Chapitre 9
Les yeux exorbités, je fixe mon plafond blanc. De la sueur imprègne mon débardeur noir. Si j’ai dormi plus d’une heure, c’est exceptionnel !
Tous les bruits qui ont retenti cette nuit m’ont fait frémir. Le moteur du réfrigérateur qui s’enclenche, la douche du voisin, les nuisances sonores dans la cage d’escalier.
J’écrase le sol lourdement et un mal de tête survient. Je ne prends pas la peine de prendre un cachet d’aspirine, cela n’arrangerait rien. L’unique remède contre la fatigue est le sommeil. Que faire quand vous ne parvenez pas à le provoquer ?
Un grattement crépite au-dessus de ma tête. Un frisson me caresse le dos, puis des voix inaudibles me calment.
C’est simplement ton voisin qui doit faire des travaux, Antoine. Arrête de psychoter.
Je m’habille et, malgré un mal de tête infernal, je sors m’aérer l’esprit.
Sur le chemin, je croise quelques citoyens du village. Ils possèdent la même routine le samedi matin. Les mêmes paternes. Boulangerie, centre-ville, étude des nouvelles annonces immobilières, discussion avec d’autres habitués sur les potins habituels et rentrer à la maison. Voilà leur quotidien. Peut-être paraît-il plat et sans intérêt, mais suffisamment bien construit pour ne pas les ennuyer.
Chacun mène sa vie comme il l’entend.
— Oui, tu as raison. M’entends-tu ?
Je me retourne et analyse la situation, perturbé. Christian, un sexagénaire que je vois souvent, me fait signe.
Il a dû m’appeler et j’ai mal compris, certainement.
— Comment vas-tu, Christian ?
Il passe une main sur son crâne à demi-chauve, puis baisse ses lunettes.
— Ça va très bien et toi, Antoine ? Cela fait déjà deux semaines que je ne t’ai pas vu, que le temps passe vite ! Sinon, le boulot, ça se passe bien ? Tu paies toujours ma retraite ?
Il esquisse un sourire fatigué. Il est vrai qu’à soixante ans, il semble pourtant en avoir quatre-vingts. Le repos lui manque. Et la présence de sa femme aussi, malheureusement partie trop tôt à cause d’un violent cancer du poumon. Nous avons tous les deux traversé et connu des moments difficiles, d’où notre lien amical aujourd’hui.
— Je la paie toujours et moi, qui la paiera ? Je risque de travailler jusqu’à soixante-dix ans si ça continue !
Christian s’esclaffe à s’époumoner. Il redresse ses lunettes sur son nez, puis s’approche :
— Ne t’inquiète pas, un jour viendra ton tour.
— Oui, je te le promets, un jour viendra ton tour.
Je prends un mouvement de recul.
— Pourquoi tu as répété la même phrase sur un ton plus menaçant ?
Christian incline la tête.
— Je ne t’ai rien répété du tout. Je t’ai simplement dit qu’un jour, ton tour viendra concernant la retraite, rien de plus. Tu ferais mieux de prendre du repos mon garçon.
— Oui, dors, tant que tu le peux encore. Chaque minute est précieuse.
— Mais arrête bon sang ! je crie, hystérique.
Je déteste qu’on se moque de moi. Pourquoi veut-il me faire peur ? Il joue avec mes nerfs ! Je ne suis qu’un gentil garçon qui ne fait de mal à personne pourtant.
C’est à mon ami de faire un pas en arrière, cette fois-ci.
— Je vais te laisser tranquille pour aujourd’hui, Antoine. Repose-toi. Le travail, c’est important, mais ne sous-estime pas le repos, dit-il calmement, mais avec une bonne distance de sécurité.
— Écoute les conseils de l’ancien !
Un gong explose mes tympans. Une voix intérieure. Un éclair. Je reviens durement à la réalité. C’est comme si mon corps était manipulé par un alcool trop fort pour lui. Je remarque que mon comportement n’est pas le mien. Que les phrases prononcées par Christian ne correspondent pas avec sa façon de me protéger. Il ne souhaite que mon bien. Quelqu’un interfère avec mes discussions. Une personne me veut du mal. Et elle compte me blesser là où la douleur est plus forte qu’ailleurs : l’esprit.
Les cicatrices du cœur sont plus longues à guérir que les blessures corporelles. Mon pouls s’accélère furtivement. Je tremble, puis m’écroule sur le trottoir en poussant un gémissement. Je me sens partir à nouveau. Mais un visage se pose devant mes yeux. Un cri fictif fait écho entre mes vertiges.
Au moment où j’imagine Christian me redresser avec difficulté et glisser sa parka sous mon dos, un autre regard me dévisage. Trop près pour que je puisse me tromper. Trop familier pour que je puisse le confondre. Trop irréel pour que je puisse me relever.
Mon frère me fixe, le regard pétillant, le même qu’il m’a offert à l’annonce du défi.
Celui juste avant l’accident.
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