Chapitre 3

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Mathias réprima l'envie de filer sur son vélo pour les abandonner là, mais le pauvre père de famille semblait tellement perdu entre ses deux dragons femelles, sa chemise de soie hors de prix maculée de crasse et de sueur, ses belles chaussures de ville éculées par les kilomètres, que le jeune homme eut pitié.

― Valméré, répondit-il, je pense que vous pensez au château de Valméré, chez monsieur le comte d'Oronge.

― C'est ça, Valméré ! Moi et les noms vous savez… Cela fait des jours que nous avons quitté Paris, des jours que nous marchons sur ces maudites routes de campagne. Nous nous sommes perdus tant de fois ! Et notre belle Delage qui nous a lâché à Angers, quel déveine ! Merci, jeune homme, sans vous nous étions perdus ! Monsieur le comte nous attend !

Mathias toucha le bord de sa casquette en signe de salut. Sa bonne action accomplie, il s'apprêtait à repartir quand la fille vint vers lui. Elle semblait un peu plus âgée qu'il ne l'avait cru de loin, à moins que ce ne fût la fatigue du voyage qui creusât ses traits. Elle le fixait toujours effrontément, et il dut se faire violence pour ne pas la gifler. Un court moment, il juxtaposa son image à celle de Juana. L'Andalouse aussi arborait cet air fier et hautain, même habillée de guenille et les pieds nus. Deux déracinées jetées en désordre sur les routes d'un pays en guerre, voilà ce qui liaient les deux femmes. Ce qui les différenciait ? La Française était dotée d'étonnant yeux bleus tirant sur le violet. La sueur collait ses cheveux bruns sur son visage à l'ovale parfait, et son nez se retroussait sur une moue espiègle. Pourquoi Mathias ne s'en allait-il pas au lieu de rester captif du regard de cette fille?

― Il semblerait qu'on te doivent une fière chandelle, dit-elle seulement, nous étions complètement perdus sans toi.

― Le château n'est plus bien loin.

― Bien sûr. Pour moi ça ne me dérange pas, dormir à la belle étoile. C'est même plutôt marrant. Mais c'est ma mère…

― Pas envie de se salir les pompes en descendant de son perchoir, hein ?

― Il y a de ça. Elle s'est tordue la cheville il y a deux jours. Ses chaussures à talons, tu comprends.

― Ici, il va falloir qu'elle s'habitue à porter des sabots.

La fille se renfrogna. Il l'avait froissée.

― Ce n'est pas parce que nous sommes dans une situation délicate que tu peux te moquer !

― Je ne me moquais pas.

Non, en vérité, Mathias ne se moquait pas, surtout pas du bonhomme qu'il voyait suer sang et eau à tirer cette charrette quand sa femme, trônant sur ses hauteurs, était tout juste bonne à l'invectiver et à se plaindre des nids de poule et des ornières.

― Nous allons habiter au château du comte.

― J'ai cru comprendre.

― Comment t'appelles-tu ?

― Mathias.

― Tu fais quoi ?

― Je vais relever mes casiers à homards.

― Tu vas les vendre ?

― Ça dépend combien j'en aurai.

― Ici c'est la campagne, je vais m'ennuyer à mourir.

― Si ça ne te plaît pas, rentre à Paris.

― Ce n'est pas ce que je voulais dire.

Perché depuis sa voiture, la bourgeoise rappela sa fille. Celle-ci sourit malicieusement à Mathias.

― Je dois y aller, on se reverra sans doute.

― Je ne pense pas, on ne vient pas du même monde.

― Dommage.

Se hissant sur la pointe des pieds, elle saisit le visage de Mathias à pleine main et l'embrassa sur la bouche. Pour quelle raison Mathias répondit-il aussitôt à ce baiser, il devait se poser cette question encore longtemps. Ils restèrent ainsi, enlacés sur la route, et puis la jeune fille se décolla et fila rejoindre ses parents.

― Et toi, lui cria Mathias, comment tu t'appelles ?

― Moi, je suis Axiane, et je crois qu'on se reverra, Mathias.

Interdit, Mathias la vit s'enfuir en courant. Quand elle fut arrivé au niveau de la voiture, elle se retourna vers lui et lui envoya à baiser du bout des doigts. Confus, désorienté, Mathias les suivit longtemps du regard comme ils continuaient leur route vers Valméré. Puis, revenant à lui, enfonça sa pédale et reprit sa route, se morigénant de s'être bêtement laissé aller. Ce n'était pourtant pas son genre d'embrasser la première venue, et puis cette fille et lui n'avaient rien à faire ensemble. Ils n'étaient pas du même monde.

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