Mélia
Après deux semaines sportives, Apolline s’avoua vaincue en rentrant un soir. Elle commençait à s’ennuyer de ses excursions solitaires. Son père passait beaucoup de temps à lire tandis que sa mère peignait. Elle téléphona à son amie Mélia qu’elle connaissait depuis le collège. Alors qu’elles discutaient toutes les deux, elle proposa à Mélia de lui rendre visite si elle le désirait. Après quelques minutes d’hésitation sur la logistique, il fut vite décidé que les deux amies se reverraient d’ici trois jours.
Lorsqu’elles se retrouvèrent, Apolline serra furieusement Mélia dans ses bras dès qu’elle sortit du bus qui venait de la conduire de la gare routière de Moûtiers à Préhaumont.
— Tu vas m’étouffer ! se plaignit Mélia en riant. Regarde, j’ai laissé tomber mes tenues parisiennes pour un look plus sportif.
— Je vois que je t’ai fait peur avec mes projets d’escalade !
Elles montèrent les affaires de Mélia dans la chambre d’Apolline. Puis autour d’un thé, Mélia mit Apolline au courant de ses derniers potins parisiens.
— J’ai tellement hâte de commencer la fac de sociologie ! gémit Mélia.
— C’est à cause du garçon blond de deuxième année ça, non ? la taquina Apolline.
— Pas le moins du monde, répondit Mélia avec un clin d’œil. Et toi ? As-tu des nouvelles de Clément ?
— Peu, il est très occupé par son stage et le décalage horaire n’aide pas. A côté de ça, il est garçon au pair donc il a aussi du travail quand il rentre chez sa famille américaine.
— Mais vous …
— Mélia, tu sais très bien qu’il a pris l’avion le lendemain de cette soirée. Nous devons attendre août quand nous nous retrouverons sur Paris.
— Hummm ! Depuis le temps que vous vous tournez autour, il faut encore attendre tout ce temps.
Mélia sourit malicieusement à Apolline avant de poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis de nombreux jours.
— Lors de cette soirée, vous avez disparu un bon moment il me semble. Avez-vous ….
— Méliaaaa ! s’exclama Apolline dont la voix monta dans les aigus.
— Oh mais je veux savoir ! supplia Mélia en joignant ses mains en prière.
— Rien de sensationnel pour toi.
— Hum, tu es injuste avec moi, bouda Mélia.
Apolline ne faisait pourtant pas de rétention d’information. Elle avait bien partagé un moment intime avec Clément, mais il s’était arrêté bien plus vite que prévu.
— Sinon, dis-moi quand est-ce que je rencontre le garçon des montagnes ?
— Le garçon des montagnes ?
— Celui avec qui tu passes tous tes étés ! s’exclama Mélia. Il est déjà étudiant, non ? Est-il beau gosse ?
— Oh, il n’est pas là ! Il fait un remplacement de juriste à Lyon pour plusieurs semaines. Pierre n’est pas beau gosse, c’est … Pierre.
— Tu as bien une photo que j’en juge par moi-même ? s’intéressa Mélia.
— Non je n’ai pas de photo.
— Où est ton PC portable ?
Apolline lui donna et l’observa se connecter aux réseaux sociaux. Excitée par la recherche, Mélia s’enquit :
— Il doit bien avoir une page à lui, non ? Quel est son nom de famille ?
— Laisse tomber Mélia.
— Quoi ? s’offusqua Mélia. Impossible ! Alors son nom ?
— Schaeffer, capitula Apolline.
— Alors… Schaeffer Pierre…voyons voir ce que nous obtenons. Dis-moi si tu le reconnais dans les résultats qui s’affichent.
Apolline se pencha un peu au-dessus de l’épaule de Mélia, et le reconnut en troisième position, une faluche étudiante sur les cheveux. Elle le pointa du doigt. Mélia cliqua sur le nom et sourit en agrandissant la photo de profil :
— Visiblement c’est un bon vivant. J’aime ça.
Mélia continua son investigation dans la rubrique « A propos », découvrant quelques données supplémentaires. Elles tombèrent sur une photo de Pierre accompagnée d’une fille blonde à un gala de fin d’année.
— Et cette fille avec qui il est en couple s’appelle Laura, compléta Mélia. En tout cas, tu as tort ! Ce Pierre Schaeffer est carrément une bombe dans son petit costume.
Mélia se mit à explorer les autres photos, qui étaient en majorité des souvenirs figés de soirée. Silencieuse, Apolline n’arrivait pas à mettre fin à cet espionnage et avait l’impression de découvrir quelqu’un d’autre en la personne de Pierre. Celui qu’elle connaissait était juste alpiniste. L’impression de vêtement étriqué lui revînt à l’esprit.
Au bout d’un moment, Mélia se retourna vers elle et demanda :
— Ça va ? Tu es blanche comme un linge !
Apolline avait les yeux rivés sur une énième photo d’une soirée de Noël où visiblement Pierre, ses amis, et Laura étaient éméchés. Il la tenait par la taille langoureusement et Apolline se demandait si après cet instant ils ne s’étaient pas trouvé un coin tranquille pour assouvir l’étincelle sexuelle qui se lisait dans leur regard. Apolline referma l’écran de son portable sur le clavier et interrogea Mélia :
— Tu crois que notre vie d’étudiante ressemblera à ça ?
— Au moins aussi cool ! Franklin[1] ne va pas me manquer.
Mélia resta près d’une semaine avec Apolline à Préhaumont avant de retourner à la capitale où l’attendait son emploi d’été dans un Starbucks du boulevard Saint Michel.
[1] Lycée Saint-Louis-de-Gonzague communément appelé Franklin, Paris 16ème arrondissement
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