Mien
Le fleuve traversait la vallée archaïque,
Une terre orangée au charme tellurique,
Étroit et peu profond, serpenteau débutant,
Il sinuait, fécond, d'un rocher au suivant.
Chacune de ses rives, généreuse et docile,
Consentit, permissive, qu'élisent domicile,
Toutes sortes d'espèces, et quelques habitants,
Partageant les richesses de ses flancs verdoyants.
Il ondulait serein, se laissait enjamber,
Irriguait les lopins d'orge et les grands palmiers.
Y travaillaient tous ceux qui en étaient capables,
Les enfants et les vieux attendant à la table.
On partageait ainsi, sous les yeux du reptile,
Tout ce qu'avaient produit les mains les plus habiles.
Aucun n'aurait laissé une écuelle vide,
Une soeur affamée, qu'elle fut même stupide.
Seul un jeune ambitieux, un peu moins solidaire,
Paraissait désireux de mieux se satisfaire.
À l'abri des regards, et à chaque bamboche
Il mettait à l'écart quelques grains dans sa poche.
Puis un soir de ripaille, il déclara enfin :
"Je veux ma propre paille, et mon propre jardin.
Ces graines m'appartiennent, et je les planterai,
Leurs moissons seront miennes, c'est là ma liberté."
Pour arroser ses champs, il creusa le terrain,
Ne se préoccupant que peu de l'ophidien,
Il était obsédé par son seul bénéfice,
Rêvait à des palais entourés de narcisses,
Il ignorait encore qu'en exemple érigé,
Il créait le décor d'un désastre assuré.
Dans son lit élargi, le fleuve à cet instant,
Par les pelles, assailli, est devenu serpent.
Un monstre infranchissable, à l'eau trouble et terreuse,
En ses bords, indomptable, et à l'âme fielleuse.
Plus personne ne peut traverser ses courants,
Mais le jeune envieux creuse toujours autant.
MH.
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