Feuilles d’herbe
Un chapitre / Une musique
Reflection I · Daigo Hanada
https://www.youtube.com/watch?v=TIApGa4EoF0
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Vendredi 17 juillet 1981.
Quand j’ai appris à la fin de la journée que mon nom avait été
salué d’applaudissements au Capitole, même alors la nuit qui
suivit n’a pas été heureuse pour moi,
Ou encore quand je faisais la fête ou que mes plans se réalisaient,
même alors je n’ai pas été heureux.
Mais le jour où je me suis levé de mon lit à l’aube en parfaite santé,
bien reposé, chantant et humant le souffle mûr de l’automne,
Le jour ou j’ai vu la pleine lune pâlir à l’ouest et disparaître dans
la lumière du matin,
Où j’ai erré seul sur la grève et, une fois déshabillé, me suis baigné,
riant au contact des vagues froides, et puis ai vu se lever le
soleil,
Le jour où j’ai pensé que mon tendre ami, mon amant, était en
route pour venir, oh, alors j’ai été heureux,
Oh alors à chaque bouffée que je respirais l’air avait un goût
meilleur, et tout ce jour-là ce que je mangeais m’a nourri davan-
tage, et ce beau jour s’est passé magnifiquement,
Et le suivant m’a apporté une joie égale et au soir du suivant est
arrivé mon ami,
Et cette nuit-là tandis que tout se taisait, j’ai entendu les flots
monter lentement, continuellement à l’assaut des grèves,
J’ai entendu le frôlement et le sifflement de l’eau et du sable et il
m’a semblé qu’ils m’étaient adressés, qu’ils me félicitaient à
voix basse,
Car celui que j’aime le plus au monde dormait près de moi sous
la même couverture dans la nuit fraîche,
Dans le silence, sous les rayons de la lune d’automne, son visage
était tourné vers moi,
Et son bras reposait légèrement sur ma poitrine - cette nuit-là
j’ai été heureux.
Ce soir, je suis dans ma chambre, allongé sur mon lit. Je relis les poèmes de Walt Whitman, Feuilles d’herbe, dans lesquels je m’évade avec douceur. Je suis ému d’avoir retrouvé ce livre que je croyais avoir perdu dans le déménagement.
Les poèmes se mélangent à mes songes. Lucas occupe mes pensées. Je suis content de l’avoir vu, caché à faire le pitre avec son sifflet. Au lieu de m’éterniser avec cette pimbêche de Juliette, j’aurais largement préféré rester avec lui. Je revois sa tête malicieuse, ses yeux lumineux. Il était si beau, assis comme ça, comme un enfant qui joue à cache-cache. Il n’avait pas l’air fâché de notre rendez-vous manqué. Comme un imbécile, je n’ai même pas pensé à lui demander quand je pourrais le revoir. Est-ce normal de penser à lui sans arrêt ? Suis-je tombé amoureux ? Je m’emballe comme un idiot, mais je ne peux pas m’en empêcher. Envie d’être avec lui, aussi souvent que possible. De passer l’été à ses côtés.
*
Quand j’ai appris à la fin de la journée… est un poème de 1860, extrait de Feuilles d’herbe de Walt Whitman - Editions Aubier - 1972.
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