Chapitre 9

7 minutes de lecture

Écrit en écoutant notamment : D-Frek — Evil Sailor [Frenchcore]

Mathis – X

Deux ans et demi plus tard... Vendredi 1er mars 2013, 19h

Debout devant l’armoire de sa chambre, il réfléchissait à une tenue adaptée pour la soirée. Ce n’était pas nécessaire de se mettre sur son trente-et-un, mais un minimum d’allure serait le bienvenu pour cette occasion !

Il aida son père à disposer une table classieuse au salon, puis ils achevèrent de sortir le nécessaire pour l’apéritif. Quant à la préparation du repas, n’étant pas meilleurs cuistots l’un que l’autre, ils avaient déjà démarré en milieu d’après-midi, après que Mathis fut rentré à l’occasion de sa semaine de vacances. Son IUT à Lyon lui apportait toujours satisfaction et il devrait passer en troisième année sans souci.

Son père était animé d’une tension positive ; il avait décidé d’organiser cette soirée pour présenter à Mathis sa nouvelle copine, rencontrée il y a un mois. Il ajusta le col et les manches de sa chemise, s’observa sous plusieurs angles dans le miroir de l’entrée, puis se retourna vers Mathis.

— Est-ce que tu penses que la bleue m’irait mieux ?

— Euh… difficile pour moi de savoir ce qu’elle préférera. Mais je pense que tu es très bien comme ça !

Eliott – XII

Vendredi 1er mars 2013, 20h30

Eliott se mordait les doigts d’indécision. Ce dilemme le tiraillait depuis trois jours et il avait déjà changé de décision plusieurs fois. La célébration des vingt années de mariage de ses parents était prévue depuis des mois, et quoique la situation actuelle fût très tendue, il avait réitéré sa promesse de rentrer pour y participer. Mais… il y avait Sasha.

En fait, il n’avait plus vu ses parents en personne depuis qu’il leur avait annoncé sortir avec Sasha, rencontré début janvier dans son école de commerce. Cette fois-ci, il avait bien plus réfléchi que lors de son coming-out foireux en seconde et avait estimé qu’ils avaient le devoir d’accepter sans réserve sa déclaration.

Malheureusement, l’accueil fut bien plus glacial que ce que l’indifférence des années précédentes pouvait laisser présager. Ses parents l’avaient accusé d’utiliser cette « prétendue orientation sexuelle » comme un simple moyen d’opposition et de révolte. L’expression de « crise d’adolescence tardive » employée par sa mère l’avait réellement blessé. Franchement, comment pouvaient-ils se permettre de remettre en cause cette réalité, son identité ?

Pour la première fois de sa vie, il se retrouvait dans un conflit sérieux qui mettait en péril la stabilité de sa famille. D’un côté, il y avait cette envie de réconciliation, cette solution de facilité qui repousserait seulement l’échéance. De l’autre, un désir de dissidence, qui ressemblait de manière troublante à celui de Mathis, lors de leur échappée il y a plus de deux ans… D’autant plus que Sasha lui proposait de se rendre ce samedi dans les rues de la capitale pour faire entendre leur voix.

L’affrontement social concernant le mariage pour tous battait son plein, aussi bien dans les cortèges qui parcouraient les grandes villes de France que dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale. Eliott sentait que le moment serait historique. Sans doute resterait-il très longtemps fier de pouvoir dire qu’il avait assisté de ses propres yeux à cette avancée fondamentale.

Sa raison opposait une résistance similaire à celle d’une pièce métallique qu’on aurait essayé de tordre, mais il parvint finalement à la forcer en choisissant Sasha et la manifestation du lendemain. Pour sceller la décision, il vida sa valise à moitié entamée et envoya un message à son amoureux. En plus, ce dernier avait déjà été suffisamment patient et arrangeant pour laisser son programme du week-end en suspens le temps qu’il se décidât.

Mathis – XI

Bien que ce fût redevenu la norme depuis un moment, Mathis savourait toujours autant sa complicité avec son père. Il lui semblait retrouver l’ambiance légère de son adolescence malgré la disparition de sa mère et voyait la possible nouvelle relation de son père d’un œil bienveillant. Ils accueillirent Éléonore, la copine de son père, un quart d’heure plus tard. Le père de Mathis, tel un candidat de Masterchef, avait ajusté à la dernière seconde la disposition des ronds de serviette avant d’aller ouvrir.

***

Il ne pouvait se rappeler d’un évènement précis qui aurait marqué le début de la réconciliation, seulement qu’elle s’était opérée quelques temps après son échec au bac en 2010. Lui et son père avaient tous les deux senti que leur opposition destructrice les mènerait tout simplement au désastre s’ils ne réagissaient pas. De plus, Mathis avait appris la nouvelle comme un coup de poignard dans le dos : Pablo, son meilleur ami du collectif Anharmonik, était décédé dans un accident de la route à la fin de l’été. Ils avaient déjà déménagé dans le Rhône et Mathis avait renoncé à faire le déplacement pour la cérémonie organisée en sa mémoire.

Au lieu d’aller découvrir sa nouvelle région, il était resté cloîtré dans sa chambre. Encore une fois, on détruisait le cadre qu’il avait bâti. À quoi bon se relever si on le faucherait à nouveau dans son élan ? Trois semaines plus tard, des analyses avaient révélé que Pablo avait circulé en pleine nuit sous l’emprise de stupéfiants…

Mathis n’était déjà pas retourné en rave party depuis la soirée de début juillet, mais il avait en plus senti une nouvelle barrière se poser dans son esprit. Finalement, était-ce réellement le meilleur moyen de démontrer et exercer sa liberté ?

Sans alternative réelle, il avait d’abord accepté à contre-cœur de redoubler sa Terminale, mais malgré sa médiocrité intériorisée, il s’était révélé au bout de quelques semaines être un élève tout à fait médian. Inès, la camarade de classe dont il s’était épris, l’avait également soutenu lorsqu’il le fallait. Elle aussi avait fini par succomber à son charme et ses invitations, pendant les vacances de la Toussaint. Mathis avait trouvé dans son corps fin, ses cheveux brillants et son caractère affirmé la perfection.

***

La soirée s’était déroulée à merveille. Mathis avait perçu entre son père et Éléonore un lien similaire à celui qui le rapprochait d’Inès. Il avait évoqué avec fierté les études qu’il menait actuellement sous le regard chaleureux de son père et celui curieux d’Éléonore.

Après qu’elle fut partie, son père, encore bondissant, s’écria :

— Ah tiens, Mathis, je viens de t’envoyer son numéro par message, ça peut toujours être utile !

— Ok cool !

Il monta dans sa chambre puis copia le numéro et créa une nouvelle fiche de contact sur son téléphone. É… l…, El… ? Il comprit rapidement pourquoi l’enchaînement de lettres lui évoquait vaguement quelque chose. Eliott, pendant les vacances de sa première Terminale ! Il n’y avait pas repensé depuis un long moment.

En même temps, entre le déménagement, la disparition de son ami et la nouvelle rentrée à Lyon, il y avait eu du mouvement ! Sans compter Inès et leur relation ! Passé le rush du début d’année scolaire, il se souvint avoir quelques fois songé à reprendre contact, mais leur éloignement géographique, entre Lyon et Paris, rendait cette perspective incertaine. Et puis Eliott devait être particulièrement occupé avec ses études en prépa.

Tandis que son père commençait un peu de rangement en sifflotant, il se perdit quelques minutes dans les souvenirs de leur voyage. Il ne pouvait nier qu’embarquer ce garçon trop sage et mesuré dans ses aventures improvisées l’avait amusé, jusqu’à ce qu’une pauvre bêtise n’y mette malheureusement un terme. Il pouvait encore sentir l’herbe fraîche dans laquelle ils s’étaient reposés le premier après-midi ; l’insouciance qui avait baigné leur longue conversation sur la plage ; la détermination d’Eliott à reproduire les sauts qu’il lui avait enseignés.

D’ailleurs, une question à son propos l’avait plus fait réfléchir. Il n’en était pas certain, mais se demandait à quel point Eliott était tombé amoureux de lui. Sa flagrante indécision au moment de prendre leur douche, ou encore son enthousiasme sans faille pour tout ce qu’il proposait, n’étaient pas forcément plus révélateur d’un attachement profond que d’une simple timidité.

Étant particulièrement à l’aise avec le sujet, il aurait pu directement lui poser la question. Il n’avait jamais associé au fait d’être gay la moindre once d’anormalité. Malgré lui, il connaissait même nombre de détails sur cette orientation : Pablo n’était jamais avare de détails quant à ses rencontres avec la gent masculine.

Par curiosité, Mathis tapa son nom dans un moteur de recherche. Il s’était rappelé sans difficulté du patronyme : le « Eliott de Lattre » imprimé sur sa carte bancaire l’avait marqué et lui avait confirmé qu’il descendait sûrement d’une bonne famille…

Il tomba aisément sur son profil, créé il y a quelques mois. Il sourit à la vue de la photo de couverture d’Eliott, une affiche défendant le projet de loi du mariage pour tous. Son intuition avait peut-être du bon ! Il fit défiler quelques posts et tomba sur une photo d’Eliott enlaçant un jeune homme blond. La légende ne laissait aucun doute sur leur relation amoureuse.

Un pincement au cœur le saisit ; il s’étonna d’être… simplement heureux pour ce garçon, avec qui il n’avait pourtant plus eu de contact depuis presque trois ans. C’était comme si, malgré leurs différences, il avait l’intuition de son caractère et de ses désirs. Il ajouta un petit « j’aime » discret sous la photo en question. Il était curieux de savoir si Eliott se rappellerait de lui.

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