Chapitre 3

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J’avais réussi à sortir du château de Rambouillet sans trop de difficulté : mes pouvoirs me rendaient plus forte que quiconque, même si mon poignet me lançait encore à cause de ce connard qui protégeait les deux gosses du Président. La sensation de brûlure sur ma chair me rappelait mon histoire, mon… passé ? Enfin, si on pouvait vraiment appeler cela un passé. Tout était si récent. Mais j’avais avancé, je ne pouvais plus faire marche arrière.

J’avais sous-estimé mes pouvoirs, je m’étais sous-estimé. Face à la réalité, la vraie, je me rendis compte que j’étais bien plus puissante que ce que les gardes pouvaient me dire. Certes, ils me voyaient comme un cadeau du ciel, un miracle, à me rabâcher sans cesse que j’étais différente. Mais plus forte ? Je n’avais jamais combattu avant, j’avais bien sûr été victime de souffrances, mais jamais je n’avais levé la main sur qui que ce soit. Pourtant, je me sentais libérée, soulagée d’avoir pu affronter autrui. Je n’étais pas pathétique, ni minable, ni tout ce que me racontaient les scientifiques. J’étais balaise.

Je constatai ma peau rougie par le pouvoir de l’autre type. Donc, d’autres personnes possédaient des pouvoirs ? Qui plus est, en liberté. Pourquoi moi, j’avais été enfermée, tandis que lui profitait de sa vie ? De petites cloques commençaient à apparaître sur mon poignet, et dès lors que je les effleurais, la douleur me frappait en pleine face.

— Hé, ho !

Une voix lointaine me tira de mes pensées : enfantine, mais virulente. C’était l’adolescent que je venais de… kidnapper ? Je m’étais emparée de ce gosse sans réfléchir à la suite. Bien que ses mains soient ligotées, il avait une détermination sans faille à l’idée de s’en sortir. Il était jeune, de par son visage sans imperfection et ses yeux éclatants d’espoir, probablement entre seize et dix-huit ans. Le saphir de ses iris me fixait avec une telle intensité que je peinais à ne pas détourner le regard, il voulait mon attention, mais mon esprit était ailleurs. Merde quoi, j’avais battu un type qui détenait de la magie entre ses mains, tout comme moi.

— Hé !

Le jeune se débattait, donnant des coups d’épaules tandis que ses pieds refusaient d’avancer. J’avais peut-être omis ce détail en le prenant avec moi : il n’était pas soumis, pas comme nous. Plus comme nous. Il hurlait, non pas de peur, mais pour attirer notre attention. Sa voix se brisait à force d’user ses cordes vocales, et je pouvais admirer sa colère dans ses rides d’expression, mais aussi son admiration dans ses yeux, bien que dissimulée par quelques mèches châtaines. Plus je l’observais, plus je réalisais à quel point il était différent de nous, tant physiquement que mentalement. Il avait la peau bronzée, bien plus que nous, comme s’il avait cuit, des cheveux parfaitement coupés et des joues rebondies par la graisse. J’étais son opposé : pâle comme un linge, des cheveux longs et ébouriffés, et une mâchoire aussi tranchante qu’un couteau.

Il avait ce caractère que je ne m’étais jamais permis d’avoir : rebelle, insolent, et courageux. Jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à ce que je tue le garde, j’enviais ce type de personne. Mais désormais, je me sentais comme lui.

— Répondez putain !

— Enfin, mais quoi à la fin ?

Il me fixa, stupéfait comme si j’avais dit la pire des imbécilités. Il lui fallut d’ailleurs un temps pour répondre, tant le choc le saisissait.

Quoi ? Tu me demandes ce qu’il y a ? Je suis attaché, les mains dans le dos. Je me dirige je ne sais où avec je ne sais qui. Et tu me demandes quoi ? Qu’est-ce que vous me voulez ? Vous allez me tuer ?

— Si tu continues de hurler, je n’hésiterais pas une seconde.

Je claquai des doigts, faisant apparaître une flamme à leur extrémité. Juste histoire de lui rappeler que, moi aussi, je savais être insolente. Et s’il continuait à se débattre ainsi, cette flamme pourrait bien parcourir tout son être.

Il se tut et déglutit, perçant le silence que j’avais imposé, ébloui par mon pouvoir qui avait l’air d’être un sacré atout dans ce monde nouveau.

Bon. Une chose de faite. Je n’avais pas pu trouver le Président, mais j’avais son fils. M’enfuir ? Fait. Kidnapping ? Fait. Me cacher ? Eh bien, c’était une bonne question. Je jetai un coup d’œil à mes camarades, ma voisine de cellule était derrière moi, reconnaissable à ses cheveux roux et ses taches de rousseur qui parsemaient son visage. D’autres femmes qui avaient subi le même traitement que moi nous suivaient de près. Nous étions six. Sur je ne savais combien de personnes enfermées là-bas, et je priais en silence pour qu’elles aient toutes réussi à s’ échapper, même si, au fond de moi, je savais que nous étions une minorité à avoir eu le cran de partir.

— Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? On doit se cacher, mais où ?

Ma voisine sembla perdue dans ses pensées, jusqu’à ce qu’elle désigne quelque chose du doigt. Le sol… Ou plutôt, une bouche d’égout. Du génie. Qui penserait à nous chercher dans les égouts ?

Je saisis fermement le bras du jeune homme et me précipitai sous terre. L’odeur était infecte, l’air humide et suffocant. J’avais des haut-le-cœur et l’impression d’entendre des bruits de bestioles non loin de nous, mais en attendant de trouver mieux, c’était parfait.

Nous nous enfonçâmes dans les égouts pendant une heure, dans un silence implacable. J'étais surprise que notre otage, d'habitude si récalcitrant, se soit résigné à nous suivre sans protester. Je n’avais aucune idée d’où nous étions exactement, mais j’étais sûre que nous étions loin du château, en tout cas, assez loin pour nous reposer une petite nuit. L’angoisse de notre fuite m’avait épuisée, vidée de toute énergie. Je ne pouvais plus marcher un pas de plus. Je m’écroulai à terre, imitée des cinq autres femmes et du jeune qui s’assit de force avec nous.

Il planta ses yeux curieux de ma personne dans les miens : il me fit pitié.

— Qu’est-ce que tu veux savoir ?

— Qui êtes-vous ?

— Hum… Je ne sais pas.

Je me retournai et lui montrai l’arrière de mon cou, là où le chiffre « 54 » était gravé dans ma chair.

— On m’appelle J-Doe 54.

— Ce n’est pas un prénom, ça !

— C’est le seul que j’aie.

Il détourna son regard vers les autres, son visage juvénile marqué par la confusion, ses sourcils froncés et ses lèvres pincées.

— Et vous ?

Je désignai chacune de mes camarades et les présentai : J-Doe 46, J-Doe 58, J-Doe 47, J-Doe 55 et enfin J-Doe 61. Ses sourcils se rapprochèrent davantage, l’air perplexe. Nous l’étions tous.

— J-Doe ? Pourquoi J-Doe ? Qu’est-ce que ces numéros signifient ?

— Je n’en sais pas plus que toi.

Il avait raison. J’avais été tant absorbée par ma quête de vengeance que j’en avais oublié l’essentiel : qui étais-je ?

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