5a. L'entrainement : Lana
Je ne sors de la salle que pour ma toilette et pour dormir. Le reste du temps, je m’entraîne, encore et encore. Je mesure ma progression aux poids que rajoute Matt les jours suivants. Il s’absente souvent et quand il revient, il m’apporte des fruits, des bananes la plupart du temps, ainsi que des bouteilles d’eau du puits.
*****
Le jardin voisin est pourvu d’une piscine semi-couverte. Les propriétaires absents, Matt installe une corde sur le bord pour que j’améliore mes sauts. Il m’aide en râlant tant je suis nulle et me force à recommencer, une fois, cinq fois, dix fois, jusqu’à ce que je franchisse cette fichue ficelle. Parfois, il se déporte quand j’approche de la corde, m’attrape par la taille et me soulève pour que je passe enfin par-dessus. Il sait que je vais atterrir dans la piscine, mais ça fait du bien, il fait si chaud ! Soudain, je change de cap à la dernière minute pour fondre sur lui et le pousser dans le bassin. C’est comme s’il devinait mes intentions. Il fait juste un pas en arrière et me regarde, amusé, me jeter seule dans le bain. Il ne peut s’empêcher de me gronder comme une élève indisciplinée, mais il conserve son sourire. C’est agréable de trouver une forme de complicité.
Dans le champ, derrière la maison de Matt, je dois escalader un arbre à pain, en redescendre, puis remonter, de plus en plus vite. Mon instructeur grimpe de l’autre côté du tronc à une vitesse incroyable ! Y a-t-il quelque chose qu’il ne sait pas faire ? Le plus dur, c’est de retourner en bas. Pour vaincre ma peur, il m’exerce à sauter de l’arbre, de plus en plus haut, pour améliorer mes retombées sans douleurs. Il accroche ensuite une cible à l’arbre, et m’initie au tir à l’arc. J’aime bien. Il me montre comment tenir l’instrument de ma main gauche, me mettre de profil, placer la flèche au plus près de mon œil en ramenant mon autre main sur ma joue et viser jusqu’à ce que la pointe apparaisse dans la cible. Je m’en sors plutôt bien.
Shana nous rejoints, les bras chargés de victuailles. Comme toute enfant normale, ses copines lui manquent, son téléphone portable et internet aussi.
— Une courte pause, ça te dit ? propose Matt.
— Pourquoi ? Tu en as déjà assez ? Je te croyais plus résistant.
J’ai compris quand je peux le taquiner et quand il vaut mieux que je reste à ma place. Aujourd’hui, il semble détendu et de bonne humeur. Ce qui ne l’empêche pas de me regarder de travers.
— Ne me cherche pas, tu vas me trouver. Et tu vas perdre.
— Je vous ai apporté de l’eau et des pâtes, nous informe la jeune fille. Ma mère reste collée à la cuisine et je m’ennuie.
— Elle sait que tu es sortie toute seule ? m'inquiété-je.
— Bien sûr que non ! Je peux rester avec vous ? S’il vous plaît ? Je ne vous dérangerai pas, c’est promis…
Je vois bien que ça contrarie Matt, pourtant, il cède devant sa mimique implorante.
— Je n’ai pas faim. Je vous laisse, un truc à faire, ajoute-t-il en s'éloignant. Profitez-en. Lana, on reprend dans une demi-heure.
Shana le regarde s'éclipser, puis me demande :
— Pourquoi le laisses-tu te donner des ordres ?
— Ça ne me dérange pas s’il me permet de devenir plus forte. De plus, c’est un bon professeur. Strict, mais efficace. Tu sais, je commence à le connaître un peu. Il n’est pas si féroce qu’il cherche à nous le faire croire.
Affamée, je ne mange pas, je m’empiffre, avant de sauter dans la piscine avec Shana.
Matt est vite de retour, c’est déjà l’heure de reprendre. Je suis moins motivée, mon corps me fait souffrir. Lui, par contre, semble encore plus en forme ! Pourtant, sa proposition me surprend :
— Aller ! On rentre, décrète-t-il. Je vous fais une fleur, on va marcher.
— Qu’est-ce qui m’attend ?, je demande, curieuse mais prudente.
— Tu vas découvrir le maniement du sabre. J’ai eu l’impression que ça t intéressait, je me trompe ?
Je soupire avant de m'incliner en riant :
— Question idiote Matt, tu ne trompes jamais, c’est bien connu.
— Un point pour toi, concède-t-il avec sourire et clin d'œil.
C’est lui qui prend l’arme. Il a choisi une épée. Nous répèterons la même scène après avec un sabre pour que je découvre la différence entre les deux. Il me demande de me diriger vers lui tel un malaforme. J’obtempère et éprouve vite la sensation de faire le clown et de me ridiculiser. Incapable de garder mon sérieux, je m’esclaffe, entraînée par l’hilarité de Shana. Notre moment d’égarement n’est pas du goût de Matt :
— Tu t'appliques où on arrête tout de suite !
— Tu m’as demandé de jouer le rôle du monstre, c’est ce que j’ai fait. Avoue que c’était drôle ! dis-je, en essayant de reprendre mes esprits.
Il trépigne et murmure presque, tant sa mâchoire est crispée :
— Je ne vois pas ce que ça a d'amusant. Je te rappelle qu’ils peuvent tous nous tuer.
— Tu ne rigoles jamais, Matt ? Ta vie doit être vraiment trop triste…, je rétorque, déçue par son manque d’humour.
— Pour quelqu’un comme toi, elle le serait en effet. À l’inverse, ta vie est pour moi sans aucun intérêt.
— C’est méchant ça !
— Je ne suis pas réputé pour ma gentillesse. Juger ma vie alors que tu ne la connais pas relève de la bêtise humaine.
— La bêtise humaine ! Tu te prends pour un Dieu ou quoi ?
Je lui fais face. Il me dépasse, mais ma fureur m’emporte et je le pousse de toutes mes forces. Je veux lui faire mal, qu’il cesse ses airs supérieurs. Je veux qu’il recule devant moi, qu’il comprenne que je n’ai pas peur de lui. Je le bouscule encore une fois, mais il ne bouge pas. Je suis certaine qu’il ne remue même pas un orteil. C’est impossible, ce type est un roc ! Je rêve où c’est un sourire que je vois sur ses lèvres ?
Je m’en vais d’un pas assuré. Le claquement furieux de la porte me poursuit quand je me dirige vers les escaliers. Pour une fois, ils sont à leur place. J’observe les portraits avec l’impression qu’ils se moquent de moi. Je m’arrête devant chacun d’entre eux et leur tire la langue, de mauvaise humeur. L’idée de leur cracher dessus et de leur crever les yeux me taraude ! Le tableau devant lequel je me trouve penche fort vers l’avant. Il bouge, il va tomber ! Sur moi ! Je descends de quelques marches, la châssis dans mon sillage. La toile suivante va se décrocher aussi !
En pleine réflexion sur la qualité des fixations, je m'apprête à vérifier l'état des œuvres quand une voix agressive me fait sursauter :
— Qu’est-ce que tu as fait ? me demande la sœur de Matt, suspicieuse.
Surprise par son accusation, je me défends :
— Rien, je ne les ai pas touchés. Ils sont mal accrochés.
— Ils sont là depuis une éternité et n’ont jamais bougé, alors qu’as-tu fait ?
— Pense ce que tu veux. Que ce soit avec toi ou ton frère, ce sont forcément les autres qui ont tort. À plus.
Je m’apprête à m’éloigner quand elle surgit si près de moi que son souffle effleure ma peau. Avec un regard chargé de haine et une voix orchestrée par la rage, elle reprend :
— Où crois-tu aller comme ça ? Tu as enlevé les visages de mes ancêtres de leur support, tu vas les remettre en place tout de suite.
— Je le ferais juste pour avoir la paix, si je le pouvais. Ils sont trop grands et trop lourds pour moi.
— Remets-les à leur place ! hurle-t-elle, les traits déformés par la colère.
— Ça suffit, Carol ! Il est possible qu’ils se soient décrochés, tu en es consciente. Je les reposes, intervient Matt, du haut des escaliers.
— Ton sauveur est là… me souffle-t-elle à l’oreille avant de se détourner pour s’éloigner de sa démarche de reine du bal.
Je reste plantée au milieu des marches tandis que Matt raccroche les portraits de famille. Dont certains lui lancent un regard désapprobateur, quand les autres me toisent avec colère.
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