Bibendums
Le groupe s'est arrangé pour se retrouver incognito durant les vacances. Ils ont demandé à leurs parents le droit d'aller skier, mais ont choisi la même station. Un rendez-vous secret à Aspen dans le Colorado. Leurs parents étant énormément pris en cette période de l'année, seule Christy a fait le déplacement. Comme elle est dans la confidence, et qu'en plus elle est appréciée des adolescents, cela ne pose aucun problème.
Ils prennent tous un vol différent et s'assurent de l'absence de journalistes sur les lieux. De toute manière, avec leurs épaisses combinaisons peu seyantes et leurs grosses lunettes, il serait difficile de les reconnaître parmi les autres skieurs. Ils se débrouillent pour manger ensemble dans le chalet Bord où ils séjournent tous, à l'abri des indiscrets. C'est le seul moment où ils enlèvent leurs tenues de camouflage.
Aujourd'hui, ils ont décidé de faire de la randonnée en raquette. Galants, Maxime porte le sac d'Elena et Samuel celui de Lisa. Le pauvre Thibaut galère un peu pour suivre les deux grands dadets toutefois, la jeune métisse ayant aussi des difficultés, il y a souvent des pauses sous le prétexte d'un bruit d'animal qui s'approche ou d'un beau paysage à regarder. Les garçons prennent soin de leur douce amie.
Il faut reconnaître que le paysage d'un blanc éclatant et pur est particulièrement plaisant. La forêt de conifères presque entièrement recouverts d'un épais manteau laisse apparaître quelques taches vert foncé. Le ciel d'un bleu très clair se confond presque avec l'horizon. Le soleil fait miroiter quelques stalactites par instant, permettant à un mini arc-en-ciel de se refléter dans le miroir de la neige. La couverture moelleuse n'est perturbée que par quelques traces de passages d'animaux ou de randonneurs. Même Maxime, le grincheux blasé, reconnaît la féérie de la promenade et ne s'étonnerait pas de voir apparaître un yéti ou une nymphe gelée.
À force de s'arrêter tous les cinq cents mètres, ils finissent par apercevoir un troupeau d'élans au loin. Doucement, en faisant attention au sens du vent, ils s'approchent pour les regarder de plus près. Il s'agit de femelles en gestation ou avec leur petit né en été. Les filles s'extasient et prennent des photos pendant que les garçons surveillent du coin de l'œil les alentours. Ils ont peur de voir un ours ou une meute de loup débarquer dans ce paysage immaculé.
Leurs peurs sont infondées. Sur les chemins balisés, la faune est surveillée et aucun animal dangereux, si ce n'est un skieur, ne saurait mettre en danger les promeneurs. Ils l'ignorent, mais le troupeau n'est pas là par hasard. Le personnel de la station de ski pose parfois de la nourriture discrètement pour attirer la faune et permettre aux touristes d'apercevoir une nature "authentique" et se croire dans la nature sauvage.
Le sur-place permet au froid ambiant de piquer et de traverser les épaisses doudounes. Elena se dandine pour se réchauffer et les garçons tentent de bouger leurs muscles sans faire de bruit. Leurs efforts sont vains et ils commencent sérieusement à se geler. Au grand regret de Lisa, les mouvements des garçons alertent le troupeau qui s'enfuit. Le groupe repart donc pour finir leur randonnée.
Ils arrivent au bord du lac gelé et de son point de vue sur la vallée. La surface de l'étendue d'eau est dure sur plus d'un mètre, y compris en son centre. Quelques groupes s'essayent à la glisse sous l'œil bienveillant des moniteurs/loueurs de patins. La bande les observe quelques instants avant de se décider à les rejoindre. Elena a un bon équilibre, mais les quatre autres chutent sans cesse en riant. Ils s'amusent comme des gosses et en oublient l'heure jusqu'à ce que les surveillants sonnent la fin des jeux.
En revêtant leurs raquettes, ils admirent la vue sur la vallée en contrebas. Les petites maisons colorées et leurs toits pendus forment une oasis de couleur dans un océan blanc. Sur le versant opposé, le coucher de soleil débutant envoie des rayons rouges et or qui font flamboyer le ciel, mais également alerte le groupe sur l'heure qui avance. Ils se remettent en route rapidement.
Leurs pieds sont lourds et les raquettes ne permettent pas d'avancer très vite. Même les plus sportifs galèrent et peinent à progresser. La nuit commence à s'installer et Lisa craint de ne pas arriver en lieu sûr avant qu'il ne fasse noir. Fort heureusement pour eux, une maman protectrice veille sur cette bande d'imbéciles heureux. Christy a fait envoyer une calèche de chevaux de trait à leur rencontre. Voici les cinq adolescents récupérés et ramenés à la porte du chalet Bord.
Christy les attend tout sourire, une délicieuse odeur de nourriture s'échappant de l'intérieur. Elle a cuisiné une bonne partie de l'aprèm pour concocter un des grands plaisirs de la montagne. Un repas gras et calorique à base de charcuteries, de pommes de terre, de pain et surtout de fromage ! Les enfants sautent de joie et embrassent sans gêne la douce et attentionnée maman.
Ils enlèvent leurs doudounes, perdant la moitié de leur épaisseur, et se ruent vers la table. Tellement de bonnes choses à foison. Ils ne savent pas par où commencer. Du coup, ils mélangent les aliments et racontent leur journée la bouche pleine à une Christy tout sourire. Elle est heureuse de les voir si joyeux et affamés.
La femme pose un regard attendri sur les cinq estomacs sur pattes. Le moins civilisé reste son fils qui ne se gêne pas pour piquer les réserves de ses potes. Samuel a un comportement similaire. Les filles ne se laissent pas faire tout en faisant preuve d'élégance, un fil de fromage leur pendant au coin de la bouche. Thibaut est le seul à manger proprement sans se jeter comme un goinfre ou se tâcher.
Il est d'un calme olympien face aux attaques sournoises pour lui chiper son jambon sec et y répond d'un coup de fourchette autoritaire sur les doigts de ses deux potes. Il enlève délicatement les fils des joues des demoiselles avec un sourire indulgent et attendri. En regardant bien, on s'aperçoit que le véritable leader du groupe est le garçon à lunettes.
Christy est impressionnée par la maturité et l'assurance naturelle du jeune homme. Il dégage quelque chose de magnétique. Il ne joue pas sur le côté séduisant ou solaire comme Marc, toutefois, son calme, son sens de la répartie et son esprit vif et incisif font de l'adolescent un chef naturel dont les sages décisions sont respectées par de forts caractères comme Maxime, Elena ou Samuel. Il a même un coté rassurant et apaisant sur les personnes anxieuses comme Lisa. Christy comprend pourquoi son époux parle de Thibaut comme d'un potentiel rival très prometteur. Il a vraiment du charisme.
C'est l'estomac prêt à éclater que les enfants se couchent. Ils sont tellement repus que même les deux trublions n'ont pas envie de chercher la bagarre. Les filles se dirigent vers leur chambre et très rapidement, elles s'endorment. Christy et son fils, qui partagent la seconde pièce de nuit, discutent un peu, le temps de se raconter leurs journées respectives puis gagnent leur sommier pour se reposer. Thibaut et Samuel, dans la dernière tanière nocturne se battent pour accéder en premier à leur salle de bain privative, puis se volent les oreillers et les couettes. Le boxon qui se fait le plus silencieusement possible finit tout de même par être détecté par leurs voisins qui les grondent. À peine allongés, ils se mettent tous les deux à ronfler.
Le lendemain, ils décident de skier tous ensemble. Lisa n'étant pas très adroite, ils utilisent les pistes faciles et vont lentement pour qu'elle puisse suivre sans trop de difficulté. L'important pour eux est d'être ensemble. Samuel, le plus doué, fait parfois quelques figures pour impressionner ses potes sans toutefois faire trop l'andouille. Il fait attention à l'environnement et surtout aux nombreux débutants ou enfants autour. L'un d'eux manque même de le faire tomber en perdant le contrôle de sa luge.
Au midi, un peu fatigué tout de même, les garçons vont acheter des sandwichs tandis que les filles font un peu de shopping. La jolie Elena se plaint que sa silhouette n'est pas assez mise en valeur dans ces tenues épaisses. Elle cherche une combinaison aussi chaude mais bien plus moulante sous les quolibets de Lisa et Christy qui n'ont pas ce genre de préoccupations.
Avec les épaisses lunettes, la vendeuse ne reconnaît pas sa prestigieuse cliente. Pour rire, la jolie blonde critique la dernière collection de sa mère juste pour casser les pieds à la commerçante. Elle se permet même de porter un jugement sur l'affiche grand format dont elle est le mannequin. Lisa se mord les lèvres en entendant les soi-disant retouches de l'image, dénoncées par Elena et niées par la détaillante. La pauvre commerciale vit un vrai supplice.
Fort heureusement, les garçons affamés viennent presser les dames et Maxime gronde gentiment la blonde en voyant les efforts désespérés de la femme pour défendre sa boutique. Il révèle la supercherie et oblige Elena à promettre une prime en fin de mois pour loyaux services. Il repart avec une paire de lunettes de soleil moderne qui ont fait craquer sa douce maman.
En sortant de la boutique, les jeunes hommes se chamaillent comme à leur habitude. Soudain, en voyant des enfants jouer, ils ne trouvent pas mieux que de les imiter. Ils tombent donc dans la neige et s'amusent à bouger bras et jambes pour dessiner des anges de neige pour faire rire les filles. Christy est à la fois désespérée et heureuse de son garçon. Il aime les plaisirs simples et reste un bambin dans son cœur.
Sans prendre les autres en photo, elle immortalise la scène et l'envoie par message à son époux. Cela voudra quelques taquineries père-fils, mais elle sait que Marc sourira à cette image et qu'elle lui redonnera du courage et des forces pendant cette période de forte charge de travail. Voir Maxime et Christy heureux est un véritable moteur pour l'homme d'affaires.
Elena et Lisa profitent que leurs amis soient au sol pour débuter une bataille de boules-de-neige et les attaquer sournoisement. Leurs volumineuses tenues limitent les mouvements, pourtant, une course-poursuite endiablée se produit. La douce Lisa ne subit guère de représailles, plutôt des bisous pour la faire rougir. L'espiègle Elena finit recouverte de neige, assaillie par trois gaillards qui se liguent contre elle avant de se battre entre eux.
Maxime soulève la blonde dans les airs et la fait tournoyer pour qu'elle crie. En riant, il l'empêche de bouger et la jette sur un gros tas de neige avant de la rejoindre pour tenter de l'ensevelir. Elena a les cheveux collés par de gros morceaux de boule-de-neige. Le grand brun lui ouvre soudainement la combinaison et glisse une sphère blanche et glaciale dans le dos de son amie qui se met à hurler.
Ils font tellement de bruit en riant que les enfants voisins se joignent au combat ainsi que quelques parents. La bataille se généralise au bas des pistes et quelques skieurs en font les frais. La bonne humeur est telle que quasiment personne ne proteste et laisse la folie douce se répandre.
C'est le moment que choisit Marc pour appeler sa femme. Elle s'isole en riant et raconte à sa tendre moitié ce qui se déroule sous ses yeux. En bon-papa, il s'extasie lorsque son rejeton gagne. Il aimerait être présent pour mettre la pâtée à son fils. Malheureusement, de nombreux contrats sont en cours de négociations et il n'a que quelques minutes de liberté par jour.
Christy fait une grimace en entendant les dernières fourberies de Fabrice Toen. Cet homme n'a vraiment aucun scrupule. La femme se demande comment Elena peut être aussi adorable en ayant un tel père. Cependant, il n'est pas le seul à causer du souci à l'empire Bord. Malgré la mort de Rudolf, les entreprises Teyssier tiennent bon et signent des affaires juteuses. Quant à Dimitri Bjork, il met son nez un peu partout et cela ne plaît pas à Marc.
Les deux époux discutent de leurs journées respectives, comme ils le font tous les jours, peu importe où ils sont. Le couple est très proche et ne se cache rien ou presque. Ils sont fous amoureux l'un de l'autre. Bien qu'elle craquait pour lui depuis le collège, Christy restait éloignée de Marc. À l'époque, il y avait un tas de poupées qui lui tournait autour sans soulever la moindre once d'intérêt.
C'est au lycée, lors d'un débat en cours de philosophie, où la jeune femme moucha littéralement Marc et remporta la victoire du jour, que le jeune homme commença à la regarder. L'intelligence, la gentillesse et surtout le répondant de Christy qui ne prenait pas de pincettes par rapport au prestigieux nom de famille, séduisit Marc. Il galéra durant trois ans avant qu'elle ne daigne accepter un dîner. Depuis, il ne la quitte plus et la couvre de cadeaux et d'attentions dès qu'il le peut, c'est-à-dire quasiment tous les jours.
Entre les bouquets de fleurs réguliers, la livraison matinale de viennoiseries, les quelques vêtements ou bijoux et les mots doux minimum trois fois par jour, plus tous les moments de tendresse, Christy est choyée comme une reine et remerciée tous les jours d'être à ses côtés et de le soutenir sans faille. En plus, elle lui a donné un enfant, source de joie et de fierté. Marc idolâtre son épouse.
Les gamins ont fini de se chamailler. Ils sont couverts de neige et transpirants. Christy met fin à sa conversation pour les inciter à rentrer au chaud avant d'attraper froid. Elle les couve comme une mère poule qu'elle est. Tous apprécient de se faire gentiment gronder et rappeler à l'ordre. Ils filent au pas de course au chalet pour enlever leur tenue gonflée et se changer pour des vêtements secs et chauds.
Bien qu'ils n'aient pas l'âge, les enfants ont acheté une bouteille d'alcool fabriqué à base des plantes de montagnes pour l'offrir à Marc Bord en remerciement sans qu'il ne sache le nom des amis de son fils. Ils ont aussi un cadre photo en bois d'un artisan local pour Christy, afin qu'elle est un souvenir de ce moment de joie partagé. Ce soir, c'est leur dernière nuit. Ils rentreront chez eux et reprendront leur quotidien de gosses biens-nés devant se préparer à reprendre les rênes des empires familiaux.
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