Chapitre 2
Juana ! Tandis qu'il pédalait en direction de Préfailles, il repensa à son bel amour espagnol, Juana, sa belle Andalouse aux yeux de feu qu'il avait passionnément aimée sous le ciel de Tolède et que les fascistes lui avaient injustement arrachée. Il la revit, si belle dans sa robe rouge aux multiples volants, virevoltant au son des guitares sur des notes de flamenco endiablées. Il l'avait aimée tout de suite. Elle s'était donnée à lui la première nuit, sans craindre les reproches et les ragots, comme si elle avait senti que sa vie serait courte et qu'elle devrait en profiter. Il se remémora ses cheveux de jais éparses sur l'oreiller, alors qu'ils venaient de faire l'amour dans un petit hôtel délabré de la ville. Il avait cru cet amour immortel, invulnérable. Comme il était jeune alors. Mathias chassa les larmes qui lui venaient au yeux à l'évocation de ses souvenirs heureux. Un souvenir… c'est tout ce qu'était Juana à présent, un funeste souvenir, celui d'une femme entièrement nue, le corps couvert d'ecchymoses, les pieds déchirés par les pierres, se balançant mollement au bout d'une corde. Ces salauds l'avaient pendue! Il secoua vigoureusement la tête, à quoi bon pleurer ? Rien ne ramènerait jamais Juana.
Il ralentit. Au croisement de deux routes se trouvait une voiture à bras lourdement chargée de matelas roulés, de meubles, de valise, de malles. Des ustensiles de cuisine étaient accrochés aux ridelles. Encore une famille d'expatriés désemparés qui se sont perdus sur la route. Un homme de bonne taille, le père sans doute, forte corpulence, vêtu d'un pantalon de toile et d'une chemise retroussée sur les manches, ouvrit grand les bras en le voyant comme s'il voyait le Messie. Mathias n'eut d'autre choix que de ralentir puis de s'arrêter tout à fait.
― Ah mon brave, s'écria l'homme d'un ton ampoulé qui l'assimila aussitôt au clan des bourgeois égarés en terre inconnue, vous tombez bien ! Nous sommes complètement égarés ! Nous nous rendons chez des amis au château de Vavamé, Vamémé ? Qu'est-ce dont ce nom imprononçable ma mie ?
Se retournant vers l'équipage, le bourgeois s'adressait à une femme emmitouflée dans un manteau bien trop chaud pour la saison, perchée sur une malle en haut de la voiture, et qui, visiblement ne daignait abîmer ses beaux escarpins en marchant sur la terre poudreuse.
― Comment voulez-vous que je le sache ? C'était votre idée de nous emmener dans cette horrible campagne !
― Vous savez bien que nous n'avions pas le choix, les Allemands fonçaient sur Paris !
― Et que nous auraient-ils fait ? Avez-vous oublié que vous êtes en affaire avec eux ? Nous avoir jetés sur les routes par cette fournaise infernale, quelle idée ! Et votre fille, avez-vous pensé à ce qui aurait pu lui arriver avec tous ces sauvages en liberté ?
Par sauvage, Mathias supposa qu'elle parlait des soldats français terrifiés qui fuyaient en débandade avec les civils, les précédents parfois. Nombre d'entre eux jetaient leurs uniformes et volaient des habits de civils, se démobilisant eux-même, faisant fi du peloton d'exécution.
― Pour moi, mère, je trouve cette aventure follement excitante !
À cet instant, Mathias remarqua une jeune fille à l’opulente chevelure brune qui se tenait appuyée contre la voiture, les bras croisés sur la poitrine, fixant l'indigène local d'un air bravache. Elle portait une robe à fleurs, très légère et sans doute trop fragile pour la longue équipée qu'ils avaient entrepris, elle et ses parents. À sa main pendaient une paire de sandalettes blanchies de poussière et ses cheveux en désordre, lâchés sur ses épaules, accusaient plusieurs jours de négligence. Pour autant, elle conservait cette arrogance commune à ceux de sa caste, quand leur regard se pose sur un paysan de la classe de Mathias.
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