Courage

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 Je me retrouve alors tapi dans une barrière de buissons. Dans ma poitrine, ça cogne à me faire presque mal. De loin, j'aperçois mon frère primate, qui se tient seul, tournant le dos au tumulte. Il semble chercher vaguement une issue dans la haie végétale. C'est peine perdue : il est beaucoup trop grand pour se faufiler sous les feuillages. Il se contente de mâchonner un morceau de chair brunâtre et anguleux. Comme j’arrive à sa hauteur, un bruit strident attire son attention, si bien qu'il ne peut ni me voir, ni m'entendre. Les enfants inconnus se rassemblent, il les rejoint, et je saigne au fond de moi de le voir ainsi pris au piège. Mais qu’aurais-je fait à sa place ? Docilement, les uns derrière les autres, les jeunes singes se réfugient dans leur abri en terre dure. Celui-ci est bien plus haut et bien plus vaste que le nid de notre mère.

 Le calme est retombé, et je sors de ma cachette. Tout le domaine est soudain devenu désert. Je repère des ouvertures dans le mur, de celles qui vous permettent de voir à travers, tout en empêchant votre corps de passer. Je me perche donc au niveau d'un des renfoncements, et je scrute l'intérieur. Tant pis si je me fais repérer : je suis protégé par ce mur semi-invisible qui me sépare de la troupe de primates. Les petits singes sont tous assis, dont mon frère, la nuque courbée sur un plateau encombré de fatras. Seul un grand et vieux mâle circule dans les rangs, débitant par paquets, de sa voix ferme et grave, de complexes bruits de bouche.

 Puis le grand singe autoritaire remarque ma présence, levant vers moi un regard étonné ; d'un même mouvement de buste, tous les autres me font face. Repéré, je suis pris d’effroi, tandis que le groupe entier se met à piailler. Il n’y a que mon frère qui ne bouge pas, qui ne prend pas part au tapage. Au bout de quelques interminables instants, il finit tout de même par regarder dans ma direction. Il fronce alors les sourcils, puis, me reconnaissant, ouvre de grands yeux noirs d'espérance. Sa poitrine se soulève ; on dirait qu’il va s'enfuir. Je cherche à l'encourager, rugissant à pleins poumons de ma voix de crécelle. Si j'avais su aboyer comme le font les bêtes, je m'en serais donné à cœur joie. Hélas, j'ai beau m'égosiller, mon frère reste interdit devant mes appels. Comme il n'ose rien faire, je laisse les autres singes à leurs huées imbéciles, en quête d'une autre issue.

  Revenu au sol, je fais rapidement le tour de la structure. Tout semble ouvert, alors j'entre dans la bâtisse. Par chance, j'arrive à passer dans le dos des gardiennes rayées de vert. Fort heureusement d’ailleurs ! En effet, l'une d’elle est armée d'un bâton à crinière humide, et l'autre d'une brique jaune, molle et dégoûlinante. Peu rassuré, je me précipite dans la première cellule que je trouve. Ils sont tous là, assis de dos, et mon frère est posté à l'autre bout de la salle. Je ne saurais avancer davantage sans me retrouver à la merci d'un pied ou d'une main. Mais je ne peux pas non plus revenir sur mes pas. Alors je me prends à hurler tout mon soûl ; j'espère ainsi donner le signal à mon frère tout en provoquant l'effet de surprise qui nous serait salvateur. Les enfants primates se tournent de nouveau vers moi. Tous, ils se mettent à caqueter impitoyablement, éructant des hoquets carnassiers, et pleins d'une gaieté glaciale... un son guttural propre à cette cruelle race de singe. Moi, je me sens seul et mortifié, et je ne peux que redoubler désespérément mes appels à l’adresse de mon frère.

 C'est là que l’aîné des jeunes mâles de notre clan finit par s'exclamer : "Sokrat ?! Mécémonchassa !". Il est tellement abasourdi qu'il ne cesse de plisser les yeux. Comme s’il n'y croyait pas. "Féleçortirjul, silteplè" fait le grand singe, qui s'assoit dans un coin. Mon frère se lève alors, un large sourire aux lèvres. Il balance ses épaules, la mine fière, et sans se presser. Des "Césoncha ?" ou "Comanhilétrobo !" circulent à voix basse autour de lui. Je vois qu’il sourit de plus en plus fort, mon frère. Soudain, je comprends qu'il ne fait pas partie des prisonniers. À présent, tous les autres témoignent d'une réelle fascination à son égard. Depuis qu’il est debout, ils n’osent plus produire le moindre son. "Kestuféla” Sokrat ?, fait-il tout haut en arrivant devant moi, “Vien !". Il me prend dans ses bras, me bécote le museau, que j'ai tigré. Il me conduit comme ça vers l'extérieur. "Aléfildonc", lance-t-il avec un ferme mouvement de la main. Je décide alors d’obéir et de partir. S’il rivalisait avec le chef, mieux valait ne pas s'en mêler. Je suis donc retourné sur nos terres, dont j’avais déjà à m’occuper seul. 

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