jusqu’au bout de ta liberté, exploiter chaque faille, chaque opportunité… Je ne comprends pas très bien.
— Je pense que pour cette fois, la société et ses normes m’ont vaincu. Je suis épuisé.
Mathis lui conta enfin en détail son accident, qui avait suivi l’intervention des forces de l’ordre lors de leur soirée. Il lui devait au moins cette explication…
Ils se dirigèrent ensuite en silence vers la petite gare du village, où Eliott acheta les différents billets nécessaires à leur retour.
(*) l’auteur a bien évidemment tenté toutes ces figures dans un parc en pleine nuit pour mieux rendre compte de la scène.
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