Chat sur le toit
L'une des chambrées voisines étant particulièrement bruyante en cette nuit des amoureux, Maxime ne parvient pas à trouver le sommeil et songe à taper sur le mur en rythme des grincements de sommier pour signifier son mécontentement. Il n'est pas jaloux ou envieux de leur bonheur, il veut juste dormir. Alors, comme à chaque fois qu'il se réveille en pleine nuit et qu'il a du mal à trouver le sommeil, il se lève et va vers la kitchenette pour boire du jus de pomme.
Le calme de la salle commune en pleine nuit est quelque chose qui l'apaise. À moins que sa boisson préférée n'ait des propriétés soporifiques. Il a lu quelque part un article qui vantait les propriétés du jus de pomme sur le sommeil. Quoi qu'il en soit, en règle générale, Maxime retrouve l'envie de dormir après son petit tour nocturne. Il décide de prolonger sa balade pour laisser le temps aux amoureux de se fatiguer et se promène dans les couloirs sombres tranquillement en passant par l'accès souterrain entre les dortoirs et les salles de classe.
C'est fou comme le lycée a un autre visage quand il est désert et plongé dans le noir. D'autres auraient peur et se feraient des films, mais le brun n'est pas de ce genre-là. Il apprécie le calme et le silence. Déambuler ainsi l'aide à réfléchir et se tranquilliser. Maxime est un petit dormeur. Un animal nocturne et solitaire. Ce n'est pas grave s'il se couche-tard. Il aura quand même son quota d'heures de sommeil.
Il visite les classes vides et trouve souvent des pépites dans le réfectoire abandonné. Les cantinières doivent croire qu'un troupeau de souris passe régulièrement s'attaquer aux réserves de fromage et de pain. En pleine croissance, l'adolescent a toujours faim et satisfait ses fringales en toute liberté. Bien sûr, les vigiles doivent le surveiller sur les caméras, mais il ne fait rien de méchant ou de répréhensible. Alors, le service de sécurité le laisse tranquille, surtout que la moitié des cerbères est payée par son père inquiet de sa sécurité.
L'endroit qu'il préfère est la bibliothèque. Maxime n'aime pas spécialement lire, mais l'atmosphère qui se dégage de cette salle le fascine. La lumière qui parvient à travers les grandes vitres forme un jeu d'ombres et de lueurs que le brun trouve admirable. L'odeur des livres incite à la réflexion. Tout est à sa place, ordonné et parfaitement contrôlé. Pour le garçon un peu maniaque, ce lieu l'apaise. Il lui arrive parfois de caresser un livre presque sensuellement.
Marc, le père du brun, adore lire et souvent, il le voit avoir des gestes presque amoureux en touchant la couverture ou les pages d'un vieux roman sentant l'encre et le cuir. C'est une étrange relation qu'entretiennent Marc et sa bibliothèque. Tous les deux insomniaques, le brun se rappelle avoir souvent croisé son père, tranquillement installé dans son épais fauteuil, en train de lire au beau milieu de la nuit et surtout cette phrase énigmatique que seul Thibaut semble comprendre : «Les livres me font voyager bien plus loin que n'importe quel avion.»
S'il ressent le besoin de se défouler, le jeune homme rejoint la piscine et en se déshabillant, il effectue des allers-retours en boxer jusqu'à ce qu'enfin le sommeil se pointe. Il peut ainsi nager deux ou trois heures certaines nuits. C'est même le moment où il préfère travailler son crawl. Personne pour le ralentir, aucune nymphette pour finir de le déshabiller du regard, juste lui et le chrono au mur. Des instants quasi parfaits. Parfois, son garde du corps du jour vient s'asseoir sur les bancs au cas où, mais la plupart du temps, il le surveille via les caméras, pour le laisser tranquille avec ses pensées.
Mais ce soir, le garçon a juste envie de marcher et de traîner, sans but précis. Faisant demi-tour, il regagne les dortoirs et explore les troix étages des chambrées puis vérifie que toutes les kitchenettes sont pourvues des mêmes denrées. Il essaye d'ouvrir la porte de ses potes sans succès. C'est dommage, il leur aurait bien dessiné une moustache ou un truc ridicule sur le front au feutre.
Manquant d'idées, et s'ennuyant un peu, le jeune homme décide de retourner vers sa chambre en espérant que les gémissements se soient terminés. Il connaît assez son voisin de chambrée pour savoir qu'il n'est pas un grand sportif et que son endurance laisse à désirer. Il y a donc de fortes chances pour que des ronflements sonores remplacent les couinements du sommier. Ce n'est guère mieux, mais au moins là, la petite amie se charge de faire taire le bruit en secouant son dulciné.
Au fond du couloir, il aperçoit la porte menant au toit grande ouverte. Il est interdit d'y monter sauf en cas d'incendie. Le lieu est dangereux et des travaux sont en cours pour le sécuriser. Pensant au début que des amoureux sont montés pour voir le coucher de soleil ou les étoiles, un truc romantique, il réalise que cela n'est pas possible, la vue étant obstruée par les échafaudages.
Voulant s'assurer que tout va bien, il décide de grimper les escaliers pour jeter un œil. Au début, il ne voit personne et n'entend rien de spécial. Il inspecte avec prudence les environs. La pleine lune éclaire suffisamment pour qu'il distingue les endroits où poser les pieds sans danger. Souple et agile, il avance lentement, mais sûrement. Les bruits de la nuit l'entourent et il écoute attentivement.
Sur le coté gauche, il perçoit un bruit anormal, comme quelque chose qui tape sur le métal des échafaudages. Seulement le rythme est trop régulier et changeant pour être naturel. Cela ressemble plus à une chanson dont on martèlerait les basses. Maxime se dirige dans cette direction cherchant à distinguer quelque chose ou quelqu'un parmi les ombres. Il finit par saisir les contours d'une silhouette assise sur le mur et regardant vers le sol. Il s'approche doucement et distingue des sanglots qui se stoppent quelques instants en entendant Maxime s'approcher.
— Qui est là ? Vous n'avez pas le droit d'être ici.
— Maxime Bord. Vous aussi, vous n'avez pas le droit. Puis-je m'approcher ?
— OH Bord tu fais vraiment chier. Casse-toi ! J'ai besoin d'être seule.
Maxime reconnaît alors la voix et surtout le ton de Maeve. Sans attendre l'autorisation, il se dirige vers elle, certain d'avoir perçu une voix mal assurée remplie de sanglots, mais aussi d'alcool. Son instinct ne s'est pas trompé. La jeune fille tient une bouteille dans les mains et pleure fortement. Ce qui inquiète le brun, c'est le regard fixant le sol en contrebas de la demoiselle.
— T'as encore bu ?
— Ouais !
— Pourquoi ?
— Paraît que ça fait oublier.
— Oublier quoi ?
— Que je suis seule, mais ça marche pas.
— C'est la Saint-Valentin qui te déprime ?
— T'es vraiment con Bord !
— Peut-être, mais moi aussi, je suis célib et je ne fais pas des conneries pour autant !
— Ce n'est pas de ça que je parle. Je m'en fous de la Saint-Valentin. Je me suis juste amusée à emmerder ceux qui ne sont pas honnêtes.
— Alors c'était toi le corbeau ? Tu as mis un beau boxon juste pour t'amuser ?
— Nan ! Je voulais que d'autres soient aussi tristes que moi.
— Pourquoi ? Tu y gagnes quoi à rendre les autres malheureux ?
— Un semblant de normalité !
— Tu ne seras jamais normale. Tu es une héritière comme moi.
— Je ne serais jamais comme toi!
— Non, c'est sûr ! Tu es encore plus stupide que moi. Comment peux-tu boire cette saloperie ? T'as quatorze ans ! Ce n'est pas pour toi !
— Tu préférerais que je saute ? Hein ? Il serait si fier de toi ton papounet si tu me poussais à me jeter du toit. Tout le monde veut que je crève!
— Quoi ? T'es totalement barge !
Maeve s'est levé et se place au bord du parapet, les bras étendus. Elle marche en titubant comme une équilibriste ivre. Elle nargue le brun, sa bouteille à la main. Elle ne se rend pas compte du danger. Maxime s'élance sans réfléchir et l'attrape avant qu'elle ne tombe. Il la jette sans ménagement sur le sol du toit et se met à lui hurler dessus de peur et de colère.
— NON MAIS CA NE VA PAS? Pourquoi t'as fait ça ? Tu crois vraiment que je veux te voir t'aplatir au sol comme une crêpe ! Sérieux ! Arrête de boire. Tu dis et fais n'importe quoi ! Tu aurais pu te tuer !
— Et alors ? J'ai envie de mourir! La perte ne serait pas bien grande. Personne ne me regrettera.
— Qu'est-ce que t'en sais ?
— Je suis seule ! T'es sourd ou complétement débile?
— T'es seule parce que tu le veux bien ! Dès qu'on s'approche de toi, tu montres les dents. Tu pourrais avoir des tas d'amis si seulement tu t'en donnais la peine.
— Les amis, c'est pour les faibles. Dis à ton abruti de meilleur pote d'arrêter de m'envoyer des cartes d'amitié! Ca me gonfle et je vais finir par lui faire bouffer!
— Non ! Tu te trompes ! Les amis, ça rend plus fort et ça empêche de faire des conneries ! Si je buvais le quart de ce que tu as pris ce soir, Thibaut et Samuel me ficherais un tel coup de pied au cul que je ne pourrais plsu m'asseoir pendant une semaine et Lisa me passerait le savon de ma vie !
— C'est ce que je dis ! Je suis seule ! Je ne peux pas avoir d'amis pour ne pas être faible ! Je n'ai personne ! J'en ai marre de ma vie de merde ! Je veux en finir!
— Tu pourrais m'avoir moi si seulement tu étais moins butée ! murmure Maxime en serrant les dents.
— NON ! Les Bord sont des menteurs ! Tout ce que tu veux, c'est profiter de ma naïveté pour que ton père puisse bouffer mon empire! Tu es aussi monstrueux que ton Père.
— Je me contrefous de ton empire ! C'est toi qui m'inquiète! Je veux juste que tu arrêtes de faire des conneries !
Maeve frappe le brun de toute la force de ses poings. Comme elle est soûle et moins sportive, elle ne tient pas sur ses jambes et trébuche à plusieurs reprises tandis qu'ils se disputent. Elle se relève à chaque fois et recommence à frapper en titubant et en pleurant. Maxime tente d'éviter les coups et de la maîtriser sans lui faire mal. La diablesse se débat et s'époumone comme possédée.
Le combat est inégal bien qu'une seule se bat vraiment. La différence de taille, de souplesse et de force tourne à l'avantage du brun. La sobriété et l'entraînement également. Toutefois, l'adolescente ne cède pas et cherche à faire mal au garçon. Elle lui hurle dessus des propos sans queue ni tête, des phrases empreintes d'alcool et dépourvues de bon sens. Elle est hystérique et veut le griffer.
— Vous êtes tous les mêmes les Bord ! Vous m'avez abandonné !
Laisse-moi ! Ne me touche pas ! Je ne veux pas qu'on me touche ! Plus jamais !
PUTAIN ! Mais tu vas me foutre la paix connard!
Lâche-moi !
OUAIS ! C'est ça ! Balance-moi par terre ! C'est tout ce que tu sais faire ! Espèce de lâche!
Défends-toi chiffe molle !
Je vous massacrerais tous ! Un par un !
Tu verras bientôt ! Tu feras moins le fier Junior !
Maiiiiiiss lâCHEEEEE MOIIIIIIIII
Ils finissent par chuter durement sur le sol du toit tous les deux. Tandis qu'elle tente de le cogner avec ses pieds, il l'immobilise en s'allongeant sur elle et en l'écrasant de tout son poids. Il saisit ses poignets et la maintient jusqu'à ce qu'elle se calme. Quand enfin elle cesse de se débattre en ne laissant que les larmes couler, le brun se retire et lui permet de s'asseoir. Il la berce et la tient dans ses bras.
Le froid finit par les faire frissonner tous les deux alors Maxime oblige la jeune fille à le suivre contre son gré. Bien qu'elle ronchonne, elle n'a pas d'autre choix que de lui obéir. Il est bien plus fort et grand, elle n'a plus toute sa tête et ses jambes flanchent. Il traîne la donzelle dans le sombre repaire qui lui sert de lieu de sommeil et la force à lui montrer où sont rangés les pyjamas. La poussant dans la salle de bains, il farfouille pour trouver la brosse à dents dans le bordel ambiant et lui ordonne de se changer.
Elle refuse en continuant d'insulter le garçon et aussi de le frapper par moment. Il est obligé de lui enlever le pull et le pantalon puis de la doucher lui -même. Ils sont trempés tout les deux. Elle tente de le mordre quand il lui brosse les dents. Peu importe, il parvient à ses fins. Il la séquestre dans une serviette pour lui enlever ses sous vetements sans la voir nue. Elle accepte enfin de mettre son pyjama avec des gestes rageurs.
Ensuite, il la met au lit et la borde de façon à ce quelle ne puisse pas bouger puis s'écroule dans le fauteuil à côté après avoir fermé la porte et caché la clé pour que la demoiselle ne s'enfuie pas. Il refuse de la laisser seule cette nuit. De toute façon, il n'arrivera pas à dormir, il sait déjà qu'il va ressasser la discussion pendant des heures. Elle sombre en quelques minutes après l'avoir insulté une dernière fois.
Maxime en profite pour regarder autour de lui. La pièce est peinte en noire. Il n'y a quasiment aucun bibelot, juste les livres de cours et les vêtements. En revanche, par rapport à la dernière fois, rien n'est rangé et c'est un véritable foutoir. C'est impersonnel et froid, on dirait un lieu dévasté par une tornade où plus personne ne vit. Machinalement, Maxime se lève et commence à ranger. Ses tocs l'empêchent de rester dans un tel désordre.
Une à une, il ramasse les feuilles de cours pour les rassembler en un tas bien droit sur le bureau. Livre après livre, il les repose sur l'étagère en ordre alphabétique. Les stylos retrouvent leurs bouchons et s'alignent dans un pot à crayons. Les vêtements forment un tas de linge sale dans la salle d'eau. Les chaussures sont alignées par paires au pied du dressing. Les habits propres sont repliés et pendus à leurs cintres.
Il jette les cadavres de bouteilles d'alcool et déverse dans les toilettes celles qui sont encore pleines. Il met dans le sac-poubelle les nombreux emballages de gâteaux et de bonbons qui jonchent le sol. Le brun aligne correctement ceux entamés ou neufs sur le bureau. Il récupère le panda en peluche dans la poubelle et le pose aux côtés de la belle endormie qui aussitôt le serre en continuant de somnoler. Toute la nuit, le brun range, classe et redonne un aspect civilisé à la chambre tandis que sa propriétaire dort à poings fermés en gémissant par instant.
En récupérant des vêtements sous le lit, il trouve un second panda. Un avec une tâche de chocolat sur l'oreille droite. Celui qu'il a perdu en douzième. Il comprend alors que la brune lui a volé, mais la raison lui échappe. Il le pose à côté d'elle et elle réagit aussitôt en l'enlaçant et en suçant son pouce, comme elle le faisait quand elle était toute petite. Maxime ne peut s'empêcher de lui caresser les cheveux et reste toute la nuit assis sur le bord du lit à veiller sur elle.
Le lendemain matin, les deux adolescents ont des cernes sous les yeux. Quand le sécrétaire rentre dans la chambre et la réveille, la fatigue n'empêche pas l'Impératrice de foutre dehors le brun sans aucun ménagement ni considération pour ce qui s'est passé quelques heures auparavant. Maxime est furieux de son manque de reconnaissance et elle fait comme si rien ne s'était passé. Ils s'ignorent et boudent durant le restant de la semaine. Puis les vacances d'hiver arrivent enfin.
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