Demander pardon
Dés le lundi, la sublime Elena met son plan à exécution. Heureusement que Maxime est au courant sinon il aurait eu un choc. Au premier cours, la blondinette vire sans ménagement le mec assis à côté du brun et prend place. Aux yeux de tous, elle minaude et échange des mots doux. Si elle fait bien la belle, en revanche, les choses qu'elle écrit sur le papier de brouillon ressemblent plus à des excuses et au récit des dernières années qu'à une déclaration d'amour.
Elena caresse le bras de Maxime et glousse comme une poule. Elle explique et imite une amie de sa mère dont elle s'inspire pour jouer les bécasses. Elle se blottit contre lui en racontant une blague débile qui fait sourire le jeune homme. De loin, on pourrait croire qu'Elena fait les yeux doux à Maxime. En vrai, ils parlent amicalement. La classe les observe avec stupeur. Toen qui drague Bord, c'est un événement. En plus, personne ne s'y attendait. Le troupeau de la blonde n'a pas eu vent de cet intérêt et le brun a oublié d'en parler à ses potes.
Le premier à réagir et à venir au secours de son pote est en réalité une fille. C'est la douce Lisa qui devance son ancienne amie sur le siège de la classe suivante. N'ayant pas compris le stratagème en cours, la jeune fille aux yeux bridés protège farouchement son ami brun. La blonde est triste en voyant le regard colérique en amande de son ex-confidente. Elle sait qu'elle a merdé et devra se faire pardonner.
Ne pouvant se mettre auprès du brun, Elena tente une autre approche ou plus précisément, négocie une chaise à côté du discret Thibaut. Elle a refusé tous les sièges tendus par ses admirateurs. Le regard furtif lancé montre à la reine des abeilles que le garçon n'est pas hostile mais curieux et un brin rieur. Encouragée par les yeux doux du jeune homme, elle lance alors la discussion par un compliment. Thibaut a changé de coupe de cheveux récemment.
— Salut ! ... Je voulais te dire que ta nouvelle coiffure te va super bien.
— Merci, réponds le jeune homme en souriant.
— Oh et ... Ton sweat est sympa aussi.
— C'est l'uniforme Elena... Et si tu me disais plutôt ce que tu veux. Je te connais assez pour voir que tu agis étrangement depuis ce matin, rétorque le jeune homme qui se tourne pour la regarder droit dans les yeux et en haussant un sourcil moqueur.
— Oui... Thibaut... Tu m'en veux d'avoir coupé les ponts avec vous en douzième ? demande t'elle en se mordillant la lèvre et en tortillant les doigts.
— Au moins, tu es directe. Tu n'as pas changé sur ce point. Oui. Mais je suppose que tu n'as pas vraiment eu le choix. Nos parents nous mettaient la pression et on était des gamins, avoue Thibaut tout en continuant à sourire avec douceur.
— Maxou ne vous a pas lâché lui, dit elle en faisant une moue adorable.
— Non. Mais il a toujours eu un caractère de merde et le don pour contrarier son père. Et puis Christy sa maman nous couvrait souvent, répond d'une voix douce un brin rieuse Thibaut.
— Vous me manquez. J'ai grandi et j'ai vu que ma cour n'était faite que d'hypocrites. J'ai envie de revenir dans la bande. Tu veux bien me donner une seconde chance ? supplie la blonde.
— Bien sûr. Par contre, si tu continues à draguer comme ça Maxime, il va t'envoyer sur les roses, annonce le garçon en haussant un sourcil interrogateur.
— T'inquiètes. Il sait que je le fais pour donner le change et aussi ... Un peu pour lui casser les pieds comme autrefois, sourit Elena.
— Je pense pouvoir négocier une seconde chance avec Samuel, mais pour Lisa... Elle est vraiment en colère. Tu l'as abandonnée alors que tu étais sa meilleure amie.
— Je sais. Mes parents m'ont interdit de vous parler. C'était leur guerre. On n'aurait pas dû être impliqués. Je m'en veux tellement...
— Laisse-lui du temps. Elle comprendra...
Elena serre doucement la main du garçon sous la table. Il a toujours été le plus sage et compréhensif de la bande. C'est le seul du groupe à avoir continué de lui envoyer une carte pour son anniversaire, la fête des amis que la bande avait instaurée le treize Février et des chocolats pour Noël et Pâques.
Ce n'était pas signé, cependant, elle sait que c'est lui. Il est le seul capable d'autant de compréhension et de persévérance. Juste un dessin affreux d'une tête toute ronde avec un huit comme lunettes. D'autres auraient dit le signe infini. Le sigle de leur bande, quand ils étaient gamins et pensaient encore que l'amitié dure éternellement.
Du bout du doigt, Elena forme le motif dans la paume de Thibaut et lui chuchote un merci. Le petit blondinet ricane doucement et avoue être un éternel optimiste qui espère que la bande se reformera. La jolie blonde lui serre fort la main pour ne pas pleurer d'émotion. Thibaut est si gentil, si bon. Elle l'aime tellement et réalise combien il lui a manqué toutes ses années. Cette bouffée de tendresse amicale la submerge et elle garde une attitude indifférence aux yeux des autres avec difficulté.
À la pause, Elena reprend l'offensive envers Maxime. Le canapé isolé où avait trouvé refuge le garçon est assailli par une demoiselle qui se rapproche de ses hanches petit à petit. Le brun est de mauvais poil. Il a reçu une sale note au dernier examen, c'est à dire moins de quatorze, et se triture l'esprit pour comprendre où il a bien pu faire erreur. Il ronchonne donc tandis que sa voisine de sofa minaude et parle d'un ton badin.
— Toujours aussi grincheux à ce que je vois, rigole la demoiselle.
— J'empire avec l'âge. C'est de famille, il parait. Tu ne voudrais pas croiser mon grand-père, râle le brun.
— Tu es bien plus mignon que lui. Quoique peut-être que dans sa jeunesse, il faisait tomber les filles.
— Je lui demanderais la prochaine fois. S'il me fait un malaise, tu en seras tenue pour responsable, dit Maxime très sérieux en la pointant du doigt.
— J'accepte, mais uniquement si tu filmes la scène. Le patriarche Bord qui se sent mal, c'est rarissime. Tu te rappelles quand j'ai pris d'assaut ta maison pour le forcer à m'acheter une boite de chocolats ?
— Je me souviens surtout que tu étais une petite peste despotique, sourit le brun.
En secouant la tête tous les deux, ils se remémorent un doux souvenir.
*****
Une époque où ils étaient enfants et amis. Ils avaient un peu plus de huit ans. L'école primaire Washington cherchait à recueillir des fonds. C'était d'ailleurs assez étonnant vu les généreuses donations des ascendants des élèves. Il s'agissait en fait d'une façon déguisée d'apprendre aux jeunes bambins l'art délicat de la transpiration et de la séduction commerciale.
Voilà une idée loufoque pour que ces privilégiés puissent connaître la valeur du travail et s'exercent à l'escroquerie en bandes organisées. Le directeur n'avait pas trouvé de meilleure folie que de convaincre les élèves de fabriquer et de revendre des pâtisseries.
Beaucoup de garçons ronchonnaient face aux ateliers cuisine imposés et notamment le beau et grand Maxime, déjà maniaque, qui ne voulait pas salir sa belle chemise. Les plus enthousiastes étaient trois demoiselles aux joues roses. Aussi différentes physiquement l'une de l'autre, elles étaient des triplettes diaboliques quand il s'agissait d'embêter la gent masculine de l'école.
La première n'était autre que l'espiègle et si jeune Maeve Teyssier qui régentait le reste de la troupe d'une main de fer et d'un sourire d'ange. Assistée dans son entreprise de manipulation par la jolie poupée Elena Toen, fille unique de la deuxième fortune mondiale et blondinette irrésistible aux yeux bleus immenses chargée de recruter des fidèles, le despote en jupette dictait la recette du gâteau au chocolat tel un chef étoilé.
Le dernier tyran en culotte courte supervisait l'exécution des ordres. Plus réservée que ses deux amies, Lisa, la fille aux cheveux châtains dont les yeux bridés se dissimulaient déjà sous une épaisse frange, tentait de contrôler les deux miss. Sa douceur et sa patience avaient d'excellents résultats avec les deux chipies et elle était la seule avec Thibaut qui pouvait leur faire entendre raison. D'ailleurs, elle s'entendait déjà à merveille avec le garçon qui était le seul spécimen mâle de l'école à connaître la langue des signes. Lisa Tiago était aussi douce qu'elle n'était craintive.
La despotique Maeve prit en charge les cas difficiles et s'attela donc à fouetter Maxime qui la dépassait déjà d'une bonne tête, avec un torchon jusqu'à ce que celui-ci daigne s'activer un peu. Le menaçant des pires tourments, elle lui lança le défi du record de ventes à venir. Dans un parfait esprit de compétition, elle se moqua du goût des futures sucreries du ronchon, pour l'inciter à se concentrer. Le pire, c'est que pour gagner, Maxime tomba dans le panneau.
Elena avait décidé ce jour-là de se renseigner sur le nouveau venu, un autre blondinet se nommant Samuel. Venant d'une région polaire et d'une famille prestigieuse à en croire les rumeurs, et presque aussi beau et grand que Maxime, celui-ci excitait la curiosité de la donzelle qui n'ayant pas froid aux yeux, le mitraillait de questions toutes plus indiscrètes les unes que les autres.
Heureusement, Thibaut et Lisa s'occupaient de redonner du sérieux à cette mission et supervisaient l'ensemble des enfants et des professeurs présents. Distillant conseils et encouragements aux uns, et empêchant les trois rejetons les plus fortunés de faire trop de grabuge, le duo était d'une redoutable efficacité.
Quand Elena décida de prendre en charge la décoration des cupcakes, ce fut la catastrophe de paillettes. Personne ne sut comment, mais tout le monde se retrouva couvert de poudre rose et dorée des pieds à la tête. Une sournoise attaque d'un sourire mielleux obligea les garçons à procéder au ménage et à la vaisselle tandis que les demoiselles finissaient la sublimation culinaire. Le seul à oser protester de la corvée se retrouva tabassé à coups de cuillère en bois par un mini-dragon de deux ans sa cadette. Maeve Teyssier n'avait peur de personne et encore moins de Maxime le ronchon.
À la fin des ateliers, les enfants se retrouvèrent avec une quantité colossale de biscuits, donuts et autres plaisirs coupables à revendre. Les professeurs n'étaient pas inquiets. La compétition amicale lancée par la descendante Teyssier allait les amener rapidement en rupture de stock. Surtout qu'une association criminelle Elena Toen - Maeve Teyssier était envisagée pour contrecarrer la tricherie de Maxime Bord qui avait déjà pré-vendu dix boîtes à la cantine du bureau de son père.
Les alentours des beaux quartiers de Stralinor virent débarquer deux fillettes mignonnes et séductrices accompagnées du garde du corps de Maeve servant de baby sitter, un homme du nom de Jacob, un brin désespéré face à l'aplomb des deux enfants. Chacun reçut la visite des deux petits anges et se vit contraint d'acheter une ou plusieurs boîtes pour se débarrasser des pots de colle.
Elles eurent même le culot d'aller sonner chez les Bord, leur éternel rival, et de casser les pieds au grand-père Marcel. Une lutte de plusieurs heures s'engagea. Les faisant patienter sur le perron dans le froid glacial de la neige qui tombait, le vieil homme n'avait pas l'intention de céder. Il tenta de les faire déguerpir en remplissant leurs vessies de trois chocolats chauds par donzelle.
Toutefois, elles ne plièrent pas et continuèrent leurs marchandages. La très jeune Maeve finit par épuiser le respectable vieillard en utilisant l'argument d'investir dans une cause profitable avant son éternel concurrent René Teyssier puisque sa petite fille ne lui avait pas encore vendu de boîte. Ce fut avec un immense sourire qu'Elena vendit un emballage en forme de cœur à Marcel Bord tandis que Maeve se dandinait pour se retenir d'aller au petit coin.
Sans surprise, en moins d'une semaine, les six cents vingt quatre boîtes furent écoulées, dont cinq cents quatre vingt trois par le trio infernal des fortunés. Maxime et Elena furent ex-æquo avec cent quatre-vingt-quatorze boites chacun. Maeve gagna d'une boîte, en bonne héritière Teyssier. En vraie princesse tyrannique, elle offrit le tigre en peluche de récompense à Thibaut avec un bisou sur la joue en prime, et une langue tirée en direction de Maxime et Elena.
****
Durant ce moment de souvenir, Elena en a profité pour poser sa tête sur l'épaule de Maxime. Cela alerte le beau Samuel et la douce Lisa qui bousculent la jeune fille et se placent entre les deux. Le paisible Thibaut arrive en riant pour calmer les choses. Avant que le dialogue ne s'envenime, il demande au couple l'objet de leurs pensées. Ce bon souvenir leur arrache à tous un sourire.
Samuel en rajoute une couche en charriant Elena. Déjà à l'époque, elle était un pot de colle. Il exagère la pseudo-terreur que la blondinette lui aurait inspirée avec toutes ses questions le jour de la rentrée de dixième. Personne n'en croit un mot. Les pitreries du joyeux luron ont au moins le don de rendre l'ambiance plus agréable. Lisa n'adresse pas la parole à son ex-amie, mais elle tolère sa présence quand celle-ci demande une seconde chance à la bande.
La jolie Elena explique la pression qu'elle a subie. Elle évoque à demi-mot les rivalités parentales qui dégénèrent l'année de leurs dix ans. Elle voulait tellement plaire à ses parents. Quand ils lui ont interdit de parler aux Teyssier puis aux Bjork, elle a obéi aveuglément. Le conflit Toen/Bord lui enleva un troisième ami. Les suspicions de malhonnêtetés ou de complicités des familles Plenzo et Tiago lui retirèrent ses deux derniers et meilleurs amis Lisa et Thibaud.
Aujourd'hui, certaines choses se sont calmées. Elle a grandi et c'est aperçue que ses parents adorés pouvaient parfois avoir tort. L'entourage toxique qui compose sa cour la rend malheureuse. Ses amis lui manquent atrocement. Bien qu'elle n'en laisse rien paraître en surface, Elena est au bord des larmes et supplie les quatre adolescents de lui offrir la possibilité de se racheter. Elle veut revenir parmi eux. Elle veut retrouver la complicité d'avant. Les garçons sont d'accord. Lisa refuse. Elle est bien décidée à en faire baver à Elena.
Un aspect inconnu de Lisa apparaît. Elle est rancunière. Toutefois, aucun des quatre ne la blâme. Les deux filles se connaissent depuis tout bébé. Elles ont partagé la même nounou et les mêmes jeux. Tout allait bien jusqu'à leurs dix ans. Jusqu'à ce que Sumiko Tiago, mère de Lisa, souffle un énorme contrat sud-américain à Fabrice Toen, père d'Elena, avec la complicité de Rudolf Teyssier, père de Maeve.
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