Confessions

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Une soirée mondaine avec tout le gratin se profile. Il faut encore se montrer. Cette fois, il s'agit de collecter de fonds pour les victimes de violences conjugales. Une association de protection de femmes battues ou victimes de viols a préparé un gala avec la plupart de ses donateurs et en cherche de nouveaux. Une fois les invités tous arrivés et installés à leurs tables pour le repas, les discours débutent.

Des témoignages de femmes, puis de bénévoles et de services hospitaliers. Les puissants applaudissent et se restaurent. C'est enfin le moment pour l'organisatrice de la soirée, la principale donatrice de prendre la parole. Maeve Teyssier s'avance alors et se place face au micro sur l'estrade.

— Je soutiens cette cause qui me tient particulièrement à cœur et j'effectue une donation de vingt millions d'or Teyssien. Si la somme peut paraitre exorbitante, il ne s'agit nullement d'une lubie d'adolescente dépensière...

J'ai longuement réfléchi au moyen de vous convaincre d'ouvrir vos porte monnaie. Les récentes rumeurs m'ont fait comprendre que la meilleure façon était de vous dire la vérité. Alors, pour faire taire les calomnies, permettez moi de vous montrer ceci.

En disant ces mots, Maeve retire la veste qui couvre son dos. La caméra zoome aussitôt et révèle sur écran géant un corps meurtri présentant de nombreuses cicatrices. Il y en a tellement qu'on ne peut les compter. Un silence règne coupé de quelques exclamations de surprise. L'assistance est sous le choc et ne réalise pas ce qui se passe.

Se tenant fièrement, la jeune fille assume pleinement la divulgation de ce secret. Elle accorde à l'assemblée quelques instants pour encaisser la nouvelle et laisse les flashs de la presse à scandale crépiter, se moquant éperdument de leur sans gêne. Calmement, Maeve reprend son discours.

— J'ai eu une enfance merveilleuse et j'ai grandi dans l'amour d'un grand père aimant et bienveillant. Malheureusement, une crise cardiaque me le retira peu après mes huit ans. Mes parents reprirent mon éducation en main à compter de ce jour et ma vie changea du tout au tout.

Mère m'insultait et me rabaissait quotidiennement. Je n'étais jamais assez belle, assez intelligente ou assez dégourdie. Par ma faute, sa carrière de mannequin au sommet s'arrêta le temps de la grossesse et ne reprit jamais son niveau. En tant que fille, j'étais non désirée et Mère me reprocha régulièrement ma venue au monde.

Père n'était pas en reste et se lamentait de ne pas avoir eu de fils. Il agrémentait ses reproches de gifles ou coups de pied. Moins d'une semaine après mon arrivée au domicile de mes parents, je goutais déjà au ceinturon et aux poings, cependant, jamais sur le visage. Les côtes cassées ou les bleus passèrent pour les exploits d'une fillette imprudente et casse-cou aux yeux de médecins complaisants. De mes huit ans et jusqu'au jour de sa mort, Père me battait comme plâtre dès qu'il en avait l'occasion.

Maeve inspire profondément plusieurs fois, assaillie de plusieurs flash back dont le plus récurrent concerne la fin de son discours. Ce qu'elle doit encore dire n'est pas cicatrisé. La jeune fille sait qu'elle doit exorciser ses démons. Le mieux pour faire taire une rumeur est de dire la vérité, pour couper l'herbe sous le pied des commères. Cependant, révéler ce qu'on a caché pendant des années n'est pas chose aisée, surtout quand on a à peine seize ans. Les images abominables du passé défilent dans la tête de Maeve.

Le premier date de ses neuf ans. Sa grand-mère maternelle l'injuriait. De colère, Maeve la bouscula et la vieille femme chuta dans l'escalier et se rompit le cou. Rudolf qui arrivait constata le décès et ricana, heureux du débarras. Puis, il obligea sa fille à regarder le corps inanimé jusqu'à l'arrivée des secours. Par la suite, il lui rappela régulièrement qu'elle avait tué sa grand-mère.

Le second date de ses quatorze ans. Elle était en train de préparer le repas dans la cuisine. Maeve entendit des hurlements de colère à l'étage. Elle ne s'en est pas préoccupée sur l'instant. Les cris, c'est habituel. Ses parents étaient encore en train de s'engueuler pour savoir qui était responsable de la catastrophe qu'elle était.

Tentant de ne pas écouter les insultes et les objets volants, Maeve remarqua tout de même qu'ils se rapprochaient. La jeune fille ne voulait pas qu'ils la voient. Elle chercha une échappatoire, mais il n'y a qu'une porte et ils étaient derrière, vociférant comme s'ils étaient possédés.

Tremblante, la grande enfant commença à pleurer en entendant pour la énième fois qu'elle avait ruiné la carrière de mannequin de Mère et toute sa vie. Mère aurait dû se faire avorter dès qu'elle sut porter une fille, et ne pas mettre au monde un être dont elle était sûre qu'elle aurait honte. Père vomissait de nouveau son dégoût de ne pas avoir eu de vrai héritier et insultait Maeve en la traitant d'ignare, de pleureuse et de laideron.

La porte s'ouvrit dans un grand fracas et les deux adultes rentrèrent en s'envoyant des objets aux visages, se battant et tentant de se griffer et cogner. Pour la première fois, ils s'en prenaient physiquement l'un à l'autre. Surprise et terrorisée, la jeune fille tenta de se camoufler en dessous de la table, espérant qu'ils ne l'aperçoivent pas.

Mère s'emparait des assiettes et des verres et les jetait en direction de Père. Elle leva la main pour le gifler, cependant, il fut plus rapide et le choc de la réponse propulsa Mère au sol. Bien qu'elle tenta de se relever, ses efforts furent vains. Père était rentré dans une colère noire, une fureur comme la fillette en subissait régulièrement. Il frappa de ses pieds Mère à terre sans répit.

Impuissante et paniquée devant cette violence qui lui était réservée d'habitude, Maeve se boucha les oreilles pour ne pas entendre les cris de douleur de Mère. Elle fermait les yeux pour ne pas voir les pupilles horrifiées et le sang s'échapper de son sourire toujours parfait. Malgré elle, les narines de l'enfant humaient une odeur métallique tellement caractéristique que Maeve ne pouvait nier.

Devant la puissance de cette flagrance écœurante, elle ouvrit enfin les yeux et surpris Père, un couteau à la main, lacérant le visage et le corps de Mère, détruisant l'œuvre des chirurgiens esthétiques et annihilant, dans une perte de contrôle, toute la beauté de Mère.

Rampant à reculons, la jeune fille essaya de sortir de la pièce sans se faire repérer, pressentant qu'une limite venait d'être franchie. Mère criait inutilement à l'aide de toute la force de ses poumons. Les murs de la demeure sont épais, personne ne pouvait entendre et l'enfant était tétanisée. Père saisit son épouse par les cheveux et la releva pour la projeter sur le mur. Telle une poupée de chiffon, Maeve vit Mère s'écrouler inerte. Un silence terrifiant fit place à la tempête précédente. La fillette était figée et immobile, priant pour que Père ne tourne pas le regard.

La casserole d'eau se mettant à bouillir attira l'attention de Père. Il s'en saisit et la jeta en direction de Mère qui ne bougea pas. Maeve comprit alors que Mère n'était plus parmi eux. Affolée, elle étouffa un cri d'horreur en portant la main sur sa bouche. Réalisant sa présence en observant la pièce, Père se mit à la chercher en l'appelant de tous les noms d'oiseaux qu'il connaissait.

Lorsqu'il la vit enfin, il l'agrippa par le bras pour la forcer à se relever en lui tordant. Ayant peur de finir comme Mère, l'enfant se débattait de toutes ses forces, attisant la rage du monstre en face d'elle. Père lui flanquait des coups de poings dans les côtes de sa main libre.

Il lui vrilla le poignet et la traîna dans le salon. Il décrocha le tisonnier du rebord de la cheminée et lui cogna vigoureusement avec la barre métallique quasi-brûlante. Les assauts pleuvaient sur son dos et ses flancs. Elle protégeait sa tête et son cou du mieux possible avec les bras et les mains. Plus durement que d'habitude, Maeve subissait une correction pour le simple fait de s'être trouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Recroquevillée en boule pour minimiser la surface atteinte, elle pleurait de rage.

Soudain, un accroc dans la barre s'agrippa à son tee-shirt et le troua. Coup après coup, tirant de plus en plus, le vêtement finit par être lacéré. Père reprit les coups de pied et l'un d'eux, plus puissant que les précédents retourna brutalement l'enfant. Présentant alors son torse dévêtu en partie, elle s'étonna de l'arrêt de la punition. Relevant les yeux, Maeve croisa les pupilles dilatées de colère de Père et aperçut soudain un changement qui la terrorisa.

Père observait sa poitrine naissante d'un air gourmand qui dégoûta l'enfant. Il se lécha les lèvres, le regard descendant vers le pantalon de la jeune fille et se mit à sourire. Il se jeta sur elle pour tenter de lui arracher son jean. Dans un effort désespéré, un réflexe de survie, elle percuta son entrejambe en train de gonfler avec son genou.

La douleur qui le plia permit à Maeve de s'échapper. Se relevant rapidement et courant en direction du couloir de l'entrée, elle parvient presque à son but, ouvrir la porte pour fuir, que Père la rattrapa. L'ouverture resta béante, mais Père la saisit par la taille et la lança en arrière, à l'intérieur. Tremblante, une pensée traversa l'esprit de la jeune fille.

Elle se rua dans le bureau où elle n'avait pas le droit d'entrer et fouilla le dernier tiroir précipitamment pour trouver l'objet convoité qu'elle avait déjà repéré. Père l'avait rejoint, mais elle contourna le meuble de chêne massif pour s'élancer de nouveau vers une sortie, celle de la cuisine. À ses trousses, Père la récupéra de nouveau et l'envoya dans l'antre infernale. Le voyant courir pour la déshabiller de nouveau, elle ne réfléchit pas et pointant des deux mains son larcin dans la direction paternelle, elle tira frénétiquement.

Maeve ne se rappelle plus ce qui s'est passé ensuite. Elle s'est réveillée dans un lit d'hôpital, vêtue d'une blouse impudique et attachée aux poignets et aux chevilles. Une perfusion faisait couler de la vie dans ses veines. Les jours qui ont suivi furent brumeux. D'après ce que les infirmières lui ont raconté, les voisins ont été alerté par les coups de feu et ont appelé la gendarmerie.

En arrivant sur les lieux, les militaires ont constaté le drame et l'ont trouvé prostrée, à genoux, dans une mare de sang. Les cadavres de Mère et de Père en face d'elle. En les voyant, Maeve se serait mis le revolver sur la tempe et aurais tenté de se suicider, toutefois, elle échoua, car elle avait vidé le chargeur dans sa terreur.

La paranoïa de Père lui servit d'alibi. Les gendarmes avaient récupéré et visionné les caméras de surveillance. Maeve fut ne donc pas inquiétée, la légitime défense ayant été reconnue. Cependant, bien qu'elle n'ait aucun regret de ce qu'elle a fait, une partie d'elle a été définitivement brisée par les brimades subies de ses huit à ses quatorze ans et par la vision du meurtre de Mère. Elle venait de commettre son deuxième meurtre.

Le plus dur restait de retourner au lycée, en trouvant une excuse à son absence. A peine arrivé, elle comprit que cela serait difficile. Les regards navrés l'informaient que le décès de ses parents était connu. Adoptant l'attitude froide et distante qui est sa couverture depuis ses huit ans, Maeve marcha fièrement jusqu'à sa chambre pour y déposer sa valise. Personne ne l'arrêta pour lui présenter ses condoléances. Personne ne fit un geste ou un sourire bienveillant.

Aussitôt la porte fermée, elle s'écroula au sol, ravagée par les pleurs. Elle étouffa ses cris en mordant dans sa manche, comme à son habitude. Personne ne toqua. Le lendemain matin, Maeve était redevenue elle -même et était assez forte pour affronter la semaine de cours parmi tous ses imbéciles heureux ignorants.

Sa vision se termine et elle tremble un peu en ouvrant de nouveau la bouche. Tous les regards sont tournés vers Maeve, certains compatissants, d'autres remplis d'une curiosité malsaine. La suite des mots sort tout seul, sans une larme.

— Un jour, quand j'avais neuf ans, alors qu'elle m'injuriait et me traitait de vaurienne, j'ai bousculé ma grand-mère maternelle lorsqu'elle insulta mon Papy René. Elle dégringola les escaliers et se brisa la nuque. Mes parents ne cessèrent de me le rappeler, me considérant comme une meurtrière. Je finis par le croire.

Cinq ans plus tard, une dispute éclata entre eux. J'ai vu Père assassiner Mère devant mes yeux. Puis, il se tourna vers moi et me frappa comme à son habitude, mais m'apercevant dévêtue après m'avoir arraché mon habit par sa violence, il tenta de me violer. Je ne saurais dire comment j'ai fait, cependant je suis parvenue à récupérer son arme et j'ai tiré, tuant Père de plusieurs balles. Depuis ce jour, je suis orpheline et je me suis jurée de multiplier les tentatives pour aider et protéger les personnes qui subissent un sort pareil au mien.

C'est pourquoi je fais un don aussi important ce jour et au lieu de vous demander d'ouvrir vos portefeuilles, je vous demande d'ouvrir vos yeux et vos oreilles. Les femmes et les enfants battus ne sont pas le fait de familles pauvres. Ils vivent dans tous les milieux, dans tous les pays. Aucun de vous n'a vu la détresse de l'enfant que j'étais. Aucun de vous n'a voulu entendre mes appels au secours.

Maintenant, j'ai grandi et je suis plus forte. Maintenant, je soutiendrais les victimes. Maintenant, j'ouvrirais vos yeux et vos oreilles et si j'aperçois le moindre signe de monstruosité chez l'un de vous, je ferais en sorte de savoir la vérité et chercherais à anéantir par tous les moyens dont je dispose les monstres. Je les traquerais sans relâche.

Maeve respire enfin, soulagée d'un énorme poids. Elle vient de faire taire les rumeurs concernant le décès de ses parents. Il lui faut encore redorer la réputation de son ami, même si pour cela, elle va devoir montrer ses failles. La jeune fille lève les yeux et plonge ses pupilles dans le regard admiratif qui la couve. Elle lui rends son sourire d'encouragement et sans quitter le doux réconfort de cet échange visuel, Maeve poursuit son discours.

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