Le peintre répare les toiles cassées, abîmées par le feu, l'eau, le temps.

Il les remet dans l'état de leur jeunesse et beauté passées,

Tel le chirurgien qui répare les dommages sur un corps, fait disparaître les cicatrices.

Si seulement une personne avait le pouvoir de faire de même avec les lésions que nous cause le temps...

Le temps qui marque le visage de mon père,

Le temps qui passe sur le corps de ma mère,

Le temps qui nous effraie, ma sœur et moi,

Le temps qui nous sépare...

Mis à part les cicatrices visibles, il y a aussi celles que personne ne voit,

Celles que personne ne peut comprendre si l'on ne nous connaît pas.

Le peintre y verrait là un dur labeur...

Pourrait-il jamais reproduire un jour cette toile déchirée par les années passées ?

Cette toile dont les morceaux se sont racolés à d'autres afin de montrer un semblant de normalité.

Tout déchirer pour tout remettre à neuf, doit-il s'atteler à cette tâche ?

Non, son but n'est pas là.

Restaurer ce qui peut l'être est déjà une bonne chose...

Forcer les choses à redevenir ce qu'elles étaient en leur prime jeunesse,

Ne ferait que créer de nouvelles cicatrices à des toiles recomposées.

Parfois, laisser les fils du destin se couper pour former de nouveaux nœuds, de nouvelles couleurs,

Permet à une œuvre de grandir et de prendre davantage de valeur.

Quelles que soient les craintes qui entourent sa création,

Quelles que soient les marques visibles du chemin qu'elle aura emprunté pour en arriver là,

Quelles que soient les pensées que son auteur aura caché dedans,

Le peintre sait à quelle toile il a à faire.

Il ne répare que les cœurs délaissés qui n'auront d'autre chance de redevenir beaux qu'en passant sous son pinceau.

Pour le reste, le temps abime mais répare, et souvent mieux que ce que l'artiste aurait pu faire...