2.
Aux dires de Fanny, Man n'était certes pas destiné à être chapelier mais savait mettre du coeur à l'ouvrage en ce qui concernait le reste. Il était doux et intègre. Il saurait prendre soin de sa future épouse pour veiller à ce qu'elle ne manque de rien. Pas même d'affection. Fanny ne lui connaissait aucune inclination spécifique et elle s'arrangea pour glisser subrepticement ce détail dans sa présentation.
C'était prêcher une convertie. Nane ne l'écoutait déjà plus, tombée follement amoureuse d'un homme suffisament aimable* pour mériter un tel présent, un inconnu dont elle avait percé le mystère derrière celui que recelait la drôle d'écharpe. Précisément parce que Nane ne connaissait pas cette forme d'amour qu'elle représentait, elle l'avait mise à jour.
* Comprendre sous sa définition première, digne d'être aimé.
C'était dur à dire, mais l'amour maternel ou filial n'allait pas de soi pour Nane. Dieu sait qu'elle avait essayé de le comprendre pourtant. À défaut de le ressentir. Elle n'avait pas eu une enfance à se faire tricoter une écharpe : une mère à l'œil éteint, un marmot continuellement au sein ou fourré dans ses jupes. Considérée tout juste potable pour se faire engrosser sans rien dire. Résignée à la tâche. Un père qui distribuait plus de roustes que de petites attentions pour sa femme et ses enfants. Une tripotée de soeurs qui, à l'instar de leur mère, considéraient normal que les plus jeunes de leurs frères les traitent en servantes à l'exemple du patriarche, car c'était là la place d'une femme.
Voilà ce à quoi elle avait pensé, Nane, en dénichant l'écharpe, dans sa recherche démenée de Man.
Ce que pensa Man en rencontrant Nane ne fut pas bien difficile à deviner. Ses yeux parlaient pour lui. Sa plume aussi, quand il s'essayait à décrire l'effet que produisaient sur lui ceux de Nane : deux myosotis nichés dans un écrin de neige qu'encadraient jalousement des boucles soucieuses de protéger son port altier de Muse grecque, tout comme la nuit protège amoureusement la clarté des étoiles.
Avant Nane, Man avait compté sur l'écharpe et l'amour d'une mère pour l'envelopper par temps froids. L'amour de Nane enveloppa l'intégralité de son coeur. De ses doigts dansant sur le papier, il décrochait pour elle la lune qu'elle accrochait dans ses tricots qu'elle lui destinait. À eux deux, ils s'offraient un microcosme idéal, une planète suffisament petite pour contenir leur intimité d'amoureux transis.
On peinait à les dénicher parmi la foule. Et pourtant ils éclipsaient tout par leur clarté unique qui ne les rendait pas difficile à repérer. Dans le café du village où ils buvotaient l'automne venu leur chocolat chaud jusqu'au début du printemps. Et les grenadines qu'ils y sirotaient tout l'été durant pour contrer l'ineffable chaleur caniculaire ne les empêchaient pas d'étancher leur soif commune en se plongeant dans les yeux de l'autre.
C'est ainsi que leur histoire commença et se prolongea, à coups de mots doux et de tricotages à faire fondre les cœurs. Mais pas la menace de la guerre.
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