Se justifier

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Ce matin, les élèves présentent leurs projets d'associations aux professeurs et de nombreux donateurs afin de décider lesquelles seront autorisées voir subventionnées ou aidées par le Lycée. Les budgets sont attribués début février tous les ans. Chacun peaufine ses pancartes et son discours. C'est l'effervescence dans les couloirs et aux abords de l'amphithéâtre.

Enfin, la salle s'ouvre pour que tout le monde rentre. Sur l'estrade qui sert de scène et face aux immenses gradins, le directeur fait un speech pour accueillir tout le monde le temps qu'ils s'assoient. Cependant, il annonce une très mauvaise nouvelle. Le principal donateur n'a pas renouvelé sa subvention à Noël qui représentait plus de la moitié du budget. Les sommes allouées vont donc être fortement restreintes. De nombreuses associations, qui ne tenaient financièrement que grâce à l'aide des mécènes sont compromis. Le choix d'attribution va être ardu.

Le groupe du premier projet s'installe avec fébrilité. C'est le club d'athlétisme. Bien qu'il existe depuis très longtemps, ils ne sont pas tranquilles. Les trois-quarts de leurs frais de fonctionnement proviennent des bourses du lycée. L'annonce de cette diminution est une très mauvaise nouvelle.

Les voici qui présentent l'équipement dont ils disposent, les concours auxquels ils participent. Ils vantent les bienfaits de la pratique sportive et tentent de convaincre l'assistance de leur utilité afin d'obtenir de l'argent. Les professeurs posent quelques questions superficielles. Une élève lève la main. Gêné, le directeur lui accorde la parole. Tout le monde sait que le principal donateur était Rudolf Teyssier et c'est justement son orpheline qui souhaite interroger le groupe. Son air sévère et le ton froid qu'elle prend n'incitent à rien de bon et déstabilisent les personnes présentes.

— Je vois ce que vous faites, mais j'aimerais savoir une chose. Les concours auxquels vous participez coûtent cher en terme de frais d'inscription et de location de véhicules pour vous déplacer. Sur les douze tournois présentés, vous en avez gagné combien ? Quels sont les classements de vos membres sur les cinq dernières années ?

— Euh ... Je crois que Cindy est quinzième aux quatre cents mètres haies.

— Quinzième mondiale ?

— Non... Régionale.

— Donc elle n'a pas un classement intéressant. Et les autres ? Nos professeurs, qui assurent les entraînements à titre gracieux, ont tous eu des classements nationaux. Qu'en est-il des performances ?

— Je... n'aie pas les chiffres exacts sous les yeux, mais je peux chercher...

— En gros, vous coûtez cher et vous ne rapportez rien. De vrais parasites. En plus, vous n'êtes pas venus préparer à cette présentation! Vous vous moquez de nous! le coupe sèchement l'Impératrice.

— Mademoiselle Teyssier, je crois qu'on va passer à un autre groupe si vous le voulez bien, intervient le directeur qui tente de calmer le débat.

Voici que s'avance en tremblant le club d'échecs. Leur discours ne passionne pas la foule toutefois, deux d'entre eux ont gagné des petits tournois. Ils s'autofinancent quasiment seuls et n'ont besoin que d'un local pour s'entraîner. Cela ne les empêche pas de subir un interrogatoire musclé de la part de la brune qui semble déterminée à obtenir une justification pour le moindre sou demandé, tout en grignotant ses paquets de gâteaux au chocolat.

Les clubs défilent sans que l'atmosphère ne se détente. Les pom-poms girls se font humilier sans aucune compassion. Elles ressortent en larmes. Tous ont compris que c'est l'Impératrice qui va choisir à qui et combien elle attribue de bourses pour chacun. La brune ne semble vouloir débourser aucun centime. Elle se comporte comme une véritable garce qui cherche la petite bête à tout le monde. Même l'association de musique qui pensait jouer sur le fait que Maeve adore écouter, chanter ou jouer d'un instrument, fait les frais de la mauvaise humeur de la donzelle.

Le dernier groupe se présente. Il s'agit du club de sciences dont fait partie Thibaut. C'est d'ailleurs lui qui s'avance et prend la parole. Ses propos sont bien ficelés. Il présente les chiffres et ses arguments. Aucun doute, le jeune homme est un orateur né qui sait convaincre en douceur son auditoire. Voici le moment tant redouté des questions où ses prédécesseurs se sont tous fait tailler en pièces plus ou moins violemment.

— Et à part risquer de faire exploser le lycée, il sert à quoi votre club concrètement ? Dis la brune dans un sourire machiavélique.

— Il donne les bases pour préparer à de futures écoles d'ingénieurs ou de grandes études scientifiques. Nous touchons aussi bien à la robotique qu'à la mécanique de précision, ce qui ouvre de très nombreux métiers. Notre partie sur la chimie est une porte sur l'univers pharmaceutique, cosmétique ou pétrochimique. Nous apprenons aussi à coder des logiciels informatiques et à inventer de petits jeux vidéo très simples, répond tranquillement Thibaud en fixant la jeune fille de ses yeux doux.

— Et ça rapporte quoi ? Rétorque de mauvaise foi Maeve.

— À court terme, la crème pour le corps et les deux parfums à l'effigie de l'école que nous revendons payent notre matériel annuellement. Les concepts de jeux vidéo ou petits objets de robotique dont nous gardons la propriété intellectuelle, mais qui sont développés dans des start-ups ont rapporté cette année entre cinq et sept mille or au lycée et devrait continuer à ramener annuellement une même somme d'argent. À moyen terme, un partenariat est en cours de négociation pour permettre à des lycéens de faire des stages rémunérés ou qui apporteront des indemnités et des fournitures au Lycée. À long terme, nous espérons que les lycéens de ce club, qui auront grandi et seront dans la vie active, nous fassent des dons afin de nous affranchir de la crainte d'un seul donateur, déclare avec assurance le garçon à lunettes qui cherche à titiller l'Impératrice.

— En gros, vous me demandez du fric maintenant pour ne plus dépendre de moi, fait semblant de s'offusquer la grincheuse.

— Nous ne demandons pas d'argent. Notre club fonctionne déjà sans vous, mademoiselle Teyssier. Nous ne faisons que le présenter afin de recruter des membres. Toutefois, si vous souhaitez en faire partie, nous serons heureux de vous accueillir, mais pour la sécurité de tous, on ne vous laissera pas vous approcher de tout ce qui explose ou blesse. Vous êtes déja suffisant dangeureuse comme ça, annonce Thibaut avec un immense sourire de gamin destiné à désarmer la péronnelle.

Il sait bien qu'elle cherche la bagarre et lui répond sur le ton de la plaisanterie et de la provocation. Il est sûr de lui et n'a pas peur de l'interrogatoire de la donzelle. Thibaut et Maxime sont les seuls à avoir détectés de la malice et un sourire discret quand elle parvenait à déstabiliser les orateurs. Elle a juste décidé de casser les pieds à tout le monde pour s'amuser, avec un peu de sadisme quand même. Tout ce qu'elle dit est stricte vérité alors c'est de bonne guerre. Les garçons laissent faire. Cela préparera leurs camarades aux difficultés du monde du travail.

Thibaut la connaît si bien même si elle s'est éloignée ces dernières années. Il a continué de la regarder évoluer et à s'inquiéter pour elle. Les condoléances qu'il lui a envoyées sur un papier rose pailleté, tout ce qu'elle déteste, sont les seules qu'elle a gardé auprès d'elle. À moins que ce ne soit son invitation à rejoindre la bande, maintenant qu'elle n'a plus de pression parentale qui la retienne.

Pour l'instant, elle cherche la petite bête à tout le monde. Les associations doivent justifier leurs dépenses, mais les professeurs, eux, tentent d'expliquer pourquoi ils ont donné de l'argent les années précédentes. Cette fois, c'est eux qui sont sous le feu des questions de la brune. Chacun doit rendre des comptes. La donzelle est impitoyable et particulièrement difficile à séduire. Le petit blond a su la neutraliser et la lueur de malice, quand leurs regards se sont croisés, n'a pas échappé à Maxime. Maeve est bien là pour s'amuser et apprécie la répartie de Thibaut.

Les présentations sont terminées. Les professeurs vont débattre entre eux. Pour clore la matinée, Elena et Lisa s'avancent. Elles viennent parler de la vente de calendrier qui a eu lieu entre début décembre et fin janvier. La blonde expose les résultats tandis que la douce jeune fille à lunettes les montrent sur les tableaux projetés sur le mur blanc. L'impératrice ne lève pas les yeux un seul instant et semble perdue dans des calculs.

Elle relève le nez au moment où Elena parle d'organiser un défilé de mode caritatif, avec vente des tenues au profit d'associations de bienfaisance. Le secrétaire a tapoté sur l'épaule de Maeve, ce qui as fait reconcentrer l'attention de la donzelle sur la présentation. La brune signe quelque chose à l'intention de Lisa que personne n'ait le temps de comprendre. La jeune métisse hoche la tête pour approuver, mais son visage stupéfait inquiète l'assistance. Thibaut et Maxime se précipitent sur scène et l'interrogent, anxieux.

— Que lui as tu dit? tente de demander poliment thibaut

— Du calme les preux chevaliers. Je lui ai juste demandé si je pouvais faire don des costumes de luxe de Père ainsi que des robes haute couture de Mère et de Zeina. Je fais du ménage et je n'en ai plus l'utilité.

— C'est généreux de ta part. Cela vaut au moins quelques milliers d'ors. Pourquoi tu ne les revends pas à ton profit ? Questionne prudemment Thibaut.

— J'ai mieux à faire. Et puis, ce n'est pas comme si j'avais besoin de fric. Ça me débarrassera.

— Pourquoi l'avoir proposé à Lisa et pas dit à haute voix directement ? Demande sèchement Elena.

— Parce que c'est à Lisa et son association pour animaux que je les offre. Pas à la blondasse écervelée qui veut se donner bonne conscience.

— Pense ce que tu veux. Tu te trompes sur moi. Ton offre n'en reste pas moins généreuse. Je t'en remercie pour Lisa.

— Parfait. Sur ce, je vous dis au revoir.

Maeve, laissant tous ses emballages de cookies vides sur la table, quitte la pièce après avoir déposé un papier sur le bureau des professeurs. Dessus, il est noté le montant qu'elle attribue à chaque groupe. C'est-à-dire zéro. Le lycée Washington vient de perdre la moitié de ses donations. Maeve ne dispose pas encore de son patrimoine. Elle a toutefois fournit le contact de plusieurs de ses entreprises pour l'obtention de stage du club de sciences et offre quelques séances d'enregistrement au club de musique pour qu'ils puissent faire un disque de chansons à revendre. Les professeurs attribuent de leur mieux le restant des ressources afin de permettre au plus grand nombre possible de club de subsister.

Avant de sortit, l'impératrice se dirige vers Lisa et lui tend également un document. Des notes où elle reprend pas mal d'idées des deux jeunes filles et en rajoute d'autres. Elle incite les clubs à se chercher des moyens de s'autofinancer et suggère des idées comme donner des spectacles, la vente de gâteaux ou la mise en place de menus services type baby-sitting, aide aux devoirs ou nettoyage de jardin. Chaque détail ou lacune pointé est assorti d'une solution ou de pistes de recherches. Toutes les nouveautés le sont aussi. Quelques ébauches sur le moyen et long terme, avec partenariat d'anciens élèves ou sociétés sont évoqués pour étoffer le dossier et le rendre viable et pérenne.

Les jours suivants, le moral de la plupart des élèves est morose. Celui de l'Impératrice aussi et son tintamarre se compose de chansons toutes plus tristes et déprimantes. Malgré qu'elle n'est nullement responsable de l'arrêt du sponsoring par les entreprises Teyssier, la plupart des élèves lui en veulent. Ceux qui veulent en découdre sont vite découragés par le regard glacial du secrétaire. Sous l'influence de Thibaut, quelques-uns ont compris qu'elle n'y était pour rien et encouragent les autres à mettre en place les stratégies suggérées par la brune.

Ils expliquent qu'elle n'a pu donner de l'argent, mais elle a fournit d'excellentes solutions parfaitement adaptées à chaque club pour en gagner. Seulement, c'est plus facile de demander un chèque que de transpirer pour obtenir de soi-même le pécule. La virulence des questions, qui ont pointé les défauts de chacun, reste en travers de la gorge des lycéens. Personne n'aime se voir en position de faiblesse.

L'ambiance se détend quand approche la Saint-Valentin. Les déclarations d'amour pleuvent et les couples roucoulent. Lisa reçoit sa première lettre d'un admirateur secret qui la rend perplexe et qui fait hausser un sourcil moqueur à Thibaut à qui elle la montre. Le petit blond a reçu une boîte de réglisses recouvert de chocolat dans un sac poubelle dont l'expéditeur est resté lui aussi anonyme. Toutefois, il doit bien le connaître vu que ce sont des bonbons qu'il déteste. Elena est submergée de courriers ainsi que Maxime et Samuel. Ils les lisent par politesse, mais ne répondront à aucun, puisque pas un seul n'est sincère.

Enfin si, Maxime garde quand même trois lettres d'amour enflammées dans ses affaires. Les déclarations de ses deux potes l'ont fait pleurer de rire devant la bêtise des mots. Celle d'Elena vantant les qualités de son compte en banque familial était tellement sincères et honnêtes qu'elle a eu droit à un bisou sur les cheveux de remerciement.

Pour rire, il lui fait passer son test. Malgré une triche éhontée de la part de Lisa et de Thibaut qui lui soufflent les réponses par langue des signes, la jolie blonde trouve toute seule plus de la moitié des réponses et n'a besoin d'aide que pour les sujets récents ou particulièrement précis. Ce petit jeu, plus la quantité astronomique de courriers reçus, rend songeur le beau brun.

Bien qu'il ne cherche pas encore l'amour, il se demande quel type de fille, il aimerait. Il laisse planer le doute auprès des pouffiasses, toutefois, il est hétéro. Il en est certain. Physiquement, il n'a pas de critères précis. Une fille normale, qu'elle ait ou non de la poitrine, les cheveux longs ou courts, des fesses ou pas. Tout ça, il s'en fout. À la rigueur, il craque sur un regard expressif et malicieux.

Ce qui l'intéresse, c'est plutôt ce qu'elle a dans la tête et dans le cœur. Lisa ou Elena seraient des filles parfaites pour lui. Il les trouve magnifiques et très distinguées. Toutefois, il éprouve pour la jeune métisse une affection purement amicale et fraternelle. Elena, il ne sait pas trop. Il l'aime bien, mais il n'est pas sûr d'être amoureux. Par contre, une chose est sûre. Sa future épouse devra avoir un cerveau et un cœur pour le séduire et surtout un sacré caractère pour le supporter. Sur le point du caractère, la douce Lisa est perdante tandis qu'Elena reste dans la course.

La veille, le groupe s'est échangé des petits cadeaux et des cartes pour le jour de l'amitié qu'ils se sont inventés gamins. Quatre lettres envoyées, quatre reçues. La bande est solide, et même si le message de Lisa envers Elena reste prudent, l'amitié revient doucement entre les deux jeunes filles. Le sourire qu'elles se sont échangé en lisant leurs missives respectives est un signe que tout est sur le bon chemin.

Évidemment, la non-réponse aux missives de Saint-Valentin entraîne une demande d'explications de la part des plus téméraires. Sur ce coup-là, les filles sont plus courageuses. Le brun et le blond doivent trouver une façon élégante et adaptée pour expliquer leur non attirance. Si Samuel peut utiliser le prétexte d'avoir déjà été en couple avec la plupart des filles, Maxime opte pour des réponses polies, mais ambiguës laissant planer un doute sur son sérieux ou ses orientations.

Elena opte pour la franchise. Ceux qui se croient beaux doivent accepter la remise en question de leur ego. Ceux qui se croient intelligents aussi. Seuls ceux qui sont de vrais gentils ne subissent aucune remarque cassante de la part de la belle. La plupart n'ont pas osé lui écrire et ceux qui l'ont fait ne s'intéressent qu'à son corps et non à ses idées. Elle n'a pas envie de les rabaisser certes, mais n'a nullement l'intention de les encourager non plus.

Un corbeau fait son œuvre et dévoile la dualité de certains et certaines. Lorsqu'un couple est en fait un trio ou quand quelqu'un mange à plusieurs râteliers, une missive sur papier noir apparaît dans la journée au milieu des affaires de cours ou des casiers des lycéens ou lycéennes manipulés. Aussitôt, des disputes éclatent entre les intéressés. Pour certains, la Saint-Valentin rime avec coup-de-poing, catin ou crétin.

C'est un boxon tel que les professeurs doivent intervenir et séparer des garçons qui se battent ou des filles qui s'arrachent les cheveux. L'heure des règlements de comptes a sonné pour un certain nombre d'adolescents. Pour d'autres, fort heureusement, la soirée de Saint-Valentin rimera avec câlins. Le mélange entre les amoureux et les bagarres est assez surprenant à voir. Trois clans ou groupes se forment inconsciemment. Les couples, les célibataires et les fauteurs de troubles.

Bon nombre de petits cadeaux échangés finiront sur internet demain matin. Entre souvenirs d'une tromperie ou petite amie sincère qui s'est totalement plantée, le site va regorger de petites annonces en provenance du lycée dans les jours prochains. Certaines personnes font déjà du troc en douce avant même la fin des cours. Cupidon est parfois bien aveugle.

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