12b. Les indices : Lana

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Un tronc d’arbre coupé me sert de siège pendant que je grignote quelques biscuits devant Matt qui m’a finalement suivie. Autant dire que l’atmosphère est tendue. Je n'ai plus rien à lui dire et il doit chercher un moyen de se rattraper. C'est impossible, on ne change pas le passé.

Cette pause me permet de nettoyer mon sabre et de vérifier le nombre de balles dans mon chargeur. Matt m’observe en silence, adossé à un arbre, en face de moi. Je l’ignore magistralement en dissimulant mon agacement et mes craintes. Je bois à la bouteille l’équivalent d’un demi-litre d’eau et croque dans un autre petit gâteau sec à l’abricot. Qu’est-ce qu’ils sont bons !

De fins rayons de soleil parviennent à s'infiltrer entre les branches, et le chant de la nature apaise ma colère. Je perçois le doux friselis de la brise sur les feuilles, les oiseaux piaillent avec joie, régulièrement interrompus par le sifflement strident des criquets et autres animaux.

— Quelqu’un s’est arrêté ici, regarde.

Surprise, il me faut quelques secondes pour comprendre les paroles de Matt. Il me désigne des emballages de nourriture vides. Je me redresse si rapidement que mes yeux ne parviennent à se fixer nulle part. Ma tête tourne, mon corps vacille. Mon garde du corps se précipite et m’empêche de tomber. Je le repousse d'un geste rageux et, mon équilibre retrouvé, me lance à la recherche d’indices. Qui s’est arrêté ici ? Où sont partis les gens qui se sont nourris là ? Serions-nous sur la bonne piste ? Un morceau d’étoffe accroché à une écorce ! C’est un morceau du doudou de mon plus jeune fils ! Je m’en empare et laisse couler mes larmes. Larmes de joie ou de douleur ? L'espoir revient, mais mes pires craintes refont surface avec lui.

— Il est temps de continuer. On va les retrouver, m'assure Matt en me tendant la main.

Sans répondre, je sèche mes larmes et récupère mon sac ainsi que mes armes. Nous repartons en direction de l’aéroport, et croisons de plus en plus de malaformes. Par chance, leur nombre restreint dans de petits groupes épars, nous permet de nous en débarrasser sans bruit. Plus que quelques mètres et nous déboucherons sur la route qui mène aux parkings. Au fur et à mesure de notre progression, une rumeur gagne en intensité.

Nous traversons les parcs de stationnement en nous cachant entre les voitures ou derrière les arbres. Le brouhaha, oppressant, ressemble à un bourdonnement sourd. Nous nous rapprochons du bâtiment avec prudence mais aboutissons malgré tout devant un mur de créatures pour lesquels nous sommes des proies.

Epouvantés, nous devons pourtant partir d'ici sans tarder.

— Matt ! Qu’est-ce que tu attends ? On doit s’enfuir, ils sont trop nombreux cette fois !

— Ils nous encerclent déjà, répond-il en tournant nerveusement sur lui-même.

Terrifiée par ce spectacle d’êtres difformes aux dents pointues qui nous cernent et réduisent nos chances de survie, je suis incapable de réfléchir. Notre seule possibilité est de se concentrer sur un petit groupe et de se faufiler par l’ouverture qu’on aura créée. Pari très risqué. Sans le moindre espoir de réussite. Je les regarde, transie d’horreur, quand Matt me saisit par les hanches et me jette sur son épaule. Il se déplace si vite que j'ignore les évènements suivants.

Enfin, il me dépose à terre, sur la deux voies, bien loin de l’aéroport et de ses centaines de malaformes. D’un côté, deux files de voitures à l’arrêt, de l'autre, la route est dégagée. Nous sommes au tout début du bouchon !

— Il nous faut une moto, annonce Matt en scrutant l'embouteillage.

Je laisse tomber mon sac à dos à mes pieds, en signe de refus.

— Tu as l’intention de retourner en arrière ? Juste pour trouver une moto ? Imagine qu’on parvienne à en trouver une mais que son conducteur ait disparu avec les clés !

— Fais-moi confiance.

— Tu m’en demandes trop là, rétorqué-je en tournant le dos aux voitures pour m'asseoir sur le capot de la première.

— Je viens encore une fois de nous sauver la vie ! Alors je crois en effet pouvoir te demander de m’accorder ta confiance ! insiste-t-il d'une voix calme, mais sourde, après s'être déplacé pour me faire face. Oui, j’ai commis une erreur en abusant de ton sang. Mais je t’ai dit que cela ne se reproduirait pas. T’ai-je fait croire une seule fois depuis que j’allais recommencer ? En outre, tu as pris le plus gros orgasme de toute ta vie ! Donc, nous trouvons une moto et nous approchons du magasin de ton mari, même si je doute que la situation soit meilleure là-bas.

Je me renfrogne et l'invite à prendre les devants. La chance nous sourit quand, à peu près quinze minutes plus tard, nous dénichons une Harley Davidson abandonnée contre la barrière de sécurité. Son propriétaire a emporté les clés bien sûr, ce qui ne freine pas Matt puisqu'il se penche déjà sur les câbles.

La colère me tient compagnie depuis notre nouvelle altercation. Parce qu’il a raison et que je refuse de le reconnaitre. Repenser à nos étreintes provoque en moi une fièvre insupportable. Je transpire à grosses gouttes avec, pourtant, l'envie de me faire mal, de m’arracher la peau ou les cheveux pour me débarrasser de ma honte. J'imagine trop bien mes jambes écartées derrière lui sur la moto, mes mains autour de sa taille. La bagarre offre une alternative à mon embarras :

— Pourquoi ne me portes-tu pas comme tu l’as fait pour quitter l’aéroport ? Ça irait encore plus vite.

— Trop loin. Ça consomme beaucoup d'energie et tu connais mes besoins... En plus, je n’ai pas conduit de Harley depuis fort longtemps et ça me manque, explique-t-il en m'accordant un bref sourire.

— Encore pour ton plaisir.

— Je le prends partout où je peux. Ça aussi je te l’ai déjà dit. Ne me provoque, pas s’il te plait.

Ses doigts tressent les fils de couleur avec agilité et précision. Concentré, il conserve son calme. La provocation lui fera peut-être changer d'avis :

— Tu te trompes sur l’orgasme. Le meilleur, ce n’était pas grâce à toi.

— Vraiment ? Dans ce cas, on en reparlera après le prochain, rétorque-t-il sèchement.

Il a sauté juste devant moi, le regard glacial, sa bouche devant la mienne. Mais le pire de tout, c’est sa main qui tire légèrement sur mes cheveux. Alors aussi paisiblement que je le peux :

— Il m'a semblé que toi aussi tu prenais ton pied. Avant de me laisser pour morte !

— Bienvenue dans mon monde. Tu étais juste sonnée et je devais m’éloigner pour ne pas te vider ! Tu es vivante et je suis revenu t’aider, non ? Laisse-moi démarrer cet engin, bordel !

Il me lâche et fais un pas en direction de la moto avant se retourner et de me pousser violemment contre la voiture. Le bas de mon dos cogne l’aile avec violence mais je n’ai pas le temps de grimacer que sa bouche écrase la mienne. Je serre les dents mais il insiste. Mon cœur bat au rythme d’une musique hard-rock. Sa mâchoire est plus forte que la mienne et je suis sur le point de céder quand il se détourne rageusement pour rejoindre l'engin à deux roues.

— Qu’est-ce que tu peux m’énerver ! grince-t-il. Tu as de la chance que je me maitrise si bien ! Un autre ne te supporterait pas ! râle-t-il encore, sans m'accorder un regard.

Je ne peux pas répondre, il ne vaut mieux pas, d’ailleurs. Les battements de mon cœur s'apaisent tandis qu'un nouveau sentiment me submerge. De la tristesse ? Non, ce n’est pas tout à fait ça. Il ne s'agit pas d’inquiétude non plus. De la déception ! Impossible. Et pourtant, j’avais envie qu’il continue. Je suis folle ! Ou alors, il me contrôle. Dans ce cas, pourquoi a-t-il arrêté ? Je sors de ma torpeur quand soudain, un vrombissement de la moto brise le silence.

Matt est déjà installé et me transperce des yeux, les sourcils froncés. J’enjambe le véhicule et prends place à mon tour.

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