Chapitre 4
Un matin, alors que je mangeais ma ration de légumes cuits, un bruit de moteur s’était fait entendre. Je doutais fortement qu’il s’agisse du propriétaire, car sinon, William m’aurait emmené en stalle dans la grange. Aux côtés de Napoléon, j’avais pu apercevoir une magnifique automobile rutilante de rouge et de noir. Plusieurs personnes en étaient descendues, dont une petite fille en robe rose. N’y prêtant guère attention, j'avais replongé le museau dans le seau contenant le bouillon encore chaud. J’aurai aimé pouvoir remercier Madeline pour ces merveilleux repas. Non loin, l’âne broutait paisiblement l’herbe tendre encore humide à cause de la rosée. Et cela ne semblait pas lui déplaire. De temps à autres, j'avais redressé la tête pour voir la bâtisse où étaient entrés les individus. Et s’ils s’en étaient pris à William ? Je m’inquiétais pour rien car auquel cas, mon ouïe m’en aurait avertie.
En début d’après-midi, un sifflement s’était fait entendre. Sans la moindre hésitation, je m’étais élancés au galop dans la pente du mamelon. Une fois arrivé en haut, quelle n’avait pas été ma surprise : William était accompagné des individus de ce matin.
-Waouh ! avait dit l’homme ventripotent. C’est la bête de ton fils ?
- Oui, mon oncle. Rex n’est pas qu’une simple bête. Approche mon grand.
Il s’était accroupie. Je m’étais exécuté et il m’avait caressé entre les cornes.
-Quelle hideuse créature ! Avait dit la femme d’un air scandalisé. Regardez-moi ces écailles et… ces cornes.
- Je le trouve plutôt atypique, avait lancé le jeune homme.
J’avais remarqué qu’ils étaient habillés de façon propre et élégante. Rien à voir avec mon maitre et sa mère dont les vêtements étaient simples et usés.
-En tout cas, il m’a l’air un peu fragile pour le travail de ferme. Il est trop petit.
- Et pourtant, mon oncle, Rex vous étonnerai. Et toi, Claudine, tu le trouves comment ?
La fillette m’avait regardée.
-Je veux monter dessus, avait-elle simplement dit.
William s’était redressé, l’air embarrassé.
-Tu sais… Rex est encore en plein débourrage. Il est certes très gentil mais…
- Je veux faire un tour. Maintenant.
- Allons, William, tu peux bien lui faire ce cadeau.
- Mais maman ! Je connais Rex. Je ne l’ai monté qu’une ou deux fois depuis qu’il travaille. Lui mettre une enfant sur le dos pourrait être…
- Will. Fais-le, avait dit sa tante. Claudine le veux, alors elle fera un tour sur le dos de cette… étrangeté.
Mon maitre avait soupiré, résigné.
-Très bien… Viens, Rex, je vais te seller.
Je l’avais suivi jusque dans la grange où il m’avait préparé. Les autres membres de sa famille attendait dehors. Lorsque j'étais prêt, William s’était accroupie près de ma tête et m’avait murmuré ces mots :
-Rex ? Claudine est une enfant un peu turbulente. Je sais que comparé à moi, elle sera un poids plume, alors soit sage. Tu veux bien faire ça pour moi, vieux ?
J’avais manifesté mon accord d’un petit coup de langue, ce qui l’avait fait sourire.
-Je savais que je pouvais compter sur toi. Allez.
Me tenant en longe, il m’avait mené dehors. La petite fille sautillait partout telle un puceron ou un lapin. La joie qu’exprimait son visage semblait ravir ses parents.
-Claudine ? Rex est encore un bébé, alors tu vas devoir être gentille avec lui.
- Dis-moi, Will…, avait lancé son cousin. Ta bête, là… elle est vicieuse ? Elle t’as déjà mordue ? Je vois que tu as des bandages aux bras.
Tous le monde avait porté son regard sur mon maitre.
-Absolument pas. Rex n’a pas une once de méchanceté en lui. Et je me suis blessé en aiguisant les lames de la charrue.
Le jeune homme blond avait acquiescé, visiblement peu convaincu.
-Pour tout te dire, Alan, Rex ne s’est jamais rebellé lors du travaille en main. Il n’en a pas l’air, mais il possède plus de force que le plus puissant des Clydesdales. Et pourtant, il n’a jamais tiré la longe. C’est un véritable amour. Regardez-moi ces membres puissants, faits pour tirer de lourdes charges. Ses pattes griffues lui assurent adhérence et sûreté, même dans la boue. Et ses cornes peuvent dégager tout obstacle sur la route. Ce poitrail large et cette encolure robuste est preuve d'une puissance pure. Crois-moi Alan, une fois en selle, il aurait été difficile de lui tenir tête s’il n’était pas aussi gentil.
- Bon, je peux monter ? Avait dit Claudine qui commençait à s’impatienter.
- Mais oui, ma puce.
William l’avait prise dans ses mains pour la déposer avec une grande douceur sur mon dos. Je n’avais pas bougé la moindre griffe.
-C’est très bien, Rex, c’est très bien…
Il avait raison en disant que Claudine ne serait bien lourde. Une véritable plume dont je sentais à peine la présence. Les parents de la petite semblaient aux anges.
-Nous allons faire un petit tour du domaine. Rex le connait comme sa poche, à présent. En douceur, Rex.
Je m'étais exécuté aussitôt, mesurant chacune de mes foulées pour ne pas être trop brutal. Tout le monde nous avait suivi.
-Dis-moi, Madeline, votre animal, de quoi se nourrie-t-il ? Il m’a tout l’air d’être carnivore, avec de telles dents.
- En fait, nous le nourrissons avec des légumes et des fruits. William l’a trouvé dans le potager alors qu’il était à peine né. Il ne s’est jamais nourri de viande, qui est plus une friandise qu’un véritable repas.
- Rex préfère particulièrement les bouillons de légumes, avait dit mon maitre. Allez savoir pourquoi. Regardes, Claudine, en bas, c’est Napoléon.
Au pied de la colline, le vieil âne paissait paisiblement.
-On lui rend visite ?
- Ma petite princesse ne risque-t-elle pas de tomber ?
- Vous rigolez, cher oncle ? Rex a la griffe sûr ! Plus sûr qu’un randonneur des montagnes !
Et nous étions descendus. Malgré la pente, je ne glissais pas.
-Quelle créature, avait dit le cousin de William. Ton Rex est impressionnant.
Arrivé en bas, Napoléon s’était approché de nous. Nous nous étions salués du bout du museau. Claudine semblait se plaire sur mon dos, et le savoir me plaisait également, sentant la fierté de mon maitre. La promenade s’est ainsi continuée dans le calme et la sérénité de l’après-midi. Le vieil âne nous avait accompagné, étonné de me voir avec une petite humaine en tenue rose sur mon dos, là où se trouvais parfois William.
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