Baignade
Un chapitre / Une musique
Belle and Sebastian - There's Too Much Love
https://www.youtube.com/watch?v=Jr4930v0yJI
*
Mardi 21 juillet 1981.
Lucas fait la planche. J’arrive à son niveau et je m’allonge à mon tour sur le dos. Nous regardons tous les deux le ciel en silence.
— Ferme les yeux et fais un vœu, me dit-il.
Je lui obéis. Je me concentre et réfléchis. Je souris à moi-même. Je tourne ma tête pour le regarder. J’attends quelques secondes avant qu’il ne les ouvre, lui aussi.
— Je déclare solennellement que le vœu de monsieur Alexandre Dumont se réalisera avant la fin de l’été !
— Tu me fais rire, tu ne sais même pas de quoi il s’agit !
Le pauvre, s’il savait, il partirait en courant.
— Tu ne me crois pas, hein ? Sais-tu que ces cascades sont magiques ?
— Rappelle-toi, une cliente de la boulangère m’a raconté votre légende de la Vierge Marie, dis-je, amusé.
— Vas-y rigole, rigole. Moi, j’y crois.
— Quoi ? Tu crois vraiment que la Vierge Marie a ramené un mort à la vie ?
— C’est bien les gens de la ville, trop cartésiens pour croire à quoi que ce soit. C’est pas parce que nous habitons à la campagne, que nous sommes débiles ou incultes, tu sais, répond-il, soudain sur un ton plus sérieux.
Je crois que je l’ai vexé.
— Désolé, je ne voulais pas te manquer de respect. C’est pas du tout ce que je voulais dire.
Je deviens tout rouge. Il a l’air déçu. Mais tout à coup, il se met à rire, mais à rire vraiment.
— Ha, ha, ha, tu verrais ta tête ! T’es trop drôle ! Comment tu m’as cru ! dit-il, en m’éclaboussant.
Je réplique de plus belle. Nous nous rapprochons pour nous arroser encore et encore, tant et si bien que nous nous tombons dessus. Je sens ses mains sur ma tête, sur mes épaules. Je suis aveuglé par les gerbes d’eau. Il essaye de me faire couler. Je ne me laisse pas faire. Je prends rapidement le dessus sur lui. Finalement, c’est moi qui lui enfonce la tête sous l’eau le premier. Je savoure ma victoire quand je le vois remonter à la surface. Il a bu la tasse. Je ris de bon cœur, mais à peine a-t-il repris sa respiration, qu’il me saute dessus et me fait basculer en arrière. C’est à mon tour d’avaler de l’eau. Nous reprenons notre souffle. Nous nous toisons. Lequel de nous deux va attaquer l’autre en premier ? Sa main tape la surface de l’eau, c’est le signal pour un nouveau combat. Nous en venons aux mains, en nous agrippant maladroitement. Je ressens sa force, le contact de ses doigts, de ses bras, de ses cuisses contre mon corps. Une sensation excitante me parcourt le bas-ventre. Mon sexe se met à grossir, malgré l’eau froide. Je m'empresse de le repousser du mieux possible. Mais il est coriace. Nos corps se bousculent, s’entrechoquent. À un moment, nos maillots de bain finissent par se presser l’un contre l’autre, quelques secondes à peine. A-t-il senti mon excitation ? Cette fois-ci, nous nous repoussons pour de bon, en laissant une distance entre nous. Il n'y aura aucun vainqueur à cette bataille aquatique. Nous sommes tous les deux à reprendre difficilement notre souffle. Lucas a les mains sur les hanches et attend quelques instants avant de pouvoir parler.
— Enfin, un adversaire à ma taille ! me dit-il, impressionné.
— Tu croyais quoi ? Que j’allais me laisser faire, comme un pauvre petit citadin sans défense.
Sa réponse est un immense sourire. Les reflets de l’eau illuminent sa peau bronzée. Je mémorise sa beauté dans un coin de ma tête, pour plus tard.
— On sort ? me demande-t-il.
— Ça marche !
Nous remontons sur les gros rochers plats. Nous en choisissons un suffisamment grand pour nous deux. Nous nous séchons avec notre serviette que nous étalons pour nous allonger. Je suis sur le ventre, lui sur le dos, les mains derrière la tête, les yeux fermés. Ma tête sur mes bras croisés, je ne peux pas m’empêcher de le regarder. Mes yeux se posent sur son torse, qui gonfle et se dégonfle au rythme de sa respiration. Ils descendent sur la bosse que forme son sexe dans son slip de bain. J’ai une subite érection. Je ferme les yeux pour tenter de me calmer. Mais c’est impossible. Quand je rouvre les yeux, les siens sont ouverts. Il me regarde fixement. Je ne peux absolument pas bouger d’un centimètre. Il s’assoit, attrape son short et en sort son appeau. Il se met à siffler.
— Ça, c’est le hululement de la chouette.
— Je le reconnais maintenant, dis-je.
Il siffle de nouveau, de manière saccadée. Une répétition de trois petits coups renouvelés, trois fois de suite.
— Ça, c’est notre code.
— Comment ça, notre code ?
Il me tend le sifflet.
— Vas-y !
Je m’appuie sur les coudes et émets un premier son. Je suis impressionné de pouvoir sortir un tel son, aussi clair et vif.
Je m'exécute.
— Parfait ! Tiens, je te le donne.
— T’es sûr ? Merci. Mais, et toi, tu n’en as plus, du coup ?
Je répète les sifflements.
— T’inquiète, je m’en referai un demain. Je viendrai le tester en bas de ta fenêtre.
— Bonne idée !
— Je suis têtu, Alexandre ! Tu vas me faire le plaisir de faire le mur, comme tout garçon de 17 ans qui se respecte !
— J'aurai 17 ans seulement samedi prochain ! dis-je, histoire d'avoir encore un peu de temps pour me faire à cette idée.
Pourtant, ce n’est pas l’envie qui m’en manque. Et puis je m’étais fait la promesse hier que les choses allaient changer, alors… Il se lève, s’étire. Cela s’est calmé dans mon maillot de bain. Je peux donc me relever à mon tour, sans problème. Nous nous rhabillons.
Et reprenons le chemin en sens inverse.
— Viens, je vais te montrer un autre chemin qui mène directement au pont.
*
Effectivement, l’itinéraire que nous avons pris nous amène de l’autre côté de la rivière. Il suffit de traverser le pont pour revenir sur le chemin de départ. Nous repassons devant les cascades. Arrivé devant, Lucas s’arrête. De l’autre côté, Jacques et François Desbois, les bras croisés, nous barrent le passage.
— Salut les gars, alors quoi de neuf ? lance Lucas, décontracté.
— Encore fourré avec l’autre parigot ? dit Jacques, avec agressivité.
Je vois Lucas serrer les poings.
— Ouais, comme tu vois, ça te pose un problème ? dit-il, en s'avançant au milieu du pont.
Jacques et François s’avancent eux aussi.
— Laisse nous passer, Jacques ! dit Lucas, fermement.
— Et pourquoi je ferais ça, tu m’expliques ? s’étonne faussement Jacques.
Je sens la tension monter entre eux. Je ne sais pas ce qui me prend, mais c’est comme si mon corps décidait tout seul de bouger. Je m’avance à la hauteur de Lucas.
— Parce que tu vas nous laisser passer, un point c’est tout, je lui réponds de ma voix soudainement grave, en le fixant droit dans les yeux.
Une lueur de haine et de peur défile dans le regard de Jacques qui semble réfléchir à la stratégie à adopter. Il finit par cracher par terre, en guise de réponse. Les deux frères se décalent afin de nous laisser traverser. Nous nous retournons. Ils nous toisent et finissent par poursuivre leur chemin.
— Wouah, trop fort, Alex ! Le regard de tueur que tu viens d’avoir ! Il s’est fait dans le froc ! me dit Lucas, en mettant son bras autour de mes épaules.
Je ne savais pas que je pouvais impressionner quelqu'un de la sorte. Je me sens tout bizarre, avec sa main sur moi.
— Allez, je te ramène chez toi !
— Heu, ouais d’accord. Mais… attends, je suis officiellement avec Juliette. Il faudrait mieux…
— Et en plus, il a menti à ses parents ! Tu commences sérieusement à me plaire, toi !
Je rougis bêtement. Je suis si content qu’il me dise ça.
Nous retrouvons nos vélos, là où nous les avions laissés.
Nous sommes déjà à l’entrée du village, là où nos chemins se séparent.
— Merci Lucas pour cette après-midi, c’était super, vraiment.
— Ouais, c’était top ! Demain, je bosse au marché le matin, que dis-tu de remettre ça après ?
— Demain…heu, ce n’est pas possible, je dois accompagner ma mère en ville.
— Jeudi alors ? J’ai une surprise à te montrer.
Mon cœur palpite à tout rompre.
— Avec plaisir. Même endroit, même heure ?
— Top là ! me dit Lucas, en tapant sa main contre la mienne.
Je le regarde partir en direction du bourg du village avec regrets. Dix minutes plus tard, je suis devant le portail de chez moi. J’ai déjà le cœur à la fois serré et plein de gratitude. Ça va être long d'attendre jeudi !
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