Cours de savoir vivre

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Trois jours plus tard, un nouveau professeur débarque au lycée. La directricer a décidé de faire suivre un enseignement assez particulier à ses élèves. Cette andouille n'a pas trouvé mieux que de demander à un vieux aristocrate de venir apprendre les us et coutumes des différentes contrées du monde afin que les enfants ne fassent pas d'impair dans leur vie active future, quand ils négocieront de gros contrats.

Voici donc les adolescents apprenant à faire les différentes courbettes, les couleurs à ne pas porter ou encore même le langage secret du sac à main de la Diplomate en chef Merkanienne. Bien qu'ils en comprennent l'utilité, ce cours ennuie fortement les lycéens en particulier les messieurs. Toutefois, ils se montrent tous très appliqués.

Ils répètent en dehors des cours et s'exercent à se montrer en toutes circonstances parfaitement éduqués. Des conversations très étranges ont lieu. La cantine ou les couloirs deviennent des lieux mondains où l'on parle un langage châtié et empreint d'un snobisme exacerbé. Les piètres imitations de discussions d'affaires ou de rendez vous diplomatiques prêtent à sourire.

De nombreux professeurs rient sous cape tant les paroles ne sont pas naturelles pour leurs élèves. Le comique de la situation les amuse et ils en profitent pour taquiner les adolescents en adoptant le même ton hautain pour les prendre à leur propre jeu. Cela donne des situations ou des cours assez cocasses.

Le lycée se transforme en une cour royale avec toute la panoplie de la noblesse. Les quatre héritiers font figure de princes et princesses de sang. Leurs proches comme Lisa ou les professeurs sont les ducs ou marquis. Les niveaux suivants se définissent en fonction de leur naissance ou de leur affinités avec l'un des quatre héritiers. Les allusions et les non-dits pullulent et la sincérité commence sérieusement à faire défaut.

Les enseignants, amusés au début, finissent par en avoir assez de cette ambiance et tentent de faire revenir les choses comme avant. Ils soulignent le ridicule de la situation et expliquent aux adolescents combien il est important de rester soi-même. Evidemment, le professeur de bonnes manières n'est pas de cet avis et se fait vite détester de ses confrères.

L'homme est prétentieux et maniéré. Sa voix nasillarde est particulièrement énervante. Il fourmille d'anecdotes toutes plus inutiles les unes que les autres. Particulièrement lèche-bottes avec les quatre héritiers et les quelques élèves pourvus de sang royal, il est dédaigneux avec les autres, les traitant de grossiers personnages, de rustres ou de bourgeoises mal dégrossies.

Son look improbable, fait de dentelles, cachemire et de velours, suscite les moqueries. Ses chaussures en pointe de cuir beige cirées attirent l'œil. Il porte des guêtres de la même couleur et un pantalon bouffant en lin. Sa taille fine est soulignée d'une ceinture turban verte émeraude aux reflets dorés. Sa chemise à lacets blanche est maintenue à son cou par un foulard de soie azur noué en cravate. Un gilet de tartan vert cache son début de bedaine. Ses épaules ne sont pas couvertes d'une veste mais d'une cape crème un peu jaunissante.

Son visage sec et ridé est pourvu d'une fine moustache remontante en boucle sur les cotés. Ses rares cheveux gris dépassent du chapeau en feutrine marron décorée de plumes de paon irisées. Ses yeux sont maquillés de fard à paupière le plus souvent bleu ou vert. Il marche avec une canne au pommeau de canard dont il se sert comme d'un accessoire de mode, n'ayant que peu de difficultés à se mouvoir.

L'homme se vante sans cesse qu'au temps des rois, il aurait été un parfait courtisan et est persuadé qu'il aurait eu des titres de noblesse. Se plaignant de cette époque décadence sans prestige et faste, il prône des valeurs anciennes désuètes que même ceux issus de la noblesse savent dépassées. Aucun élève ne l'apprécie et souvent, ils se moquent de lui dans son dos, y compris les meilleurs adolescents.

Maeve a vite remis le professeur à sa place lors d'une simulation. Elle lui a rappelé que peu importe la personne en face d'elle, il lui suffit d'un coup de fil et de moins de 24h pour bloquer les comptes bancaires, moyens de paiements ou tout autre action enquiquinante. Au besoin, cerbère Jacob trouvera un copain pour refroidir les indélicats qui oublieraient la puissance des Teyssier. Thibaut et Jacob ont dû se mordre les lèvres à sang pour ne pas rire devant les menaces non voilées de la jeune fille. Bref, la brune n'est plus dérangée et peut même sécher le cours.

Elena excelle dans les révérences et les pratiques vestimentaires de chaque région. L'enseignant est presque amoureux d'elle et de la grâce qu'elle dégage. Elle a l'art de trouver la bonne attitude ou le bon mot à avoir dans chaque situation. La cour assidue qu'il lui fait sous couvert de son enseignement écœure la jeune fille qui se retient de vomir quand le parfum capiteux de patchouli lui effleure les narines.

Maxime, Samuel et Thibaud ne s'en sortent pas trop mal eux aussi. Les trois garçons sont rompus à ce genre de langage dans les conversations de soirées mondaines. Maeve s'en fout totalement, les grands de ce monde lui font des courbettes. Elle ne fait donc aucun effort et le professeur ne dit rien de peur de fâcher la puissante. C'est d'ailleurs la seule qui se permet un langage de charretier qui choque le vieillard, juste pour s'amuser à l'énerver et le voir se mordre les lèvres pour se retenir de sortir un mot fâcheux.

Lisa galère un peu, le langage des signes n'étant pas accepté ou compris partout. En plus, il y a des subtilités dans chaque contrée. Elle s'accroche et fait de son mieux. Sa bonne éducation l'aide beaucoup ainsi que ses amis qui lui soufflent les bonnes réponses dans le dos du professeur. Toutefois, ce genre de mascarade n'est vraiment pas son genre et elle peine à l'adopter et à dissimuler ce qu'elle ressent.

La pauvre jeune fille sait ce qu'il faut faire ou dire seulement, elle ne peut pas s'exprimer comme elle le voudrait et cela lui tape parfois sur les nerfs. En plus, le vieux ronchon n'est absolument pas ouvert d'esprit. Un jour, voulant lui dire qu'elle avait de la chance d'être née de nos jours, il lui sort que du temps des rois, elle aurait fini dans un hôpital psychiatrique.

Les élèves sont consternés et choqués. Un silence se fait et le professeur réalise qu'il est allé trop loin. Il tente alors d'expliquer ses propos en rappelant qu'il n'y a pas si longtemps, les handicapés étaient abandonnés par leur famille ou atterrissaient dans un asile de fous, faute de connaissances sur leur pathologie. Lisa éclate en sanglots devant autant de mépris. Les garçons n'ont pas le temps de réagir.

- CLAC!

Elena colle une gifle magistrale au vieillard qui vacille. Elle le pousse pour qu'il s'assoit sur la chaise derrière lui et pour le dominer en hauteur. D'un ton sec et cassant, elle le met plus bas que terre en ressortant des dossiers honteux sur lui et sa famille. Elle fait appeler la directrice immédiatement. La blonde est furieuse et fait un véritable scandale pour défendre son amie.

Elle menace de représailles la directrice et l'enseignant. Monopolisant la discussion, elle accable son professeur. Utilisant son nom de famille puissant, elle exige le licenciement immédiat pour faute et fera tout pour que l'homme ne retrouve pas de travail en faisant jouer les contacts de ses parents.

Soutenue par Maxime et Samuel, la rage de la blonde la rend impressionnante et effrayante. Sa colère explose littéralement et les autres élèves, qui ne l'ont jamais vu dans un tel état, entrevoient ce qu'il advient de quelqu'un qui énerve la jeune fille. Elle peut le broyer d'un claquement de doigts.

L'enseignant apeuré se tourne vers la seule personne pouvant l'aider, l'unique famille plus puissante que n'importe qui. La brune se lève doucement. Elle s'approche avec prétention nullement impressionnée par les menaces d'Elena qui défend son amie. Son regard est acier, impénétrable. Maxime se place entre les deux filles, inquiet. La salle et surtout la directrice est suspendue aux lèvres de la donzelle qui joue de son petit effet avec délectation. La brune tourne sur elle-même, pour bien observer les visages de l'assistance.

Elena rouge de colère, Samuel pâle d'inquiétude, Maxime soucieux, Thibaut focalisé sur Lisa, et tous les autres impatients, apeurés ou curieux. Le beau brun réalise que la demoiselle s'amuse fortement et fait durer le plaisir. Il n'arrive pas à cerner ce à quoi elle pense. C'est déjà étrange qu'elle se soit levée pour une chose aussi insignifiante à ses yeux.

La jeune fille prolonge le moment au delà du supportable. Tous sauf Elena sont silencieux et tendus. La blonde apostrophe la brune qui la regarde en souriant tranquillement. C'est un affrontement de deux prédateurs, l'un agressif et l'autre muette qui observe sa future proie. Plusieurs personnes déglutissent d'anxiété. La directrice et l'enseignant sont blancs de peur et prêts à s'évanouir tant la tension est forte.

Tel un Empereur romain, elle tourne son poing pouce vers le bas sans un mot en direction de l'homme sans se préoccuper de ses suppliques. D'un ton sec et en regardant l'homme dans les yeux avec colère, elle ne dit qu'un mot qui scelle son destin:

— Licenciement.

Puis, elle sort un mouchoir en soie de sa poche et va le donner à Lisa. Elle caresse un peu les cheveux de la jeune fille et observe Thibaut qui lui sourit tout en couvrant Lisa de bisous. Sans un regard vers le reste de la salle, l'impératrice se met à parler d'une voix cassante.

— Une semaine d'intérêt général à la cantine du lycée pour agression et insulte envers un professeur.

Avec un immense sourire sarcastique, la donzelle observe les narines de la blonde se dilater de fureur. Elena déteste sentir la bouffe et la "punition" demandée par la brune n'est en fait qu'une façon de lui casser les pieds et aussi de lui rappeler la toute-puissance du nom des Teyssier.

Tandis qu'elle réalise ce qui vient de se passer, Elena passe de la fureur contre l'enseignant à la rage contre la brune. Maxime soupire. Quelque part, l'impératrice a défendu Lisa et fait licencier le professeur indélicat et la blonde se remettra vite de cette petite pique d'insolence. Thibaut étant focalisée sur Lisa, le brun sait que s'il ne réagit pas, les deux filles vont s'étriper comme des tigresses dans quelques instants.

Les deux furies se jaugent du regard et leurs yeux lançent des balles. La brune provoque clairement la blonde et cherche à déclencher une bagarre. Pourtant, elle se tenait tranquille depuis plusieurs mois. C'est étrange et dangereux. Les gardes du corps sentant la future explosion se tiennent prêts à intervenir.

Maxime ne voit qu'une solution pour stopper l'explosion qui se prépare. Il murmure quelque chose à l'oreille de Samuel. d'un geste, il indique à Jacob n'avoir aucune mauvaise intention afin de pouvoir s'approcher puis inspirant un grand coup, il choppe Maeve et la place sur ses épaules pour la ramener à sa chambre tandis que Samuel fait de même avec la blonde.

Les deux garçons empêchent les filles de se toucher et les éloignent l'une de l'autre. Les deux gaillards sont bien plus forts que les donzelles mais ils se méfient des représailles surtout Maxime qui sait que Maeve est formée au combat et totalement imprévisible.  

Calmée par le contact d'un ami, Elena continue cependant de ronchonner et se débat en tapant sur les fesses du blond. Elle a un trop plein de colère à défouler. Un autre que Samuel ou Maxime se ferait tabasser plus fortement. Mais le blond est son pote. Bien que furieuse, elle ne veut pas lui faire de mal. Elle frappe assez fort le fessier musclé en sachant pertinemment qu'elle a plus mal aux mains que lui au postérieur et de toute façon, il se venge gentiment sur sa croupe pour la faire redescendre en pression.

Heureusement pour Maxime, la brune est très calme et malgré la position particulière, elle ne se débat pas et ne crie pas. Elle fait même un signe à son sbire de ne pas bouger qui de toute façon semble amuser de la situation. Elle fouille les poches arrières du pantalon du brun sans aucune gêne et s'empare du portefeuille de Maxime. La brune l'ouvre sans vergogne et l'inspecte pendant que le brun gravit les escaliers avec son colis. Cela n'empêche pas Maeve de lancer des regards amusés et provocateurs envers le second sac à patates charrié. La mauvaise humeur de la blonde semble réjouir la brune.

Lorsque le beau brun dépose son fardeau sur le lit dans la chambre de Maeve, il tente de récupèrer son bien en tendant la main et en poussant un grand soupir. Il n'y a pas grand chose dans l'étui de cuir. Toutefois, la demoiselle a trouvé le seul objet qui a de l'importance pour le jeune homme. Une vieille photo datant de son enfance. Une image le montrant lui et Maeve en train de rire avec Christy sa maman. La jeune fille regarde le cliché et le caresse du bout des doigts.

Elle lui a rendu son portefeuille et son argent sans le moindre souci. Cette image, elle ne la lâche pas. Elle est comme pétrifiée. Maxime la regarde. On dirait qu'elle veut parler, mais qu'elle n'y arrive pas. Le brun n'arrive pas à savoir quelle émotion la traverse en ce moment. Parfois il pense qu'elle a peur, une autre fois qu'elle veut pleurer. Elle finit par murmurer de manière quasi-inaudible.

— Je peux la garder ?

- Oui, je la réimprimerais, en souvenir du bon vieux temps.

Maxime hoche la tête en donnant son consentement. Il a envie de lui caresser la joue devant son air triste, cependant, elle réagit tellement bizarrement depuis la douzième qu'il n'est pas certain de savoir s'il en a le droit. Pourtant, à cet instant, il a l'impression de voir la chipie qui squattait sa demeure. Il tend la main doucement. À l'instant où il touche sa peau, celle-ci pose sa tête dans la paume et verse une larme en serrant le cliché.

Elle semble si fragile en cet instant, comme si un rien pouvait la briser. Le brun ne sait que faire ou dire. Il se contente de lui caresser la joue en silence, ne cessant de la regarder. Elle n'a d'yeux que pour l'image qu'elle fixe intensément. Il la sent trembler un peu et son corps se crisper. D'un seul coup, elle s'effarouche et le repousse durement. Elle le fiche dehors et claque la porte.

Il reste sur le palier, mettant plusieurs secondes à comprendre ce qui vient de se passer. C'est totalement illogique. Elle a bien agi envers Lisa, sa punition envers Elena n'est pas bien méchante, elle ne s'est pas offusquée d'être porté comme un sac à patates, et là, alors qu'il a tenté un geste amical, il se fait jeter avec dégoût, comme une vieille chaussette sale et puante.

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