L'art d'être une garce
Lorsque la prétentieuse a fini son exposé que personne n'a écouté, un second élève est appelé sur le pupitre. Il s'agit de l'impératrice. Le professeur est un peu inquiet comme à chaque fois qu'il doit demander un travail à l'un des héritiers, tout particulièrement quand il s'agit de la gamine acariâtre qui le menace ainsi que ses collègues de licenciement lorsqu'on la contrarie.
Les maigres notes de la jeune fille tiennent sur le recto d'une feuille. Le fichier qu'elle installe sur l'ordinateur de l'enseignant met un certain temps à se télécharger. Un silence malsain s'installe tandis que les préparatifs avancent. Enfin, le projecteur s'allume et dévoile le sujet de l'exposé, ce qui fait déglutir la plupart des élèves. Meurtriers et criminels Merkaniens.
Très rapidement, Maeve rappele les origines historiques des îles merkaniennes. Des pirates et des prisonniers abandonnés sur des îles désertes. Le rebut des temps anciens. Des mécréants qui se sont organisés peu à peu pour devenir plus puissants jusqu'à devenir une monarchie dont le roi avait pour nom de famille BORD.
En quelques minutes, le ton est donné. La jeune fille a cherché dans l'arbre généalogique de chacun des élèves ainsi que du professeur les ancêtre merkaniens qui ont commis des crimes et les montre à la classe. Une succession de violeurs, contrebandiers, assasins, et autres ordures se succédent. Evidement, celui qui voit le plus grand nombre de ses ascendants être dévoilés est Maxime. Cela ne lui fait rien. Ils sont le passé et s'il avait le temps, il pourrait faire la même chose avec l'arbre de Maeve. Au contraire, l'exposé l'amuse un peu.
Pour quelques élèves, en particulier la prétentieuse, ce déballage est rude. Alors qu'elle draguait Maxime en prétendant avoir des liens familiaux avec lui, voilà que ces connexions se révélent être des hommes ou femmes peu recommandables. Avec un plaisir quasi sadique, Maeve détaille les atrocités effectués par chacun des sujets de son exposé.
Elle ne regarde même pas ses notes ou l'écran. Elle déblatère de mémoire. Son regard s'attarde sur l'élève dont elle est en train de détruire les ancêtres, se réjouissant clairement de voir la panique puis l'horreur sur leur visage. Elle ne dissimule même pas son sourire de satisfaction et la lueur de fierté montre combien maltraiter les autres l'amuse au plus haut point.
Le professeur n'ose pas l'arrêter, même quand elle s'attarde sur son cas. Il a trop peur de perdre sa place. Il prie pour que la fin du cours sonne rapidement en regardant les minutes s'égrener lentement sur l'horloge. Il est tellement perturbé qu'il ne relève pas les erreurs de langage de la donzelle. De toute manière, un autre s'en charge. Maxime Bord corrige en souriant, juste histoire de couper la parole de la jeune fille et de tenter de lui faire perdre le fil de son discours.
Malheureusement, Maeve est imperturbable quand il s'agit de distiller du venin. Si elle perçoit une faille, elle s'acharne jusqu'à ce que la personne éclate en sanglots ou se mette à crier ou taper. Elle sait parfaitement que personne ne la touchera. Quiconque oserait y perdrait toute sa fortune et son empire sauf bien sûr les autres héritiers. Mais eux ne la frapperont jamais. Ils sont trop bien éduqués pour cela.
Son exposé fait son office. La prétentieuse est en pleurs et tremble de colère. Un garçon serre tellement les poings qu'il a cassé son crayon. Un autre fait de l'hyperventilation. Thibaut tente de faire s'attarder Maeve sur les ancêtres Bord. Il sait que Maxime se contrefiche de cela. Au moins, quand elle s'acharne sur lui, elle fout la paix aux autres. Mais la brune est maligne et détourne le stratagème du blondinet.
Thibaut s'invente même un passé pour que Maeve s'attaque à lui. Rien n'y fait. Elle détecte son mensonge et le balaie d'un geste méprisant. Elle persécute les plus faibles pour les faire craquer. Elle prend plaisir à leur faire du mal, à salir leurs noms. Un plaisir gratuit et vicieux. Pas une once de compassion. Tel un prédateur, elle s'en prend à ses proies les plus fragiles. La seule qui échappe à ce massacre est Lisa qui étrangement ne voit aucun ancêtre douteux ressurgir.
Enfin l'heure de la libération sonne. L'exposé n'est pas fini. Peu importe pour l'oratrice. Le professeur ne lui mettra pas une note en dessous de 18. En plus, elle se contrefiche de son bulletin scolaire. Son but était de faire du mal et c'est chose faite. Elle remballe sa feuille et son cartable calmement, pendant que la plupart des autres s'enfuient loin d'elle.
L'heure du repas est arrivée. Les élèves abandonnent leurs sacs dans un joyeux désordre et se précipitent vers la cafétaria. Ils veulent être les premiers pour avoir les frites les plus chaudes et les meilleurs desserts. La bousculade se fait dans les premières minutes. Ensuite, cela se calme.
Telle une reine dans son palais, l'impératrice fait son entrée dans les dernières. Le personnel de la cafétéria lui a réservé une part encore fumante de patates chaudes ainsi que plusieurs desserts appétisants. Ils cherchent à lui plaire, comme tous les jours. Même quand les autres ont droit à des légumes infâmes, elle a toujours des pâtes ou de la semoule fait rien que pour elle. Et les meilleurs desserts.
Comme à son habitude, elle mange sur une table loin des autres, les écouteurs sur les oreilles, indifférente à la populace. Elle se nourrit en regardant le spectacle de l'extérieur, la baie vitrée donnant sur les prairies des chevaux. La vision des animaux semble la fasciner au point qu'elle en oublie parfois sa bouchée. Lorsqu'elle finit son assiette, elle quitte les lieux pour s'enfermer quelque part seule le temps que les cours reprennent. Abandonnant son assiette et ses restes que le personnel s'occupera de ramasser.
Les cours reprennent. Plusieurs jeunes se sont plaints du sujet de l'exposé au directeur qui ne peut rien faire. L'homme a peur de la demoiselle et la seule personne qui pourrait avoir de l'influence sur elle est son père, qui est encore plus effrayant. Alors le directeur tente de minimiser les faits et incite les jeunes à faire preuve d'humour, faisant croire à une blague.
Les cours de l'après midi sont tendus. L'ambiance s'apaise dans la soirée, une fois la morveuse enfermée dans son antre pour plusieurs heures. Les pitreries de Maxime et Samuel aident aussi à rendre le sourire aux gamins. Les deux andouilles sont en plein concours pour déterminer lequel des deux peut parler distinctement le plus longtemps possible avec un paquet de chewgums dans la bouche.
Les postillons s'échappent alors qu'ils tentent de faire passer des messages à leurs camarades. La mauvaise foi de leurs coéquipiers qui ne font rien pour les aider rajoute aux fous rires de la bande d'andouilles. A chaque phrase enfin compréhensible, les deux bellâtres rajoutent quelques sucreries dans leur gosier. Maxime tente de tricher en choississant Lisa comme coéquipiere et en signant mais se fait vite démasquer par Elena.
Lorsque les discussions reviennent sur l'incident, Maxime ou Thibaut détournent les commentaires acides en évoquant la présentation du brun qui coupa l'appétit de tout le monde ce jour là. Il faut reconnaître que le gaillard avait fait fort avec la livraison de mets aussi dégoutants que puants. Ce mauvais souvenir quand même hilarant finit par faire totalement oublié la matinée aux élèves.
Plusieurs jours passent sans grand problème et les habitudes reprennent leurs places. Un semblant de calme s'instaure. Tout cela n'est pas au goût de la demoiselle à l'origine des perturbations. Dès que les choses s'apaisent, elle ne manque pas une occasion de faire des allusions à son exposé ou bien à d'autres aspects peu glorieux de la famille des autres élèves.
Comme un bon tyran, elle ne s'attaque qu'aux plus faibles. La seule exception est Lisa qu'elle ignore superbement. Toutefois, quand elle peut lancer des piques à Elena, Maxime ou Samuel, elle ne se gêne pas. Surtout qu'ils ont tendance à s'interposer pour protéger leurs camarades. Plus on la déteste, plus elle est heureuse.
Thibaut a eu une autre approche. Il a cherché les héros et actes de bravoures des camarades et pour chaque malfaiteur, il trouve une fierté. Il tient tête à la peste avec un immense sourire. Comme il se contrefiche de ses ancêtres, le venin de la donzelle ne l'atteint pas. Sa rhétorique finit par exaspérer la brune qui se détourne et rentre dans son antre quand sa colère est trop forte.
Ce matin, la demoiselle est de mauvaise humeur. Elle a mal dormi au vu de ses cernes. Quand cela arrive, il vaut mieux ne pas être sur son chemin. C'est un pauvre tertiaire qui fait en premier les frais de son manque de sommeil. Le garçon n'a pas bougé suffisament vite et s'est retrouvé sur sa route. Il s'est fait tabasser à coup de sac par une furie de deux têtes de moins que lui. Quelqu'un intervint pour le protéger et se plaçe entre la folle et le garçon.
— Dégage BORD! Ce n'est pas tes oignons!
— Tu crois que tu me fais peur la cinglée?
— J'men fous, Je fais ce que je veux, déclare la donzelle en frappant Maxime.
— Mais tu vas t'arrêter, espèce de dingue!
— Quoi? Je te fais mal chochotte? Je t'ai dit DEGAGE!
— Nan! Pour ça faudra que t'ai des muscles mini dragon!
— Vas te faire foutre BORD!
Maeve se met à frapper le brun qui agrippe le sac de la tornade et le jette au loin. Ensuite, il l'attrape et la séquestre dans ses bras le temps qu'elle se calme. Cela attise d'autant plus sa colère et elle se débat fortement, cherchant à frapper ou mordre son geolier. Les rares personnes à proximité subissent coup de pieds et courent loin du duo. Malgré sa petite taille et son manque de motivation pour le sport, la gamine a de l'énergie à revendre, surement à cause de l'excès de bonbons.
La jeune fille n'a pas l'intention de se laisser faire. Elle lance son pied vers l'entrejambe du brun, l'obligeant à se plier pour éviter le coup douloureux. Au même moment, elle jette sa tête en arrière. Ses mouvements font l'effet voulu. Son crâne a durement touché le nez de Maxime qui la lâche de douleur et qui se met à saigner. Elle donne un dernier coup de pied dans le tibia puis sort son couteau de sa chaussure et le pointe en direction des élèves. Elle ramasse son sac et s'éloigne, tous les autres fuyant devant elle.
Le directeur arrive en courant, ne voyant pas l'agressive jeune fille mais juste un héritier ensanglanté qui peste en se bouchant les narines. Le garde du corps tend un mouchoir et explique au principal qu'il s'agit d'une petite bagarre entre élèves sans importance. Voulant se faire bien voir de Maxime, le directeur exige de connaître la personne qui as fait cela mais personne ne parle.
— C'est moi! Ca vous pose problème? aboie la donzelle de retour pour récupérer un stylo oublié. J'exige que vous sanctionnez ces deux garçons pour tentative d'intimidation d'une camarade plus jeune. Vous avez une minute, enchaîne la petite furie.
Le directeur est perdu. Il ne sait plus quoi faire. Tout autre personne que l'impératrice aurait été viré sur le champ pour avoir toucher un cheveu de Maxime Bord. Mais elle, c'est impossible. Elle exige une punition qu'il n'a pas la force de donner. Le principal ne veut pas se mettre à dos la famille Teyssier mais également la famille Bord. Il est pris entre deux feux et panique.
— La minute est passée, déclare la jeune fille en ouvrant son téléphone.
— Allo, ici Maeve Teyssier. Veuillez licencier sur le champ le directeur Wallace. Pourquoi? Parce que j'en donne l'ordre et que si vous ne le faites pas, c'est vous que je licencie. Qui est son suppléant? Annoncez la promotion.
Aussitôt, le téléphone du principal et celui de son assistante se mettent à sonner et les deux adultes palissent. Après un timide "allo", ils ne disent plus un mot et déglutissent. Celui qui été directeur manque de s'évanouir et part tout penaud chercher ses affaires. La nouvelle directrice sort son carnet et se place devant Maeve en tremblant.
— Que souhaitez vous comme punition, mademoiselle Teyssier. Je suis à vos ordres.
— Cinq heures de colle pour le truc là et une exclusion de trois jours pour Bord.
— Bien, mademoiselle. Comme vous le souhaitez.
La femme écrit alors sur son calepin et tend une feuille à chaque des deux adolescents sous les vives protestations de tous les autres. Le Tertiaire serre les dents pour se retenir de pleurer. Maxime prend le papier sans un regard envers l'adulte et foudroie des yeux l'insolente enfant qui est devant lui. Samuel et Thibaut le retienne d'avancer.
— Tu sais très bien que je ne t'aurais jamais fait de mal! Je ne t'en ai jamais fait! Pourquoi tu es une telle peste? Damien n'a jamais été collé. Tu bousilles son dossier pour entrer en grande école! Ca t'apporte quoi?
— La prochaine fois, il bougera de mon chemin!
— NAN MAIS TU TE RENDS COMPTE DE CE QUE TU DIS! T'ES COMPLETEMENT FOLLE!
— Parfaitement! Je suis toute puissante et une fois majeure, j'aiderais mon père pour tous vous ruiner!
— T'es devenue totalement barge!
— Vas te faire foutre BORD! Fais ta valise! T'es viré jusqu'à Lundi!
— Vire moi une semaine si tu veux mais fout la paix à Damien!
La jeune fille tourne les talons en levant son majeur et se dirige vers la classe d'un pas décidé. Elle vient de confirmer son sale caractère et son statut d'intouchable. Tout le monde est sous le choc. Certes l'impératrice a mauvais caractère, cependant, c'est la première fois qu'elle exige une punition. Elle se contente d'habitude de ses mots cinglants. Elle vient de faire une démonstration de force, rappelant que même un héritier n'est pas à l'abri de représailles.
Maxime est furieux, non pas de son exclusion, mais de la raison de celle ci. Le caprice de la diva ne passe pas. Si elle avait été un mec, il lui aurait déjà mis son poing dans le nez. Les filles, il ne leur fera jamais de mal. Il ne comprend pas. Ce n'est pas la première fois qu'ils se disputent tout les deux. Lui et Thibaut sont les deux seuls à pouvoir la toucher sans qu'elle ne montre un sentiment de dégout ou un mouvement de recul.
Il aimerait comprendre. Il l'a entendu pester cette nuit. Comme de nombreuses nuits. Qu'est ce qui l'empêche de bien dormir? Maeve devient de plus en plus méchante au fil des années. Elle qui était si espiègle et câline est vraiment une garce. L'entrainement au combat qu'elle a reçu est rudement efficace si on le compare à ses performances sportives proches du néant.
Maxime appele son père et lui explique ce qui vient de se passer. Marc ne gronde pas son fils et s'inquiète pour son nez, lui conseillant d'aller voir un médecin avant de rentrer à la maison. Lui aussi trouve le comportement de la jeune fille étrange, toutefois, elle agit comme son père à l'époque. Rudolf était un bagarreur et un véritable connard adolescent. Il était freiné par son père René et un peu aussi par Marc. Maeve prend juste le même chemin, sauf qu'elle est entrainée par son père au lieu d'être calmée.
Le jeune homme va récupérer ses affaires. Thibaut lui promet d'aller parler à Maeve quand elle sera plus tranquille pour faire effaçer les heures de colle de l'autre victime de son dossier. Le blondinet semble très affecté par ce qui vient de se passer. Il a toujours voulu que la bande de potes se reforme mais après aujourd'hui, cela semble une cause perdue pour Maeve. Le brun donne un tape amicale à son pote. Son père Marc va aussi user de son influence pour nettoyer le dossier de Damien.
Maxime repense à la période ou lui et Thibaut étaient les deux plus proches de Maeve, quand elle était enfant. Les deux seuls qui n'ont pas peur d'elle aujourd'hui. Les deux seuls pour qui elle semblait montrer un tant soit peu de respect. Ce n'est plus le cas maintenant. Le doigt d'honneur qu'elle lui fait par la fenêtre quand il regarde la classe en partant montre tout l'étendue de la distance qui s'est faite entre eux depuis le douzième. Maxime soupire et préfère répondre par un bisou dans le vent, espérant encore qu'un jour elle se calme.
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