5b. L'entrainement : Lana
— Viens, ne restons pas là, m'entraîne-t-il, la main sur mon épaule.
On remonte. Il me conduit encore une fois dans sa chambre. Il s’installe derrière son bar, et m’invite à prendre une chaise haute face à lui. Il se sert un verre de scotch, m’en propose, mais je refuse.
— Qu’as-tu fais aux tableaux ? demande-t-il sur le ton de la confidence.
— Je n’y ai pas touché ! Vous allez tous me poser la question, un par un ?
— Ok, tu n’y as pas touché. Alors qu’as-tu fait ? Ils ne sont pas tombés tout seuls, insiste-t-il, les sourcils froncés.
— Pour la dernière fois, je n’y ai pas touché. À mon tour, comment leur expression peut-elle changer suivant qui se trouve devant eux ?
— Qu’as-tu fait pour qu’ils tombent ?
Il n'en démordra pas. Je soupire et capitule :
— Ok. J’abandonne. Je vais te demander un dernier service. S’il te plait, peux-tu me ramener chez moi ?
— Je peux. Mais je ne le ferai pas. On n’a pas terminé ton entrainement.
— Ah, je ne cherche même plus à savoir pourquoi tu m’apportes autant d’aide, à moi, pauvre femme dont la vie est sans intérêt. Je veux juste rentrer là où je me sens bien, c’est-à-dire chez moi. Où il n’y a pas de tableaux ou d’escaliers qui bougent, là où en temps normal, je suis appréciée par ceux que j’aime. Là où les gens sont normaux et gentils ! Où ils ne sont pas bourrés de secrets !
— Je vois. Je répondrai peut-être à tes questions, à certaines seulement, quand nous entamerons les recherches. Pour l’instant, nous avons autre chose à faire.
— Je suis fatiguée de tout ça, Matt. Ce qu’il se passe dehors est déjà assez dur à gérer sans que je me dispute avec toi ou ta sœur. Elle me déteste, soit dit en passant. Encore une chose dont j’ignore la raison. Bref, je suis blasée.
— Bois un verre, ça te détendra, conseille-t-il alors qu’il porte la boisson à ses lèvres.
J’hésite à répondre, incrédule, puis lâche, acerbe :
— Tu crois que si je me saoule, j’arriverais à oublier ?
— Je crois surtout que reprendre l’entrainement te feras du bien. Tu es une bonne élève, me complimente-t-il avec clin d’œil et sourire charmeur.
— Tu m’as blessée ! lui rappelé-je.
— Tu l’as cherché. Je suis désolé. Ça te va comme excuses ?
Il montre des signes d'agacement, mais je reste boudeuse. Il hausse les sourcils avant de poursuivre :
— Je ne sais pas à quoi peut bien ressembler la vie d’une femme active, mariée et mère. Mais on aura bientôt l’occasion d’échanger toutes sortes d’explications. On s’y remet ?
Il me tend la main, un rictus séducteur dévoilant toutes ses dents. Je ne résiste pas et le suis en râlant.
À ma grande surprise, Clyselle nous attend dans la salle des armes. Matt lui a demandé de nous servir de mannequin car les siens ne sont plus en état.
Il reprend l’épée et nous offre une démonstration très soignée, face à mon amie, inquiète. Il répète ensuite la même opération avec un sabre. Le katana a l’air beaucoup moins compliqué.
Je saisis le manche que me tend Matt, et le laisse me montrer comment me placer pour effectuer la première garde. Alors qu’il se tient derrière moi, ses paumes emprisonnent mes doigts (qu’elles sont froides !), collent la lame le long de ma jambe et l’emmènent des pieds à la tête de mon adversaire. En même temps, accompagnée d’un mouvement du bassin, sa cuisse a poussé la mienne, de façon à effectuer un demi-tour. Clyselle fronce les sourcils devant ce rapprochement, mais mon regard suffit à lui faire comprendre que mieux vaut ne rien dire. Nous répétons plusieurs fois le procédé, jusqu’à ce qu’il me sente assez souple pour essayer toute seule, face au mur. Je ne maitrise pas encore assez les distances pour utiliser un mannequin humain.
Nous passons la fin de la journée à nous entrainer au sabre. Je découvre plusieurs gardes et coupes et apprend à piquer, maîtrise qui peut s’avérer utile puisqu’il faut toucher les malaformes en plein cœur.
Le soir, nous nous réunissons tous autour d’un bref repas, durant lequel il est surtout question de mes progrès et de nos projets pour la suite. Clyselle nous réitère son désir de se joindre à nous. Elle a apprécié le cours. Matt refuse.
— Tout l’équipement est à ta disposition. Utilise-le, prépare-toi pour accompagner ceux qui partiront faire le ravitaillement. On prendra la mustang pour vous laisser le 4X4, vous en aurez besoin pour ce que vous trouverez.
J’ai encore rêvé si j’ai cru pouvoir passer une nuit tranquille. Au moment d’aller prendre un peu de repos, mon professeur m’entraîne de nouveau dans le champ, où il allume deux lampes torches.
— C’est ici que nous dormirons cette nuit.
— Tu n’es pas sérieux ?
— Tu crois que tu vas dormir où quand nous partirons ? Ils ne peuvent pas entrer dans ce champ. Nous ne craignons rien. Tu dois savoir dans quoi tu t’embarques.
— Tu es certain qu’ils ne peuvent pas passer ?
— Oui. Si j’ai tort, on se défendra. Regarde sous le buisson.
J’y découvre les pistolets, le sabre et l’épée. Je m’assois face à lui. Je ne sais pas quoi dire. La situation me paraît irréelle. En d’autres circonstances, on aurait pu croire à une soirée romantique. Même s’il manque le feu. Un champ, un ciel étoilé, un bel homme… Qu’est-ce qui me prend ? Il est beau, certes, mais insupportable. Ce n’est pas avec lui que je serais ici si j’avais le choix ! Je ne suis pas à l’aise. Toute sa fierté se dégage de sa personne quand il me fixe de cette manière, avec ce petit sourire narquois qui semble me narguer… Bien sûr que je le trouve séduisant.
— Serais-tu en train de rêver ? Demande-t-il sans me quitter des yeux, taquin.
— Bien sûr que non ! Arrête de me regarder comme ça, tu me gêne.
Mon teint doit avoir viré au rouge pivoine.
— Je sais. C’est l’effet que je produis… Tu es fatiguée ?
— Oui, malgré tout ce calme, si inhabituel. Même les insectes sont silencieux. C’est angoissant.
— Je te prête mon épaule, appuie toi, ferme les yeux. Je prends le premier tour de garde.
Les premiers rayons du soleil caressent ma peau et me réveillent. Allongée, les jambes de Matt en guise d’oreiller, je me redresse avec empressement. Embarrassée, je m’inquiète de sa réaction et l’observe du coin de l’œil. Il arbore encore cet adorable sourire amusé qui m’agace tant.
— Pourquoi ne m’as-tu pas réveillée ? je demande après m’être éclaircie la gorge.
— Bonjour, répond-il, les yeux pétillants de malice. Tu dormais et ça me faisait du calme. Mis à part quand tu as ronflé.
— Quoi ? Je ne ronfle pas, sauf quand je suis enrhumée ! J’ai dormi combien de temps là… comme ça ?
— Comment ?
— Et bien… ma tête, tes… euh…
— Mes cuisses ? Elles ont l’air confortable.
J’arrache une touffe d’herbe et la lui balance. Il rigole, pas aux éclats bien sûr, et à mes dépens.
Peu importe car je constate que notre relation change. Nos fréquentes disputes commencent à céder la place à une meilleure compréhension.
— J’ai des fourmis dans les jambes, attends-moi ici, je reviens.
De nouveau, il me laisse seule.
Nous passons des heures, des jours, des nuits à me former. Nous essayons toutes sortes de sports en plus de la musculation, de l’endurance, du saut…
Je pratique pas mal de gymnastique pour la souplesse, je lutte contre lui, je perds à chaque fois, cela va sans dire. Il m’enseigne le lancer de couteau. Pour cette activité-là, je ne me risquerai pas à répéter sa démonstration. Il m’a collée à une porte en bois, avec pour ordre de ne pas bouger un seul cheveu. Si on doit partir ensemble, on doit avoir confiance l’un en l’autre, a-t-il déclaré. Et il a dessiné ma silhouette avec des couteaux ! Je ne suis pas convaincue qu’il accepterait de se plier à l’exercice si les rôles étaient inversés.
Enfin, je me sens prête à affronter les zombies qui s’agglutinent en masse, de plus en plus nombreux, tout autour de la propriété. Pourtant, Matt préfère patienter encore. Il attend que je l’immobilise lorsque nous nous affrontons en lutte. Ça n’est pas pour demain, il est beaucoup trop rapide. On dirait qu’il sait avant moi ce que je me prépare à faire.
Le temps défile, et avec lui les chances de retrouver ma famille et mes amis sains et sauf. Ma concentration s’en ressent et ma patience atteint ses plus lointaines limites. Nous nous disputons, une fois encore.
— Tu es apte à survivre dehors ? Ok, allons-y, crie-t-il, profondément agacé.
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