Chapitre 2: Illusions silencieuses
Les jours s’égrenaient doucement depuis la rentrée, et l’université reprenait son rythme entre cours, pauses sous les manguiers du campus, et éclats de rire dans les couloirs. Pour Émeric, cependant, chaque journée devenait une aventure intérieure, une bataille entre sa timidité et son désir grandissant de se rapprocher de Juliette.
Il la croisait souvent dans la cour, dans les amphithéâtres, ou à la bibliothèque. Chaque fois, son cœur battait plus fort. Mais jamais il n’osait faire ce premier pas. Il se contentait de la regarder de loin, de deviner ses humeurs à la courbure de ses lèvres ou à l’éclat de ses yeux.
Un midi, Esmeralda et Juliette étaient assises sur un banc, leurs plateaux-repas sur les genoux. Elles discutaient à voix basse, un peu à l’écart des autres étudiants.
— Tu as vu le gars là-bas ? demanda Esmeralda, en désignant discrètement Émeric du menton.
Juliette tourna brièvement la tête, puis haussa les épaules.
— Oui… il est dans mon groupe de TD. Il est calme, non ?
— Très. Mais je crois qu’il t’observe souvent.
Juliette sourit.
— Je sais. Il croit être discret, mais ça se voit. C’est mignon. Je me demande s’il va finir par venir me parler.
— Et toi, ça te dérangerait qu’il vienne ? demanda Esmeralda, l’air faussement détachée.
Juliette prit un instant avant de répondre.
— Je ne sais pas. Il a l’air gentil, mais… je ne suis pas sûre qu’on ait grand-chose en commun. Il est trop… réservé. J’aime les gens plus sûrs d’eux.
Ces mots résonnèrent douloureusement dans le cœur d’Esmeralda. Elle détourna les yeux, fixant un point imaginaire à l’horizon. Elle se leva quelques minutes plus tard, prétextant un appel.
Pendant ce temps, Émeric n’avait rien entendu de cette conversation, mais il avait remarqué le regard échangé entre les deux filles. Il sentit une drôle de tension, sans savoir pourquoi.
Le lendemain, alors qu’il était assis seul sous l’auvent du bâtiment principal, la pluie commença à tomber. Juliette passa non loin de lui, tenant ses cahiers contre sa poitrine. Elle trébucha légèrement sur une pierre glissante. D’un bond, Émeric se leva pour l’aider.
— Ça va ? demanda-t-il, tendant la main.
Juliette leva les yeux, un peu surprise.
— Oui, merci… Émeric, c’est ça ?
Il rougit légèrement.
— Oui. Tu te souviens de mon nom ?
— Bien sûr. On est dans le même TD.
Un silence s’installa. Émeric tenta de le briser maladroitement.
— Tu veux... t’abriter ici un moment ? La pluie s’est intensifiée.
Elle hésita, puis s’approcha et s’assit à ses côtés.
— Merci.
Ils échangèrent quelques phrases sur les cours, les profs, les examens à venir. Émeric se sentait nerveux, mais étrangement à l’aise. Juliette riait doucement à ses petites remarques. Pour la première fois, il sentit qu’un lien, aussi fragile soit-il, venait de naître.
Mais à quelques mètres de là, à l’angle du bâtiment, Esmeralda observait la scène. Le cœur serré, elle s’approcha plus tard dans l’après-midi, lorsque Juliette était partie.
— Tu semblais bien discuter, tout à l’heure, dit-elle, d’un ton neutre.
Émeric sursauta légèrement, surpris.
— Ah, Esmeralda… oui, on a échangé un peu. Elle est sympa.
— Tu l’aimes bien, hein ?
Il ne répondit pas immédiatement, fixant le sol.
— Je… je ne sais pas encore. Elle m’intrigue.
Esmeralda croisa les bras.
— Tu sais, parfois ce qui brille de loin peut être fade de près. Et ce qu’on ignore chaque jour peut contenir plus qu’on ne croit.
Émeric leva les yeux vers elle, surpris par ses mots. Mais elle avait déjà tourné les talons, laissant derrière elle un parfum d’amertume.
Et sous cette pluie fine qui semblait ne jamais vouloir cesser, Émeric se demanda s’il n’était pas déjà en train de se perdre dans ses propres illusions silencieuses.
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