Chapitre 3: Les regards qui trahissent
Le soleil se levait paresseusement au-dessus des toits de l’université, laissant glisser une lumière douce sur les pierres usées de la cour. C’était une matinée calme, chargée de cette tension presque imperceptible qui accompagne les débuts d’année, quand les visages sont encore étrangers, les emplois du temps flous et les liens à peine esquissés.
Émeric, sac à l’épaule, traversait la cour comme s’il marchait sur des œufs. Il évitait les groupes trop bruyants, les regards trop curieux. Comme à son habitude, il s’installa à une table en retrait, un peu à l’écart des autres étudiants. Mais son regard, lui, n’avait qu’une seule destination : Juliette.
Depuis quelques jours, elle hantait ses pensées comme un refrain obsédant. Il l’avait d’abord remarquée lors de l’appel en amphithéâtre, puis entre deux cours, un livre à la main, son rire cristallin traversant l’espace comme une caresse. Elle dégageait une grâce tranquille, une légèreté qui contrastait avec le tumulte intérieur d’Émeric.
Ce jour-là, Juliette était assise sur un banc, en compagnie de son amie Margaux. Les deux jeunes femmes riaient doucement, partageant des confidences à l’ombre d’un platane. Émeric les observait du coin de l’œil, tentant de ne pas se faire remarquer.
— Tu vois le gars là-bas ? demanda Juliette en inclinant légèrement la tête vers lui.
— Le brun timide qui traîne toujours dans les parages ? Oui, pourquoi ?
— Il me regarde souvent… mais il ne m’a jamais vraiment parlé, dit-elle, pensive. Tu crois qu’il est intéressé ?
Margaux haussa un sourcil et sourit.
— Honnêtement ? Il a l’air de t’adorer. Je suis sûre que s’il pouvait, il te porterait sur un piédestal.
Juliette esquissa un sourire.
— Il est mignon, je trouve. Mais trop silencieux. Je ne sais jamais quoi penser.
— Peut-être qu’il a juste peur de t’aborder. Ça se voit qu’il est pas du genre à draguer toutes les filles. Ça change.
— Oui… c’est ce qui me plaît justement. Mais bon, s’il ne fait jamais le premier pas…
— Tu pourrais lui parler, toi.
Juliette secoua doucement la tête.
— Peut-être… ou peut-être que je vais attendre encore un peu. Juste pour voir s’il a du cran.
Les deux amies échangèrent un regard complice, avant de se lever et de marcher vers leur salle.
Émeric, de loin, n’avait rien entendu. Mais il avait vu les regards, deviné les sourires. Un espoir flou, fragile, s’installait doucement dans son cœur.
À peine s’étaient-elles éloignées qu’Esmeralda apparut à ses côtés. Fidèle à elle-même, elle arborait un sourire tendre et une lumière vive dans les yeux.
— Salut, Émeric.
Il sursauta presque, pris dans ses pensées.
— Oh, salut Esmeralda. Tu vas bien ?
— Mieux que toi, on dirait… Tu es toujours dans ton monde. À penser à elle ?
Il baissa les yeux, un peu gêné.
— Peut-être… Je crois qu’elle me remarque, tu vois. Et ça me donne envie d’y croire.
— Et moi ? Tu me remarques, Émeric ?
Il leva enfin les yeux vers elle. Il y vit une sincérité désarmante. Une tendresse brute qu’il n’avait jamais voulu voir.
— Je… Je sais pas quoi te dire.
— Alors ne dis rien. Mais n’attends pas trop longtemps. Un cœur, ça ne reste pas toujours ouvert.
Puis elle s’éloigna, lui laissant un goût amer au bord des lèvres. Entre ce qu’il ressentait, ce qu’il rêvait et ce qu’il refusait de voir, Émeric marchait sur un fil invisible.
Et ce jour-là, pour la première fois, il prit place à côté de Juliette dans l’amphi.
— Salut, dit-il doucement.
Elle tourna la tête vers lui, surprise, puis lui adressa un sourire.
— Salut, Émeric, c’est ça ?
Il acquiesça, le cœur battant trop fort. Ce n’était peut-être rien, ce simple échange. Mais pour lui, c’était le début de quelque chose.
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