Chapitre 7

5 minutes de lecture

Écrit en écoutant notamment : Nibana Shumatsu No Tani [Ambient/Psychédélique]

Eliott – IX

Lorsque le train régional s’était arrêté au niveau du quai, il avait senti une immense vague de désenchantement le traverser. Cette belle aventure s’était arrêtée si brutalement...

Il se rappelait l’enthousiasme de Mathis, sa gaieté et son envie d'aventure, il y a encore quelques dizaines de minutes. Maintenant, son ami semblait complètement apathique, affalé sur son siège à moitié ensoleillé. Les paysages défilaient sous son regard inexpressif, comme si on rembobinait le film de leur voyage. Malgré les différents changements nécessaires, le voyage parut beaucoup trop court à Eliott. Il redoutait la séparation avec Mathis, ainsi que le retour de ce dernier chez son père, même s’il ne donnait pas véritablement l'impression d'être tendu.

La voix de la SNCF annonça leur arrivée comme la sentence d’un juge. Eliott avait l’impression que ces vingt-quatre heures en valaient le centuple, tant il s’était fait une image précise de son beau compagnon de voyage. En effet, depuis la sortie du lycée de Mathis, ils étaient toujours restés à portée de voix ou de regard. Même la nuit et sa fraîcheur avaient fait en sorte de les rapprocher. Il appréhendait le contraste de la fin de semaine qui s’annonçait, car le désœuvrement le gagnait déjà. Certes, on ne lui avait pas encore volé son Mathis, mais celui-ci n’était déjà plus le même. Seul l’espoir raisonnable d’une nouvelle sortie pendant les vacances le retenait dans sa chute vers un abattement infini.

Il déchira un morceau d’une carte qu’il avait imprimée et y inscrivit son numéro de téléphone. Il le tendit à Mathis, en lui proposant de le recontacter dès qu’il le voudrait. S’il avait bien appris une chose sur sa personnalité, c’est que ce serait uniquement lui qui déciderait de l’avenir de cette rencontre. Alors qu’Eliott s’apprêtait à lui serrer la main une fois arrivés à leur point de séparation, Mathis le saisit un long moment dans ses bras. Il ferma les yeux et revécut un instant son réveil, au chaud, contre son ami.

— Merci.

— Merci à toi aussi, répondit Eliott. J’espère avoir de tes nouvelles rapidement.

Il observa avec résignation sa silhouette s’éloigner, puis disparaître complètement.

***

Il ne remarqua qu’à quelques pas de chez lui qu’il portait encore le t-shirt et le sweat prêtés par Mathis. Ce dernier devait être trop soucieux pour avoir pensé à les lui réclamer...

Les parents d’Eliott étaient eux en train de tasser comme ils le pouvaient leurs affaires dans les valises en vue du week-end qu’ils avaient prévus.

— Ah, Eliott ! C’est bien que tu aies pu rentrer avant notre départ ! Comment s’est passée ta soirée chez Chloé ? Tu n’as pas oublié de saluer ses parents de ma part ?

— Ah… euh… bien ! répondit Eliott, qui avait complètement oublié de se préparer à cette question après avoir menti sur sa destination.

— Super ! Pour le week-end, il reste des pizzas au congélateur, et il faudrait aussi terminer la tarte à la rhubarbe. Tu penseras aussi à bien arroser les tomates du jardin une fois le soleil couché ; ils prévoient une grande chaleur pour la fin de semaine.

— D’accord.

Toutes ces préoccupations matérielles lui parurent dérisoires, mais bien sûr, ses parents ne pouvaient se douter de la descente émotionnelle qui commençait à le frapper. Une fois seul, il relança ses amis pour leurs vacances prévues en août afin de se changer les idées, sans véritable succès.

Eliott – X

Dimanche 28 août 2010

Le joyeux soleil de juillet avait laissé sa place à une chaleur pesante. Il suffisait de se promener en ville pour constater que la plupart des enseignes vantaient unanimement les mérites de « la rentrée ». Eliott ressentait de plus en plus lourdement la pression qui s’accumulait sur ses épaules. Il était en train de terminer « Le Joueur d’Échecs » de Stefan Zweig, un des ouvrages au programme de son futur cours de culture générale.

Il ne lui restait que quelques pages à lire, mais il referma le roman et le repoussa sur la table basse du salon. Il ne pouvait s’empêcher de repenser trop régulièrement à Mathis.

Pendant les premiers jours, il ne s’était pas inquiété ; au contraire même, il s’était enivré des souvenirs du voyage vers l’Atlantique et toutes sortes de jolis scénarios imaginant leurs futures retrouvailles s’étaient bousculés dans son esprit. Il s’était entraîné assidûment aux techniques de saut enseignées par Mathis dans un parc proche de chez lui, et de temps à autres, il aimait également revêtir ses habits prêtés lors de la soirée près du camping.

Passé deux semaines, la situation lui avait paru bien plus déconcertante. Peut-être s’était-il trompé sur le numéro qu’il avait fourni ? Mathis l’avait-il mal déchiffré ? Et surtout, pourquoi avait-il pensé qu’il était superflu de réclamer aussi le sien lors de leur retour en train ?

Il n’avait pas pu croire que Mathis l’eût simplement oublié ; qu’il fût juste passé à autre chose. En plus, le douloureux sentiment de perdre progressivement l’image de son ami l’avait obsédé. Il avait tenté de retrouver sa trace sur internet, sans succès… Peut-être aurait-il fallu se faire prescrire des séances d’hypnose afin de se souvenir de son nom de famille, qui devait assurément être inscrit sur sa convocation aux rattrapages. On entendait bien parler d’histoires de témoins de crimes qui parvenaient miraculeusement à fournir certains détails précieux aux enquêteurs grâce à ces techniques.

Les vacances chez les amis de ses parents lui avaient également laissé un goût amer. L'excursion en compagnie de Mathis avait constitué une sorte de porte ouverte sur des sentiments nouveaux, plus intenses. Bien sûr, il avait essayé de profiter de ses activités habituelles, mais tous ces fameux souvenirs avaient repris le dessus et lissé le moment présent. Il avait peut-être commis l’erreur de n’en parler à personne jusqu’à maintenant ; même vis-à-vis de ses amis proches, le risque de paraître ridicule l’avait emporté. Pourtant, cela l’aurait très sûrement aidé à surmonter cette douleur insidieuse… à moins que sa très prochaine rentrée parisienne ne fît encore mieux le travail.

Désormais, il se demandait s’il n’aurait pas dû confesser à Mathis son attirance, au moins lors du retour. Une réaction hostile l'aurait aidé à tourner la page... Et puis il aurait bien fallu tenter sa chance afin d'avoir eu une infime chance de toucher au Graal. Une réponse plus amicale, la plus probable selon lui, l'aurait au contraire beaucoup plus fait souffrir de la séparation... Eliott était fatigué de tous ces scénarios contradictoires, mais ne pouvait les empêcher de se développer.

Il se rendait compte avec fatalisme que cette occasion, l’aventure qui s’en était ensuivie, ne surgirait peut-être plus jamais dans le futur. Elle avait été le fruit de circonstances si particulières, tellement uniques, divinement coordonnées. Il y aurait eu un million de manières de passer à côté, alors il aurait souhaité si ardemment pouvoir la prolonger un peu plus…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire lampertcity ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0