Karmilla

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Cela faisait deux jours qu’ils étaient partis et que Karmilla vivait ses doux rêves de toujours. Deux jours qu’elle avait prit le large, quittant vraiment pour la toute première fois de sa vie, la terre ferme. Deux jours qu’elle avait fantasmé depuis toujours et qu’elle se rendait compte, avec effroi, que la réalité était bien différente de tout ce qu’elle avait imaginé.

Elle ne faisait que respecter les ordres. A genoux contre le sol, son travail consistait à nettoyer le pont à la main. Ce qui était finalement une tâche peu gratifiante et qui ne lui procurait aucune fierté. Personne ne se préoccupait réellement de la propreté du pont. C’était simplement, espérait-elle, un moyen de soumettre les nouveaux arrivants. Il y avait avec elle un jeune homme blond. Si jeune qu’il ressemblait plus à un enfant qu’à l’image que nous nous faisions des pirates.

Karmilla n’était pas au mieux de sa forme depuis qu’elle ne voyait plus les côtes. Elle était éprise de violents vertiges persistants, qui lui causaient en prime des nausées affreuses. Elle qui avait un teint naturel virant au blanchâtre, elle devint presque verte.

-Un pirate qui a le mal de mer ! On aura tout vu ici, se moqua le maitre d’équipage qui à priori n’était pas tout à fait d’accord avec les choix d’enrôlement de son capitaine.

C’était un vieux loup de mer qui n’avait de bon chez lui que le titre qu’il portait. Il était en effet méchant avec quiconque s’approchait de lui d’un peu trop près. Et en prime, sa peau brûlée par le sel, symbole de ses années de durs labeurs le rendait aussi laid et repoussant qu’un monstre des mers. Il voulait être capitaine, voilà tout. Et ses ambitions le rendaient détestables aux yeux de Karmilla et de tout ses comparses. Il fallait néanmoins reconnaitre qu’il était doué dans son rôle car il s’était toujours démené pour accueillir les nouveaux, montrant ce qu’était la réalité de la vie d’un pirate.

-En cuisine ! Vous êtes en retard, remarqua-t-il en regardant la montre qu’il avait volé lors de la dernière escale. Bande d’incapables ! Même pas capable d’être ponctuel !

Et il restait là, à regarder, comme tout bon patron se le devait. Dans une autre vie, ça aurait fait bondir de rage la belle jeune femme. Elle se sentait tellement dégoutée de cette vie qui n’avait rien de comparable à ce qu’elle s’était imaginée qu’elle n’avait plus goût d’imaginer sa vie possible alors qu’elle était pleine d’ambitions. Elle avait quitté son identité pour nettoyer un plancher déjà immaculé par l’eau de mer.

La cuisine ne laissait transparaitre aucune lumière naturelle. Les flammes vacillaient au gré de la houle. Il faisait au moins une température agréable. La jeune femme avait froid partout sur ce bateau. Il n’y avait pas de quoi faire du feu dans chaque pièce, ni assez de charbon à venir placer aux pieds de tous. Il n’y avait tant de moments où elle avait désiré se jeter par-dessus bord pour recommencer la vie qu’elle avait loupé.

-Sois courageuse comme un homme, se dit-elle du fond du cœur.

Et tous les hommes commençaient par faire les tâches les plus ingrates délestées habituellement aux femmes.

-Aïe ! râla-t-elle.

-Tu t’es encore coupé, remarqua l’enfant qui avait commencé en même temps qu’elle. Il me semble que c’est parce que tu t’y prends mal. Regarde.

Les épluchures des pommes de terre, bien linéaires, tombèrent tour à tour tels des serpentins sur le plan de travail. Il était plus doué que Karmilla ne le serait jamais en la matière, sans aucun doute.

Elle soupira sans répondre quoique ce soit. Elle était bien décidée à ne pas ouvrir la bouche le temps que son supérieur était dans la pièce, par crainte de dire quelque chose qui ne la vende. Elle ignorait le châtiment réservé aux personnes qui n’avaient rien à faire ici. Elle se doutait seulement que ça n’avait rien d’agréable. Les pirates étaient après tout réputés pour leur cruauté. C’était bien connu.

Elle n’avait rencontré personne depuis ces deux jours. Les seuls hommes qu’elle avait bu étaient si éloignés qu’elle n’aperçut que leur musculature à travers la sueur et l’ombre de la nuit. Elle entendait le son de leur voix en fête, le soir, lorsqu’elle était enfermée dans la cale, avec les bouteilles d’alcool. Les autres avaient mérité leur place. Avec le temps, elle espérait elle aussi être assise parmi eux à festoyer après une journée à guerroyer et à en sortir vainqueur. A se sentir en famille et à ne plus songer au bonheur puisqu’elle serait heureuse en ayant atteint ses objectifs. Pour le moment, elle se terrait dans une solitude ennuyeuse.

Elle se remit à éplucher les patates en se disant que son sang servirait de sauce à ses hommes. Elle-même toucherait à peine à son assiette de toute manière alors qu’elle mourrait de faim au fond d’elle. Son activité laissait libre court à ses pensées, sa liberté. Lorsqu’elle eut achevé sa tâche, elle regagna sa cale à travers les tonneaux remplit de vin, les fruits achetés lors de la dernière expédition et quelques pauvres armes pour combattre l’ennemi absent depuis qu’ils étaient partis. Elle n’avait pour compagnie que le doux bercement des vagues qui la secouaient de droite à gauche et les rires ignares d’alcooliques bien échauffés. Ce n’est qu’à ce moment-là de la journée, plongée dans l’obscurité, qu’elle osait se laissait aller en versant quelques larmes, telle l’enfant inconsolable qui sommeillait en elle.

Quelques jours après leur départ, le capitaine brisa la routine. Après sa journée de travail, Karmilla fut demandée auprès du capitaine. Elle prit son courage à deux mains, angoissée que l’on ne découvrit son secret. Personne ne s’était douté que derrière sa robustesse et son élégance naturelle se cachait une femme et c’était très bien ainsi.

-Pourquoi veut-il me voir ? demanda-t-elle inquiète au commandant de bord.

Il ne se rendit même pas compte, après l’avoir observé durant des journées entières, que se dégageait d’elle, une inquiétude inhabituelle.

-Il reçoit toutes les nouvelles recrues, c’est ainsi, expliqua-t-il mystérieusement.

Il n’ajouta pas plus d’indications, ce qui ne rassura en rien la jeune femme. Elle se doutait qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Tous le monde savait ce que signifiait ce rendez-vous et personne ne racontait ce qui s’y passait vraiment.

Ainsi, elle se rendit dans la cale du capitaine à peine la nuit tombée. Le ciel étoilé se reflétant dans les eaux noires telles des paillettes scintillantes de mille feux. Elle ne sortait que pour travailler en temps normal. Elle n’avait pas pris le temps de se rendre compte que l’océan était, lui, exactement comme elle se l’était imaginé. Les vagues étaient calmes, presque silencieuses. Elle volait au milieu de nulle part, les cheveux dans le vent, libre. L’océan, son vieil ami, la consolait de ses trop nombreuses peines. Il la remplissait de courage.

Karmilla n’avait pas recroisé tonton Jack sur le quai depuis qu’elle était montée sur son bateau suite à son invitation.

Sa cabine se trouvait en haut sur le point. C’était la plus grande pièce du navire. La mousse tapa timidement contre la vitre. Quelques secondes plus tard, le vieux capitaine l’invita chaleureusement à entrer. La pièce était spacieuse si bien qu’ils y trouvèrent une large table avec des cartes éparpillées, du matériel pour se repérer dont elle n’avait pas connaissance du nom. Dans le coin se trouvait un grand lit dont la parure dorée rappelait la richesse des trésors trouvés autrefois. De grandes étagères tapissaient les murs sur lesquels de nombreux ouvrages poussiéreux rendaient la pièce chaleureuse. Elle n’eut pas le temps de bénéficier de davantage de plaisir à observer que tonton Jack apparut derrière elle.

-Camille ! Je suis heureux de te voir ! s’exclama-t-il en lui donnant une légère tape sur les fesses.

-Bonsoir, répondit-il sombrement.

Elle n’était pas gaie face à ces avances. Tonton Jack n’était pas homme à assouvir ses fantasmes les plus secrets. Elle ne supportait même pas qu’on la touche, comme si elle n’était qu’un vulgaire jouet. Mais ici, elle n’avait pas son mot à dire. Elle ne pouvait qu’obéir à son capitaine. Lui seul avait les pleins pouvoirs sur sa propre vie.

-Alors, tu te plais sur mon bateau ? demanda-t-il en s’asseyant autour de la table et virant les papiers qui le gênait.

Tout sourire, elle répondit :

-Bien sûr. Je n’ai pas rêvé meilleure place durant toute ma vie.

-J’en suis ravi, crois-moi. T’as soif ?

Avec ses dents, il vira le bouchon de sa bouteille de rhum, en prit de grosses gorgées avant de lui tendre la bouteille. Obéissante, elle but à son tour. L’alcool lui brûla tellement la gorge qu’elle s’étouffa avec.

-Ah mon p’tit. Va falloir apprendre à boire si tu veux rester avec moi.

-Je sais boire, se défendit-elle. Mais j’ai toujours bu des choses meilleures. La mer rend tout cela si … Amère ?

Il éclata de rire :

-On ne me l’avait jamais faite celle-là.

Tonton Jack se tût. Mal à l’aise, Karmilla se tordait les doigts en attendant la permission de repartir. « Je suis fatiguée » prétexta-t-elle. Mais l’homme n’était pas de son avis.

-Chacun des hommes sur ce bateau est venu dans ma demeure au début de son service. C’est un moyen pour moi de voir s’ils sont complètement soumis ou non. S’ils acceptent, alors ils restent. S’ils refusent, je les renvoie dès que nous touchons terre. Sauf s’ils m’agacent, dans ce cas, je les jette à l’eau le lendemain.

-Que dois-je faire ? demanda-t-elle inquiète.

-Toi ? Rien. Juste te laisser faire. Dans les temps anciens, expliqua-t-il, les précepteurs grecs avaient une manière bien particulière de soumettre leurs élèves. C’est ce que je fais, régulièrement ici. C’est ma manière à moi d’être supérieur à vous tous. Tout va bien se passer, le rassura-t-elle en l’allongeant sur le ventre sur sa table.

Karmilla perdait sa langue. Elle ne voulait pas qu’il la touche mais elle ne pouvait aligner un seul mot tant l’idée de ce qu’il allait lui faire la dégoutait, la terrifiait.

Le capitaine lui baissa son pantalon noir. Il mit quelques minutes avant de se rendre compte qu’il n’avait pas affaire au sexe qu’il croyait.

-Mais … Tu n’as pas de …

-Queue ? Non monsieur. Vous avez engagé une femme.

La jeune femme se rhabilla avec prestance. Elle savait que demain, son voyage serait terminé. Elle n’était pas prête à se soumettre corps et âme comme on le lui demandait.

-Tu n’as pas honte ? la gifla l’homme furieux. Ta place est avec les autres femmes ! Et en tout cas, pas sur mon bateau !

Karmilla était entrée de son plein gré vers la visite de son capitaine. Elle en ressortit presque inconsciente, des plaies béantes, des ecchymoses sur le visage, la perte de certains de ses membres. Deux hommes qu’elle n’avait pas encore vus étaient venus la chercher après que tonton Jack ne lui ait donné sa punition. Cette soirée-là, elle avait vu plus de monde que tous les autres soirs. Hélas, ce n’était pas un signe heureux cette fois.

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