Chapitre 5 - Neige

8 minutes de lecture

Je parviens difficilement à ouvrir les yeux malgré le bruit insupportable de mon réveil. Je suis à deux doigts de prendre mon portable et de l’exploser contre le mur, mais je sais que je le regretterai bien plus que je n'en prendrai du plaisir. Je crois bien qu’il va être temps pour moi de changer de sonnerie, car celle-là est profondément ancrée dans ma tête comme « l’annonce d’une journée de cours de plus ».

Je réitère mes tâches matinales habituelles. Besoins. Douche. Habillage. Brin de toilette. Préparation du sac. Enfilage du manteau et des chaussures. Sortie de la maison. On est vendredi matin, il fait froid et il y a presque vingt centimètres de neige au sol. Au moins, la seule bonne nouvelle c’est que demain à la même heure je serai sous ma couette, les yeux fermés.

Non il y a quand même une autre bonne nouvelle, et pas des moindres. Ça fait maintenant trois jours qu’Aleksy est retourné au lycée, et heureusement ça se passe encore mieux que je ne pouvais l’imaginer. Le premier jour a quand même été vraiment compliqué. Il a retardé notre arrivée au lycée en trouvant n’importe quel prétexte pour s’arrêter en cours de route. Résultat, nous sommes arrivés dix minutes en retard, mais sans grandes conséquences.

Jusqu’à aujourd’hui, presque personne n’a dévisagé Aleksy. En fait, très peu de monde a pris en considération ce que Xavier et Cassandra ont dit à son sujet. D’ailleurs, même ces derniers n’ont étonnamment pas encore essayé de l’approcher. Ont-ils peur qu’il balance tout s’ils forcent le destin à le harceler ? En tout cas, peu importe la raison, le plus important c’est qu’Aleksy n’ait pas affaire à eux. Mais je n'aime pas trop ça quand même, j'ai comme l'impression qu'ils préparent un coup en douce dans leur coin. Et puis, avec notre altercation, ça m'étonnerait que je sois sorti d'affaire aussi facilement...

J’ai préféré que l’on s’isole tous les deux pendant les pauses le premier jour, histoire qu’il digère tranquillement la pression. J’ai tout fait pour qu’il pense à autre chose, essayant de le faire rire. Mais maintenant, il a rejoint mon groupe de potes et il s’est très vite intégré, même s’ils étaient un peu sur leurs gardes au début vu les anciennes fréquentations d'Aleksy. Ils ont rapidement appris à le connaître et désormais il s’entend plutôt bien avec eux.

C’est donc avec le cœur léger que je me dirige chez Aleksy pour finir le trajet ensemble. Se retrouver chaque matin devant chez lui est devenu notre nouveau petit rituel, et même si je dois faire un détour de presque dix minutes ça m’est égal. Découvrir sa bouille ravie tous les matins, ça n’a pas de prix. Il a l’air d’avoir repris du poil de la bête depuis le début de la semaine.

D’ailleurs, il est revenu chez moi tous les soirs après les cours. Ma mère a pu redécouvrir Aleksy qu’elle n’avait plus vu depuis des années maintenant. Elle a été surprise de voir à quel point il avait changé et était devenu un « très beau jeune homme » d’après ses dires.

Mon cœur a failli s’arrêter net quand elle a proposé à Aleksy d’inviter ses parents à dîner à l’avenir. Heureusement, il a pris sur lui et il lui a annoncé la triste nouvelle. Ma mère était sous le choc quand elle l’a appris, et elle s’est confondue en excuses d’avoir été si maladroite. Dans le fond, elle n’y peut rien, elle ne pouvait pas savoir et ça partait d’une bonne attention. Mais elle a le chic pour toujours parler des choses qui fâchent inintentionnellement.

Bref, qu’est-ce qu’on a fait avec Aleksy en rentrant des cours ? Rien de particulier. On a juste joué à des jeux vidéos, ou alors on écoutait de la musique en faisant de la boxe. On se détendait quoi, rien de plus. A vrai dire… on n’en a pas reparlé, et je pense que c’est mieux ainsi. Bien sûr, je n’ai pas oublié, et la tentation reste tenace quand on se retrouve juste lui et moi dans mon studio. Mais je respecte son choix, et j’ai envie de respecter Laurène aussi.

D’ailleurs, Laurène… elle n’est toujours pas revenue à l’école. Dans les très brefs messages que nous avons échangés ces derniers jours, j’ai appris qu’elle avait la grippe et qu’elle était clouée au lit. Pourtant, je lui ai proposé de passer chez elle pour la voir un peu, mais elle a refusé. Elle ne veut pas « me la refiler » comme elle dit, mais j’ai la très mauvaise impression qu’il y a autre chose. J’espère que je me fais des idées.

J’arrive chez Aleksy mais il m’attend déjà devant le palier de sa maison. Il m’accueille avec un grand sourire et les joues rougies malgré tout son attirail. Il porte un anorak noir bien épais avec la fermeture éclair remontée jusqu’au visage, des gants et un bonnet gris. Il est si mignon comme ça que je crève d’envie de le prendre dans mes bras, mais je m’abstiens.

On marche jusqu’à l’école dans la joie et la bonne humeur. Il est bien le seul qui arrive à combler le vide laissé par Laurène, qui ne cesse de grandir jour après jour. On franchit le portail au même moment que la cloche retentit. Fais chier, on aura même pas le temps de se poser quelques minutes.

Enfin bon, la cour d’école est pratiquement vide par rapport à d’habitude. Il y a de fortes chances que beaucoup de bus n’aient pas pu circuler et beaucoup de profs vont aussi être en retard voire absents. Ça sent la journée films et jeux pour nous occuper quand les cours ne peuvent pas être assurés. En tout cas, ne comptez pas sur moi pour m’en plaindre.

Nous nous installons dans la salle et, comme prévu, nous ne sommes que 8 sur les 38 élèves qui constituent notre classe. Sans surprise, les huit présents viennent tous à pied. Par contre la professeure de maths est bien présente elle, alors qu’elle habite à trente minutes d'ici en voiture. C’est fou comment les profs sont prêts à risquer leur vie pour nous forcer à étudier. Une bien noble cause.

Mme Bussière : Bonjour à vous, et bien je m’attendais à ne voir personne aujourd’hui. Mais maintenant que vous êtes là, il va bien falloir trouver quelque chose pour vous occuper.

Ironique comme situation. Elle nous reprocherait presque d’être venus, alors que nous on ne lui a rien demandé. On a juste pas vraiment le choix puisque les professeurs savent que l’on habite à côté.

Mme Bussière : Je vais quand même faire l’appel pour noter les absents.

Elle énumère chaque nom de la liste en nous regardant pour ne cocher que les gens qui sont absents. Si je peux me permettre, ça aurait été plus rapide de nommer directement les gens présents, mais peu importe. Je remarque qu’elle n’a pas cité Laurène lorsqu’elle a fait l’appel. Sûrement un oubli.

Mme Bussière : Alors je vois que vous êtes huit. Dans ce cas-là, on va faire un petit concours de maths ! Répartissez-vous en quatre équipes de deux.

La classe explose de joie face à cette nouvelle des plus réjouissantes. Non, bien sûr que non, tout le monde est blasé. C’est quand même marrant que les professeurs s’imaginent toujours nous faire plaisir avec ce genre de nouvelle. Ça a presque la même saveur que le « je vous rajoute cet exercice à faire pour le prochain cours mais celui-là vous verrez il est amusant ». Non, il ne l’est pas, pour personne.

Enfin bref, pour ce qui est d’Aleksy et moi, le binôme est vite choisi. Les autres, eux, choisissent un peu au hasard leur partenaire, n’ayant pas vraiment d’affinités particulières.

Mme Bussière : Allez, une personne de chaque équipe doit venir au tableau.

Je me lance en premier dans le bain et avec les trois autres élus, nous nous dirigeons vers le tableau.

Mme Bussière : Alors, c’est une épreuve de vitesse ! Le premier qui arrive à trouver le résultat de l’équation f(x)=g(x) avec f(x) = 9/4(x) + 34 et g(x) = 6x(4-x) rapporte un point à son équipe ! Allez-y !

Waouh l’éclate ! Moi qui pensait faire des jeux aujourd’hui, eh bien je suis gâté ! Ah mais non je viens de comprendre ! En fait, « concours » est composé des mots « con » et « cours » comme dans « je vous ai pris pour des cons car en fait c’est un cours » ! Astucieux !

Nous passons alors deux heures à enchaîner les épreuves de rapidité jusqu’à ce que la sonnerie nous libère. Elle ne s’est pas privée d’augmenter la difficulté à chaque nouvelle question jusqu’à être totalement hors programme. Sa perfidie n’a donc aucune limite.

Au final, on arrive à remporter la première place en n’ayant qu’un petit point de plus que le deuxième binôme. Qui plus est, notre dernier point a été obtenu lors de la question fatidique grâce à un coup de maître d’Aleksy. Nous célébrons notre victoire, ou pas, et notre récompense pour cet exploit est… la reconnaissance de madame Bussière. Et bien, ça valait le coup.

Heureusement pour nous, ce cours était le seul ennuyant de la journée. Nous avons enchaîné avec histoire-géographie où nous avons regardé un documentaire sur l’expansion des BRICS dans la mondialisation, plutôt intéressant et bien amené.

Puis dans l’après-midi, le professeur de physique-chimie n’étant pas là, nous étions libres d’avancer dans nos devoirs ou bien de sortir dans le parc de l’école. Vous nous connaissez, nous sommes des élèves studieux et disciplinés. Mais il faisait quand même froid dehors pendant ces deux heures.

Et enfin le cours d’anglais pour finir la journée en beauté avec le prof le plus cool que j’ai pu avoir dans toute ma scolarité. Un sud-africain originaire de Johannesbourg, hipster sur les bords mais relativement drôle et sympathique. Après avec lui, il n’y a pas vraiment besoin d’intempéries pour regarder des films sous-titrés en anglais. Et cette fois-ci, il nous a sorti le grand jeu avec « Gran Torino ». J’avais toujours voulu le regarder, alors c’était l’occasion parfaite.

Mais je n’ai pas réussi à profiter pleinement du film à cause d’un détail qui a rythmé mon humeur de la journée. A chaque fois qu’un professeur faisait l’appel aujourd’hui, il oubliait de citer Laurène. Alors ok, une fois c’est un oubli, deux fois c’est une sacrée coïncidence, mais trois fois c’est du foutage de gueule.

Le film se finit au même moment que la cloche retentit. Tout le monde part en trombe, et Aleksy m’attend pour partir lui aussi. Je lui dis que je dois demander un truc rapidement au prof et que je le rejoins juste après. Il en profite alors pour passer vite fait aux toilettes.

N : Monsieur ?

M. Du Toit : Oui Niels ? Tu viens pour me féliciter du super choix de film que je vous ai proposé ?

J’aurais bien aimé rire à sa blague. Surtout qu’il est toujours en train de déconner avec nous. Mais non. Aucune réaction. Je n'ai pas vraiment la tête à ça.

N : Non… en fait, je voulais vous demander pourquoi vous n’avez pas appelé Laurène quand vous avez fait l’appel ? Je sais qu’elle n’est pas là, mais les autres profs non plus ne l’ont pas cité.

M. Du Toit : Ah oui, eh bien… c’est parce qu’elle n’est plus inscrite dans ce lycée.

Annotations

Vous aimez lire Dobingu ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0