Chapitre 2

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Côme était minable. Avec son apparence frêle, ses épaules étroites, ses jambes aussi fines que mes doigts, il n’avait aucune chance de me vaincre au combat. Pourtant, il continuait d’essayer, et pour cela, je l’admirais. Il manquait d’assurance, de rapidité et de force, mais il n’abandonnait pas. Je lui avais même cédé un couteau pour le pousser à me saigner et lui donner de confiance, mais il n’avait fait que m’effleurer. Il n’avait franchement rien d’un combattant, encore moins d’un soldat tel que moi, mais il persistait à m’attaquer sans relâche.

Il me chargea avec son arme, et sans grande difficulté, j’effectuai un demi-tour et lui agrippai le bras avant de le plaquer au sol. Côme se retrouva couché sur le parquet flambant neuf, encore éclatant sous la lumière, légèrement rayé par nos semelles épaisses et dures. Son couteau tomba à plusieurs mètres de lui. Quelques mèches blondes lui cachaient ses yeux bleus étincelant de colère : il m’en voulait. J’aimais cela. Qu’il me haïsse, qu’il me déteste au point de vouloir me tuer, qu’il me voue une telle haine qu’il s’acharne sur moi. Il grimaça, sa mâchoire scellée par la rancune, ses sourcils froncés révélant sa ride de lion. Je n’étais pas fier de le pousser à bout, mais c’était ma mission : son père, le Président de la République, Monsieur Beauvilliers, m’avait ordonné d’entraîner ses fils à la dure pour qu’ils deviennent des hommes.

Ange, quant à lui, se tordait de rire devant l’échec de son frère, au point de se rouler par terre, les mains serrées sur ses côtes. Je pouvais déceler une larme reflétant la lumière du soleil perler le long de sa joue rougie par son large sourire. Il était certes plus téméraire et tenace, avec davantage de qualités nécessaires à un soldat, mais ce n’était pas une raison pour fanfaronner. Était-ce étonnant de sa part ? Bien sûr que non.

— Quel nul ! rit-il aux éclats.

— Ange ! Tu ne vois pas que…

— Ça va, m’interrompit Côme en se relevant, la tête baissée de honte.

Ange était un vrai idiot. Pourtant, je ne pouvais qu’admirer sa force autant physique que mentale. Et j’adorais me battre contre lui.

Je ramassai le couteau de Côme qui traînait toujours sur le parquet et défiai Ange du regard : profond et noir. Il pouvait lire en moi, ainsi, il reprit son sérieux et se leva pour s’installer face à moi.

— Je ne te ferai aucun cadeau, Ardeur, m’adressa-t-il d’une voix studieuse.

— C’est ce que j’espérais.

Quelques coups furent échangés entre nous, il réussit à me toucher à l’épaule de sa paume de main. Une douleur me transperça la chair, les battements de mon cœur s’accélérèrent en conséquence. Je n’avais qu’une envie : utiliser mon pouvoir pour reprendre l’avantage. Ce n’était pas raisonnable, parce qu’autant Côme qu’Ange ne faisaient pas le poids face à mes mains, mais je ne pus résister à la tentation. Je lui agrippai son poignet et…

Ardeur.

À la prononciation de ce mot, de mon Mot, la paume de ma main qui encerclait Ange se mit à chauffer de manière virulente, comme si je détenais de la lave à l’intérieur de ma main, comme si toute la chaleur du soleil se concentrait là. Sans tarder, Ange se retira et recula, me repoussant brusquement.

— Ardeur ! C’est pas juste ! Tu sais très bien que nous, on n’a pas de pouvoir !

— J’étais trop tenté, excuse-moi.

— Tu voulais juste me battre, ouais. T’es vraiment un mauvais perdant.

— Peut-être.

Côme éclata de rire à son tour, pointant du doigt son frère qui boudait dans son coin. Alors que la pièce, habituellement calme et silencieuse, si vide que le rire de Côme résonnait et prenait tout l’espace, se mit à trembler sans que je comprenne pourquoi. J’interrompis les combats avec les frères Beauvilliers, convaincu qu’un danger se préparait. Nous étions dans l’enceinte du château de Rambouillet, gardé par mes collègues soldats, dans une France en paix depuis plusieurs siècles. Pourtant, ce pressentiment mauvais ne me quittait pas et me bouffait de l’intérieur.

— Cachez-vous, ordonnai-je sèchement.

— Hein ? questionna Ange perplexe face à ma directive. C’est peut-être juste… un tremblement de terre.

— Cachez-vous, j’ai dit.

Ils me fixèrent, les bras croisés, décidés à se rebeller contre mon ordre. J’étais pourtant sûr que…

La porte s’ouvrit avec violence, si bien qu’elle claqua contre le mur et fit trembler le sol. Une femme déboula dans la pièce, pieds nus, vêtue seulement d’une blouse, les cheveux blonds débraillés, si gras qu’ils paraissaient châtains. Mais surtout, d’une pâleur inouïe. Sa peau était tant blanche que ses veines bleutées ressortaient, comme si sa chair n’était qu’un film aussi fin qu’une feuille de papier.

Je sus immédiatement qu’elle était une menace. La menace. Déjà parce qu’elle me fixait de ses iris carmin, portait-elle des lentilles ? Je n’avais jamais observé une telle couleur d’yeux auparavant. Mais surtout, elle tenait une hache couverte de sang dont les gouttes s’écrasaient sur le sol.

J’eus peur. Cela signifiait deux choses : elle venait de tuer mes collaborateurs, et elle avait l’intention de faire de nous ses prochaines victimes. Deux autres femmes, habillées de la même façon et aux yeux tout aussi rouges, entrèrent à leur tour. Fichtre. La femme à la hache, parsemée du sang de mes amis, s’avança d’un pas.

— Où est le Président ?

— Père ? répliqua Ange sans réfléchir.

— Père ? Tu es son fils ?

Bordel. Quel imbécile. Je m’empressai de saisir le couteau des mains d’Ange et lançai un dernier regard à mes deux protégés : cachez-vous. Côme m’obéit et sortit par la porte de derrière pour se diriger, sans doute, vers l’arrière du château. Quant à Ange, il resta là, paralysé. La femme s’approcha de nous et attrapa le bras d’Ange. Tout alla vite. Je ne réfléchis pas et me pressai vers elle afin de la neutraliser.

Ardeur.

Je brûlai la chair de son poignet, elle lâcha un cri. J’en profitai pour lui prendre son autre main et la pousser au sol. Mon genou sur son dos, ses deux bras dans mes mains, elle était plaquée contre le parquet. La hache vola à trois mètres de nous. Ange courut vers les armes de nos entraînements et prit une épée. Cet idiot comptait se battre.

— Ange ! Cache-toi !

— Non ! Je vais t’aider.

— Certainement pas !

Une des deux autres femmes s’empara de la hache et tenta de me l’enfoncer dans le torse. Je n’eus d’autre choix que de lâcher la meurtrière pour esquiver. Ange se précipita vers la menace quand, sans que je ne comprenne ce qui se passait, une boule de feu explosa, nous propulsant contre les murs. La pièce était en feu, la chaleur me frappa violemment, une goutte de sueur coula le long de mon front. J’aperçus la première femme avec la main levée : c’était elle qui avait provoqué le feu. Sans prononcer son Mot. Je fus sonné, perdu, perturbé par cette magie inexplicable. Comment pouvait-elle déclencher son pouvoir sans dire son Mot ? Qui était-elle ? Que voulait-elle ?

Elle s’avança vers Ange tandis que je courais pour l’arrêter.

Ardeur !

Une tempête de feu se forma et créa un mur bouillonnant entre moi et Ange. Je fus incapable de le rejoindre, incapable de l’aider, de le sauver, j’étais simplement impuissant. Elle possédait non pas un pouvoir, mais deux. Le feu et le vent. La pyromancie et l’aéromancie. Comment était-ce possible ? À travers les flammes, je vis Ange se faire embarquer par ces femmes, et moi, je fus complètement démuni de ma volonté. La seconde suivante, Ange avait disparu.

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