Responsabilité

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 “Sokrat”. C’est le cri que j’ai le plus entendu de ma vie. Il était spécifique aux membres de mon clan. Pour autant que je m'en souvienne, je suis né dans ce clan, j’y ai grandi, et ne l’ai jamais quitté. Pourtant, mes compagnons ne me ressemblaient pas : ils avaient plutôt l’air de singes, mais sans crocs ni fourrure. En revanche, ils étaient très grands et très forts, et je devais toujours lever la tête pour voir leurs visages. Sauf quand ils s'allongeaient quelque part - presque toujours sur des surfaces moelleuses - me laissant partager avec eux des instants de chaleur. Ils étaient surtout très bavards, alors que moi, je n’ai jamais rien su articuler. J’ai vécu ainsi, sans jamais parvenir à suivre ce torrent de sons organisés, émis à qui mieux mieux par mes congénères. Et à mon égard, c’était ce même cri plus ou moins appuyé, “Sokrat”, qui sortait de leur bouche. Il leur arrivait même de le vociférer depuis une pièce voisine, ne se lassant que lorsque j’apparaissais sous leurs yeux. On se saluait alors par quelques caresses, et l'ordre était rétabli.

 Nous étions cinq, dont notre cheffe, qui était une femelle. Elle avait trois petits, hormis moi-même. Au début, j'étais le plus jeune. Mais alors que j'atteignais l’âge adulte, environ deux ans après ma naissance, mes frères primates semblaient persister dans leur stade infantile. J'ai très vite dû prendre la responsabilité de protéger leur terrain de jeu, surtout lors des périodes où l'herbe ombragée empestait la pulpe pourrie. Au moins ce parfum attirait-il de gazouillants morceaux de chair... Ces créatures étaient pourvues d’un bec, de serres et de plumes, et leur capture, précédant l’exquise mise en charpie, m'égayait furieusement. C'était un de ces jours de forte chaleur où j'avais dû, en tant que nouveau patriarche, tenter le périlleux sauvetage du plus grand d'entre nous.

 Un après-midi, en effet, où je faisais ma ronde, j'ai aperçu l'aîné des trois jeunes mâles déambuler hors de mon champ de surveillance. Je l'ai suivi, à pas de loup, sans me mettre à la portée d'autres singes. Je devais également rester attentif aux larges sentiers rugueux et grumeleux, d'où pouvaient surgir des bisons tonitruants. J'avais dû néanmoins en traverser trois ou quatre avant de voir mon frère pénétrer dans un enclos saturé de cris suraigus. C'était une meute d'autres enfants, lesquels soulevaient trop de poussière pour me permettre d'y bien voir… Je pressentais pour lui un danger, c’est pourquoi je devais intervenir sur-le-champ.

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